CHAPITRE CLXV - PALM BEACH

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Le groupe s'était séparé le lendemain. Pour rester discrètes, les deux équipes sur le départ avaient emprunté à la Table Ronde des navires de fortune, habituellement manœuvrés par une demi-douzaine de personnes. L'objectif était avant tout ne pas attirer l'attention.

Ils savaient qu'ils ne reverraient par leurs amis de sitôt : les embrassades avaient été longues, teintées d'espoir et d'inquiétude à la fois, mais ils étaient finalement parvenus à se détacher dans la douleur et à prendre la mer. Pendant trois jours et trois nuits, Jorge avait pleuré comme un enfant.

- Mais tu te rends compte ? sanglotait-il en s'accrochant à Jun comme une moule à son rocher. Nous allons laisser nos amis seuls avec ces pirates !

Elle tentait de le réconforter maladroitement, mais seule sa délicieuse nourriture était capable de faire oublier sa peine au jeune timonier. Jun n'était pas à l'aise avec les contacts humains, surtout avec Jorge d'ailleurs, mais la cuisine était pour elle la meilleure manière d'établir un dialogue. Le premier soir, elle lui servit un dessert d'exception, réalisé dans la minuscule cuisine du navire de fortune : un puit d'amour.

La navigation aurait pu poser problème à n'importe quel binôme, mais pas à eux : tant que Jun était là, Jorge demeurait inégalable à la barre. Malgré l'agitation de la mer, rendue noire par les nuages tempétueux, le navire glissait par son talent sur les vagues.

A l'aube du quatrième jour de navigation, ils aperçurent la minuscule île de Palm Beach. Une plage sablonneuse, quelques palmiers aux feuilles bien vertes et, érigée sur un ponton, une grande barraque toute cabossée.

- Si la maison était mieux, dit Jorge en observant l'île avec ses jumelles, le coin serait pas mal ! Palmiers, sable blanc... Tout ce qu'il faut pour passer du bon temps, en somme.

Jun parut dubitative. A mesure qu'ils se rapprochaient, elle s'était montrée de plus en plus tendue. Alors qu'elle mettait à flot le minuscule canot de sauvetage pour rejoindre la plage, elle donna ses consignes comme une capitaine par intérim.

- Ne touche à rien, ne regarde personne dans les yeux. Laisse-moi engager les conversations.

- D'accord, chef ! dit-il avec un sourire complice. Au fait, c'est qui, ce Yuzu ?

- Un ami de mes parents. Du temps où nous habitions sur l'île des hommes-poissons, il était l'un de nos voisins. Réputé pour être un très bon revêteur.

Et tandis que Jorge prenait place dans le canot, il observa l'eau claire avec un œil curieux.

- C'est vrai, ce qu'on dit sur l'île des hommes-poissons ?

- Ce qu'on dit ?

- Ouais. Tu sais... Qu'elle est...

Jun leva les yeux au ciel avec agacement.

- Elle est là, ouais, dit-elle en pointant les profondeurs de son pouce. A des dizaines de mètres de profondeurs sous cette couche de flotte.

- Et... T'es vraiment née là-bas ? C'est sympa ?

Jun prit place à son tour dans le canot et Jorge se mit à ramer. Elle paraissait triste et il n'osa poser d'autres questions.

Tandis qu'ils s'approchaient, deux étranges silhouettes apparurent sur la plage et se mirent à les fixer. En plissant les yeux, Jorge comprit pourquoi leur forme lui paraissait bizarre : l'un était un homme-raie au visage plat et écrasé, l'autre un homme-pieuvre dont les cheveux tentaculaires étaient rassemblés en chignon au sommet de sa tête. Quand la barque heurta le sable fin, que les passagers en descendirent et s'avancèrent vers la maison, Jorge perçut un bruit dans l'air et comprit que les deux hommes-poissons s'étaient mis à grogner. Jun manqua de les bousculer en passant, mais ne prit pas la peine de les saluer ni de les regarder.

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant