Chapitre 19

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Hailey

On a roulé jusqu'à l'aube, avant de se poser sur une aire d'autoroute le midi. On est tous exténués par cette nuit écourtée et le stress d'être rattrapé par nos familles respectives en rajoute une couche. Personne ne veut que ce voyage se termine avant même d'avoir commencé. C'est pour cela qu'au premier message de parent paniqué, on a éteint nos téléphones. Nous avons bien conscience de notre imprudence, mais pour notre défense, nous sommes en compagnie d'Elik qui est majeur. Peut-être qu'il n'est pas l'adulte responsable rêvé, mais il fera l'affaire face à la police, en cas de besoin.

-Alors..., commence Thaïs, vous allez où comme ça ?

Je ne suis pas ravie de la voir installée à notre table, mangeant un sandwich acheté avec notre argent. On lui donne la chance de nous suivre et elle se conduit comme une garce. J'avoue avoir espéré pendant un moment que la maladie l'avait changée, mais j'ai l'impression qu'elle est encore pire.

-ON va où, rectifie Fynn, tu viens avec nous je te rappelle. Arrête de te mettre à l'écart comme ça.

C'est drôle. Jamais Thaïs n'a été mise de côté, « à l'écart » comme dit Fynn. Elle a l'habitude d'être sous le feu des projecteurs, pourtant cette fois elle ne sera qu'une simple spectatrice. En un sens, ça me fait kiffer de la voir aussi démuni face à notre bande, soudée plus que jamais. Elle sait qu'elle ne peut pas foutre la merde ici, nous sommes bien trop proches pour succomber à ses piques. Alors elle se contente de rester à sa place, pour une fois.

-Et donc ? s'impatiente-t-elle.

-On a notre premier concert en extérieur. Au Grand Canyon, princesse ! s'exclame alors Elik.

-Je t'ai déjà dit de ne pas m'appeler comme ça..., ronchonne Thaïs.

-Tu m'appelles Ariel !

-Raiponce, le corrige-t-elle.

Nous suivons cet échange comme on suivrait un match de tennis : tournant la tête de droite à gauche, dans leur direction respective. Je dois bien avouer qu'ils sont assez divertissants, me faisant oublier combien de calories contient ce simple sandwich :

-Tu as raison, admet Elik d'un air moqueur, Raiponce me va à ravir.

Elle lève alors les yeux au ciel et se tourne vers sa nourriture. Elle a l'air de flipper à mort. Et je me sens tellement proche d'elle en cet instant que je ne peux que compatir. Mais je décide quand même de me venger un peu avant la gentillesse, elle n'a jamais eu de pitié avec moi, elle :

-T'as peur de grossir, princesse ?

Elle me jette un regard si noir que j'en frémis. On dirait qu'elle s'apprête à me bondir dessus et m'arracher les cheveux. C'est encore plus flippant qu'un pot de Nutella. Elle me dit d'une voix bizarrement calme :

-Je n'ai pas faim.

Je me souviens d'une scène précise au lycée. Je n'avais juste pas faim ce jour-là et n'avais encore jamais eu affaire à elle. Elle était entrée avec sa bande de potes, s'était posée à une table un peu plus loin et avait regardée par mégarde dans ma direction. Son regard avait parcouru mon corps avec dégoût, je devinais tout ce qui pouvait lui passer par la tête : elle ne voulait pas finir ainsi, sous aucun prétexte. Et elle flippait grave même, en voyant ce corps énorme. Elle avait alors regardé mon plateau, sûrement persuadée d'y trouver un rassemblement de choses grasses. Elle avait été surprise de n'y découvrir qu'une salade et un verre d'eau. Mais Thaïs avait déjà laissée apparaître trois émotions depuis qu'elle m'avait vu : le dégoût, la terreur et la surprise. Or Thaïs était froide, distante et totalement inhumaine, en apparence. Elle devait préserver les rumeurs à son image. Elle s'était alors approchée de moi, son plat à la main (lasagnes) et me l'avait balancé à la figure en disant :

-Ton gros estomac a besoin de se nourrir, grosse vache.

Ce n'était qu'une petite insulte, de celles qu'on prononce en maternelle. Mais son geste qui accompagnait ses paroles, il m'a détruite. J'ai passé la journée à retrouver de la sauce tomate dans mes cheveux, je suis rentrée chez moi en larmes et je n'ai pas mangé ce soir-là.

-Ton petit estomac a aussi besoin de se nourrir, grosse salope.

Je n'en reviens pas d'avoir dit ça, j'exploserai bien de rire mais je passerais pour une psychopathe. La bande me regarde avec surprise, ne comprenant pas ce soudain acharnement. Mais j'en ai marre de me taire moi, j'en ai marre qu'on lui offre tout, qu'on soit aux petits soins avec elle et que, jamais, on essaie de la remettre à sa place, de lui renvoyer un peu ses piques histoire qu'elle se rende compte de ce que ça peut faire. Sale garce.

J'ai maintenant l'impression de m'être énervée pour rien, car elle affiche un petit sourire exécrable. La pute. J'ai envie de l'insulter de tous les noms et de lui renvoyer son regard meurtrier de tout à l'heure. Mais ça aussi, ça n'a pas l'air de fonctionner sur elle. Elle ne lâche jamais son air satisfait. Elle se fout de ma gueule ! J'aurais dû me douter que ma colère ne lui ferait ni chaud, ni froid. Il est impossible de passer ce mur qu'elle a bâtie devant son cœur et les sentiments qui vont avec, elle se fiche de tout.

Fynn commence à s'approcher de moi, sûrement pour me demander ce qu'il me prend. Mais Thaïs fait un geste dans sa direction et lâche :

-Laisse. Elle a raison, j'ai besoin de manger (puis elle se tourne vers moi :), je te vomirai dessus, quand mon petit estomac dysfonctionnel ne pourra plus supporter le poids de ce sandwich.

Et comme toujours, elle a le dernier mot. Elle prend une grosse boucher de son repas, tout en me défiant du regard. Elle adore ça : défier les gens, les pousser à bout. Je me suis toujours dit qu'elle était méchante. C'est vrai, elle l'est. Mais elle est aussi apeurée. Elle ne veut pas que ça soit nous les méchants, alors elle joue ce rôle.

-Bon appétit, souffle Elik.

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