CHAPITRE CLXII - SOUVENIR D'YGRINE

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Alors qu'ils descendaient les remparts de pierre pour rejoindre l'Empereur et ses hommes dans la grande salle du conseil, au cœur de la forteresse, Arthur et Morgane eurent la surprise de le voir venir à leur rencontre. Le soleil se couchait et le crépuscule projetait sur son casque de fer des lueurs orangées, si bien qu'il semblait être quelque dieu du feu tout droit descendu des cieux. A la vue de ce colosse, Arthur ne put réprimer le désagréable frisson qui lui parcourut l'échine.

- Laissez-nous, grogna l'Empereur quand il se retrouva face au groupe.

Les membres de Justice échangèrent un regard circonspect et, au discret encouragement d'Arthur, disparurent tous ensemble dans la forteresse dont la silhouette était déjà engloutie par la nuit tombante. Morgane demeurait aux côtés de son frère, mais son père lui jeta bien vite un regard entendu.

- Ça vaut pour toi aussi, ma fille.

- Quoi ? Mais je...

- Ne discute pas, Morgane. Disparais ! aboya l'Empereur avec l'autorité qu'on pouvait imaginer chez un vétéran de son âge.

Elle disparut en grommelant, visiblement de mauvaise humeur, et Arthur comprit que son père l'invitait à le suivre quand il se remit à marcher. Ils demeurèrent silencieux tous les deux, arpentant les remparts comme deux sentinelles en service, et l'Empereur brisa le premier le calme qui s'était installé.

- Que t'a dit ton oncle sur ta mère ?

- Qu'elle était la femme la plus belle, sage et puissante qui ait existé. Qu'elle était la plus grande amirale de la Marine qui ait jamais vécu. Qu'elle est morte à Endlog en nous donnant la vie, à ma sœur et moi, au cours d'une grande bataille.

Utyr acquiesça lentement et grogna comme un animal repus.

- Je vois que le Tigre Blanc n'avait pas totalement perdu la tête, finalement. Il vieillissait mais n'était pas encore sénile.

Un sourire triste se dessina sur les lèvres d'Arthur à la pensée de son maître, celui qui était pour lui le plus proche d'un père.

- Ce qu'il t'a dit est vrai, dans ce cas. Je ne ferai que te répéter ses mots si je te disais qu'elle était la plus grande guerrière que j'aie jamais rencontrée, la plus sublime et brillante personne qui vécut en ce monde.

Il s'arrêta quelques instants, le regard posé sur ses mains gantées. Du bout de l'index, il caressait la pierre froide des créneaux, comme un enfant contrarié par un souvenir triste. De toute évidence, il l'aimait encore, et Arthur fut touché de voir en ce colosse redouté de tous pour sa force monstrueuse une lueur d'humanité et de tendresse. Ses yeux était ceux de Morgane, les siens, des yeux de rapace dorés. Soudain, il crut y voir passer une lueur bien connue de lui, celle de la rage.

- Il était l'un de ses élèves, tu sais ?

Le poing d'Arthur se crispa. Une goutte de sueur glacée coulait dans son dos.

- Il était jeune mais brillant, à ses dires. Puissant, bien sûr, mais aussi malin : elle était parvenue à lui enseigner en quelques mois les subtilités de la stratégie militaire, de la politique, de la négociation. Elle voulait faire de lui un héros, mais l'a finalement perdu.

Utyr marqua un temps d'arrêt et Arthur le sentit tendu, comme s'il luttait pour dire quelque chose qui lui arrachait la gorge.

- Il était là, à Endlog. Il était présent.

Arthur déglutit avec difficulté, comme si sa trachée était bouchée par un oursin.

- Est-ce lui qui a ... ?

- Je ne sais pas, répondit sèchement l'Empereur. Peut-être, peut-être pas. Je l'ignore totalement.

Son poing se crispa et le cuir de ses gants crissa sous la tension.

- Mais le jour où je me retrouverai face à lui, je lui ferai payer. Crois-moi.

Arthur acquiesça lentement tandis que l'Empereur se tournait vers lui. Sa grande main gantée était tendue vers lui et Arthur se demanda un instant ce qu'il aurait ressenti, enfant, si son père l'avait giflé. Il considéra cette main tendue en silence, quelques secondes.

- Je le vaincrais sans problème. Je sais qu'il n'est pas assez fort pour me tuer, comme il a tué le Tigre Blanc. Mais avec toi à mes côtés, la destruction de son armée ne sera que plus aisée. Cela ne sera que plus juste.

L'Empereur approcha encore sa main.

- Seras-tu avec moi, Arthur ?

Le chevalier d'or hésita un instant. Il pensa à ses amis, à Jorge. Mais il savait leur confiance placée en lui. Il savait que cela les rapprocherait de leur objectif, que l'Empereur les aiderait à rendre justice. Alors, il attrapa la grande main de l'Empereur et la sienne parut y disparaître tant elle était petite en comparaison.

Le pacte était scellé.

- Bien, grinça Utyr avec un sourire sarcastique. Maintenant, j'attends de toi que tu te prouves digne d'être mon fils.

Et tandis qu'il tournait les talons, sa grande cape volant dans la brise nocturne et glaciale, le poing d'Arthur se crispa. Il voyait cet homme marcher devant lui, le fourreau de sa lame briller au crépuscule. Il pensait à sa mère, aux légendes à propos de ce couple mythique. Il voulait connaître l'écart qui le séparait encore d'un tel homme.

- Affrontez-moi !

Les mots étaient sortis de sa gorge comme un cri de désespoir. L'Empereur s'arrêta et, à la grande surprise d'Arthur, éclata de rire. Un rire surpris, sincère, mais pas dénué de moquerie.

- Ma lame dégainée signerait ton arrêt de mort, gamin. Le combat n'a rien d'un jeu, pour moi. Rentrons, nous avons bien d'autres choses à discuter.

- Je suis sérieux ! s'écria Arthur en dégainant. Je veux voir de quoi vous êtes capable, de quoi ma mère devait être capable pour rivaliser avec vous.

Le rire d'Utyr cessa.

- Laisse donc les morts en paix.

Il poussa les lourdes portes de sa forteresse et disparut dans l'obscurité. Arthur demeura là, muet et paralysé, pendant de longues secondes. Sa main, autour d'Excalibur, tremblait. Il faisait froid, mais elle tremblait d'autre chose. Dans le ciel, sous la lune blanche et brillante, Peck semblait danser. 

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant