CHAPITRE LXXIII - L'ÎLE FANTÔME

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Les grands arbres semblaient s'élever jusqu'au ciel. Au-dessus des deux soldats, ils étendaient leurs sombres feuilles, comme une ombre menaçante les recouvrant. Zell avançait à tâtons, la main posée sur ses ciseaux à bois. Jorge tremblotait derrière lui. Pourtant, malgré la peur qui le saisissait à bras le corps et manquait de le paralyser, le jeune homme continuait d'avancer : la sécurité de ses proches, de ceux qu'il aimait, était son véritable moteur. Grelottant dans le froid de la nuit, la semelle de ses bottes faisant crisser les feuilles mortes et la terre sèche, il ne cessait de scruter les environs à la recherche d'une trace, dans le meilleur des cas d'un ami, dans le pire des cas d'un ennemi.

Son nez s'agita subitement, sans que Zell le remarque : son odorat surdéveloppé, animal, percevait comme un radar la présence d'un individu dans un périmètre de moins de 500 mètres. Une odeur parfumée, délicate, enivrante. En levant les yeux, il aperçut une fine silhouette perchée à la cime d'un arbre. Une silhouette élancée et délicate de danseuse, dans le dos de laquelle la lumière de la lune dessinait deux ailes translucides.

- Z...Zell ! chuchota Jorge en tirant le bras de son ami. Il y a quelqu'un là-haut.

- Hein ? Où ça ?

Mais le temps que leurs yeux se recentrent sur la cime que désignait Jorge, la silhouette avait disparu.

- Tu perds la tête, vieux... soupira Zell. Il faut pas perdre de vue notre objectif.

- Tu parles de cette ombre, derrière les bois ? On ne sait même pas si les autres sont là-bas... Imagine qu'on tombe sur nos ennemis et que...

- Tu as une autre solution ? répondit sèchement Zell sans continuer d'avancer. C'est la seule piste qu'on ait, alors on y va.

Les deux soldats poursuivirent donc leur chemin jusqu'à apercevoir clairement le toit de l'édifice : une très vieille bâtisse, gigantesque, semblable à un manoir. En voyant la lumière de la lune faire briller son toit d'ardoise, Jorge eut un frisson désespéré, sans pour autant oser faire demi-tour : Zell aurait été beaucoup trop furieux. Un instant, le jeune soldat fut ravi que son camarade soit là pour le protéger, mais cette pensée le dégouta bien vite. Il devait arrêter de compter sur les autres et se préparer à se défendre lui-même. S'il était incapable de se battre pour sauver sa peau, comment pouvait-il protéger les autres ?

En progressant dans les bois, les deux hommes pouvaient deviner, dans la pénombre, la silhouette des troncs épais. Parfois, certains étaient déracinés, arrachés, ou percés de trous et d'entailles impressionnants.

- J'ai l'impression de découvrir un vrai charnier, maugréa le jeune charpentier, dont l'amour du bois était connu de tous. Ceux qui ont fait ça n'ont aucun respect pour ces arbres. Je sens une telle violence, une telle rage dans les coups qui leur ont été portés...

- Arrête de dire des trucs pareils ! le supplia Jorge. Imagine que nos amis aient subi le même sort !

Zell l'attrapa par le col.

- Ne commence pas à dire ce genre de choses, idiot ! Ils sont beaucoup trop forts pour se faire dézinguer aussi facilement, et Arthur ne l'aurait pas permis. Il tient à nous comme à sa propre famille. J'ai confiance en lui, en eux.

- Ou... Ouais, moi aussi mais...

Jorge n'eut pas le temps de continuer sa phrase : ils entendirent un crissement derrière les grands arbres, et avant même qu'ils puissent réagir ou préparer une défense, ils furent assaillis. Un projectile furieux, lancé à une vitesse folle, manqua de les percuter de plein fouet.

- Attention ! s'écria Jorge en poussant son camarade.

Ils roulèrent tous deux sur le sol, esquivant le projectile, et celui-ci produisit un fracas assourdissant en percutant les arbres derrière eux. Dans la nuit noir, une voix féminine résonna :

- Je t'avais dit de prendre ton temps, Kito. Tu es trop impatient, comme d'habitude.

Jorge reconnut tout de suite le parfum délicat qu'il avait sentit plus tôt. Il tenta d'en informer Zell, mais un coup d'une puissant formidable l'atteignit au thorax et l'envoya rouler sur le sol terreux. Son camarade se précipita vers lui et l'aida à se relever.

- Merde ! On ne voit rien avec cette obscurité... Si seulement Haru était là.

- Ouais ! confirma Jorge. On doit se tirer d'ici au plus vite, sortir des bois et...

- Non, on ne va pas rebrousser chemin. La seule solution, c'est d'aller vers le manoir.

Jorge avait envie de contester cette idée audacieuse, qu'il jugeait trop risquée, mais il se ravisa et décida de suivre le second du capitaine, en qui il avait toute confiance.

Derrière eux, un vrombissement se fit entendre, comme si un gigantesque insecte les poursuivait en faisant bouger ses ailes.

- Je m'occupe d'eux, Kito. Quel dommage que tu ais perdu du temps, c'est moi qui aurait le privilège de les attraper. Les cadres seront ravis, peut-être même que j'aurai une promotion ! jubila la jeune femme au délicat parfum.

- Cause toujours ! s'écria alors une grosse voix bourrue.

De nouveau, un projectile fusa à pleine vitesse, mais avec une plus grande précision cette fois-ci. Zell se fia à son ouïe et tenta de l'esquiver, mais leur poursuivant le heurta, arrachant à son épaule gauche tout un pan de chair. Zell cria de douleur et, déstabilisé par l'attaque ennemie, chancela. Ce que l'obscurité lui avait caché, c'est qu'un fossé s'étendait à sa droite : le choc le fit penché dangereusement de ce côté, son pied dérapa sur la pente terreuse et, dans un cri, il tomba à la renverse dans le ravin. Tandis qu'il apercevait son ami rouler dans la poussière et criait son nom, Jorge le vit finalement disparaître dans les fourrés obscures en contrebas. Face à lui, la fine silhouette féminine voletait au-dessus du sol, désormais rejointe par son allié.

- Comme le grand Kito est magnanime, tu peux t'occuper de celui qui est tombé, déclara l'homme à la voix bourrue. Il est blessé, donc même une faiblarde comme toi pourra l'achever...

- Quel rabat-joie tu fais, Kito... Je ne peux pas m'occuper de ce rouquin de soldat, plutôt ? Je meurs d'envie de le réduire en charpie !

- Non, déclara sèchement l'homme en mettant son bras devant la jeune femme pour lui barrer le passage. Celui-ci est la proie du grand Kito, Lullaby. Occupe-toi de l'estropié, ou va te faire voir.

La jeune femme ailée souffla, puis s'élança à la poursuite de Zell, ses fines ailes translucides vrombissant dans la nuit. L'homme face à Jorge faisait craquer ses phalanges bruyamment.

- A nous deux, soldat.

Jorge n'avait pas le choix : la plage était trop éloignée et il n'était pas de taille à affronter l'ennemi invisible qui le poursuivait dans le noir. Plutôt que de lutter contre ce fantôme insaisissable, il décida de courir. Il avait toute confiance en Zell. Il savait qu'il était vivant, et décida d'honorer la décision de son ami en poursuivant la direction qu'il avait désignée : galopant à perdre haleine, l'assaillant à ses trousses, Jorge se précipita vers le manoir dont le toit était plus proche que jamais. 

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant