Chapitre 2

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FYNN

C'est toute une technique. D'abord, il faut arriver au lycée sans se faire choper avec son skate à l'entrée, puis il faut courir pendant une bonne dizaine de minutes et ne surtout pas louper LA porte. Une fois trouvée, il faut être sûr que ni Markall (surveillant), ni Palley (proviseur), ne traîne dans les parages. Sans oublier les autres lycéens aux alentours, qui peuvent se montrer très irritables quand ils n'ont pas eu le temps de prendre leur petit-déjeuner, et donc, nous cafter. Mais une fois toutes ces étapes passées et le danger potentiel écarté, il ne reste qu'à ouvrir cette fameuse porte, située tout près de la bibliothèque, semblable à n'importe qu'elle autre porte.

Ce matin, je ne fais pas exception à la règle en m'engouffrant dans la pièce à tâtons, cherchant l'interrupteur dans le noir opaque du sous-sol. Quand enfin je le trouve, des escaliers apparaissent face à moi, menant à une scène. Mon refuge. Le seul endroit paisible dans ce lycée, le seul endroit loin de ma chambre capable de me rappeler cette dernière. Tout est absolument...

-Mon pote ! s'écrie quelqu'un derrière moi, me faisant ainsi sursauter et louper une marche.

...calme. Je rectifie : tout est absolument calme pendant exactement deux secondes, le temps qu'Elik et les autres débarquent.

-Elik, dis-je d'un ton nerveux.

On se connaît depuis le premier jour de lycée nous-deux. Il y a très exactement trois ans, donc. Pourtant, j'ai toujours du mal à me faire à l'idée qu'on traîne ensemble et qu'il m'appelle « son pote ». Je souffre d'une sorte de « phobie », qui consiste à m'imaginer qu'on me fait la blague de l'année et qu'à chaque instant on peut me balancer « en fait, t'es vraiment naze comme type et je ne sais pas pourquoi je suis avec toi en ce moment. » Ce qui est complètement stupide quand on y pense. Elik a déjà passé trois années à mes côtés, pourquoi pas dix de plus ? Au point où il en est...

-T'as l'air... mieux, je poursuis donc.

-Sympa, déclare-t-il en me pointant du doigt, j'aimerais t'y voir tiens. La prochaine fois qu'on te largue pour un autre, fais-moi signe.

Ensuite, il me passe devant et rejoint sa guitare près de la scène. Il baisse la tête, ses cheveux violets fouettant son visage. Mais il se fiche de sa tignasse, il commence à jouer et tout disparaît autour. Je le connais assez maintenant pour affirmer qu'il ne m'entend plus, il est sur un autre monde à présent, son monde. J'en profite alors pour l'observer. Il est plus mince que moi, mais fait une bonne tête de plus. Là où ses vêtements sont à la mode, les miens sont dégotés dans des friperies. Là où ses cheveux sont violets et lisses, les miens sont noirs de jais et bouclés. Là où ses traits sont fins et parfaitement sculptés, les miens sont fermes et bruts. En gros, tout le monde le voit du premier coup d'œil : nous deux, c'est comme le feu et la glace. Mais en moins rivaux, parce qu'on est étrangement potes.

Je le vois annoter quelques paroles sur son carnet de partitions et reprendre sa guitare l'air de rien, comme s'il n'était pas en train d'écrire une nouvelle chanson splendide, comme à ses habitudes. Il a un don. Un don qu'il rend encore plus immense en ne s'en rendant même pas compte.

-T'as fini de me mater ? lâche-t-il finalement, en gribouillant de nouveau sur son carnet.

-Je...

-Viens jouer, toi aussi.

Je me redresse et marche jusqu'à la batterie. Ça vaut mieux qu'une discussion gênante, sur le fait que je le regardais depuis bien cinq minutes. C'est peut-être pour ça, que ça marche entre nous : il y a la musique pour éviter les silences pesants. Je prends alors mes deux baguettes en mains et joue à en oublier l'heure, le jour, le lieu. Je m'oublie moi-même. J'oublie toutes ces peurs qui ne me lâchent plus depuis qu'on m'a posé la fameuse question « que comptes-tu faire l'année prochaine ? », j'oublie que je suis totalement paumé et que je suis encore en train de fuir le problème. J'essaie d'oublier tout du moins, parce que la réalité me rattrape quand Hailey entre à son tour dans le sous-sol avec son éternel « hello » :

-J'ai ramené des croissants, ajoute-t-elle en voyant nos têtes effarées.

On quitte alors nos instruments pour la rejoindre, assis sur les marches. Je jette un coup d'œil à Elik, encore tout émotif. Il est toujours plongé dans ses pensées, envahi par la musique et bien au-delà encore, mais ça, il n'en parle jamais, il ne se confie jamais...

-Quelqu'un a des nouvelles de Fern ? demande Hailey quand j'enfourne le plus possible de nourriture dans ma bouche.

Je l'observe un moment, réfléchissant à la question en même temps. Hailey est une fille ronde, la plus ronde de mon entourage. Mais aussi la plus rousse et la plus bruyante. Je me souviendrais toujours du jour où Elik s'est ramené avec cette fille. J'ai cru halluciner. Lui, le maigre de service et, elle, la ronde du lycée. Ils formaient un couple hors du commun et devant mon air ahuri, il a lancé « Fais pas cette tête F, on est au vingt et unième siècle enfin ! Je nous ai dégoté une chanteuse, ça fait des semaines que j'essaie de la convaincre. » Hailey avait alors tourné la tête vers moi pour la première fois et soufflé « En fait, il m'a carrément menacé de me menotter si je ne rejoignais pas votre groupe, alors... » Evidemment à ce moment-là, il n'y avait pas de groupe. Il n'avait d'ailleurs jamais été question d'en créer un, Elik et moi nous retrouvions déjà au sous-sol mais pour zoner, pas pour jouer de la musique. Il avait une fois de plus fait les choses sans m'en parler et j'avais bien évidemment adoré l'idée ! A partir de là, on s'est retrouvés tous les trois, chaque matin et chaque soir dans ce sous-sol, jusqu'à l'arrivée de Fern...

-Pas vu depuis hier soir, en appel vidéo, j'arrive à répondre, malgré le croissant dans ma bouche.

Hailey n'a pas l'air ravie de cette réponse.

-Qu'est-ce que tu caches ? grogne Elik.

Ça me rappelle la fois où je leur ai demandé s'ils sortaient ensembles. Hailey était méga mal à l'aise de 1) parce que la réponse était évidente pour eux : non, de 2) parce qu'elle nous cache un passé difficile en amour, d'après Elik.

-R-Rien, zozote-t-elle.

Je me lève, comprenant enfin :

-Nell ?

Je sens Elik se figer à mes côtés. On sait tous qui est Nell, pourtant on ne l'a jamais rencontré (heureusement pour lui), sous les supplications de Fern, gênée à cette idée. Il brise chaque jour un peu plus le cœur de notre amie, mais il est aussi le seul à savoir recoller les morceaux, alors elle « n'arrive pas à s'en détacher. » Il arrive qu'on ne la voit pas pendant des semaines, parce que ce connard décide qu'elle doit rester à ses côtés.

-Bon, souffle Elik abattu, comprenant qu'encore une fois, il ne pourra rien y faire, il semble qu'on va devoir se passer de notre manager aujourd'hui. Allez ! On répète et on file en cours.

Il sait ce que c'est que de perdre totalement le contrôle de son corps et de son esprit en amour lui, il l'a vécu et il en paie les conséquences encore aujourd'hui... Il est donc le seul à pouvoir comprendre pleinement Fern de nous trois. Et c'est toujours à lui de nous dire quoi faire dans ce genre de situation. Il estime qu'il vaut mieux répéter sans Fern aujourd'hui ? Très bien, jouons alors.

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