CHAPITRE CXLV - LA REINE DES COURANTS D'AIR

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Les menottes de granit marin bringuebalaient au poignet de Jane, produisant à chacun de ses pas un cliquetis pénible qu'elle avait bien du mal à dissimuler. Son bras lui paraissait lourd, comme ankylosé d'un poids mort. Essoufflée, elle se traînait contre les murs de marbre des coulisses, cherchant en vain une clef capable de la délivrer. Mais depuis quelques minutes, de terribles secousses se diffusaient dans tout le Chapiteau. Que pouvait-il bien se passer ? Elle réfléchit un instant, pesant le pour et le contre. Privée de ses pouvoirs, elle serait sans doute en danger si elle se faisait repérer par une horde d'ennemis. Mais en même temps, elle n'avait pas d'autre choix : c'était là-bas, au cœur de l'action, qu'elle avait les plus grandes chances de trouver de quoi se libérer. Alors, elle souffla un grand coup et inspira pour reprendre des forces puis, traînant son fardeau derrière elle avec épuisement, elle reprit sa lente marche jusqu'à la scène.

Il lui fallut quelques secondes pour comprendre l'ampleur de la lutte épique qui se déroulait sous ses yeux : des bêtes de foire, les êtres les plus étranges qui soient, affrontaient des clowns et autres magiciens dans une mêlée chaotique et bizarre. Si elle n'avait pas été aussi affaiblie, elle aurait très bien pu éclater de rire, mais elle avait mieux à faire : il lui fallait trouver, aussi vite que possible, la clef de ses fichues menottes. La densité de clowns qui se trouvaient ici était si grande que l'un d'entre eux la possédait forcément. Elle balaya donc du regard la scène. Dans la salle, parmi les grands fauteuils de velours et sous les beaux balcons, Jorge affrontait Pagliacci, le colossal directeur du Chapiteau. De tous les côtés, des clowns tiraient, frappaient, tailladaient en vain pour tenter d'arrêter les Freaks incontrôlables. Puis, elle la vit : la vedette à la voix d'ange, cette fille si belle qui l'avait trahie si odieusement. « La garce ! pensa-t-elle. Elle aura forcément de quoi me libérer ! » Et sans attendre davantage, elle se fraya un chemin dans la mêlée, à travers les sièges de velours et derrière le grand rideau, pour approcher la jeune femme recluse. Elle frissonnait dans un coin, un enfant entre ses bras. Devant eux, comme l'ultime rempart de leur bien, un hybride longs-bras longues-jambes se battait comme un beau diable. L'enfant et la vedette était si effrayés qu'ils ne virent même pas Jane arriver. Dès qu'elle attrapa Rosa pour l'immobiliser, celle-ci sursauta et laissa échapper un cri paniqué.

- Qui... Qui est là ? Que me voulez-vous ? Au secours !

Son hybride adoré tenta bien de lui venir en aide, hurlant son nom comme un damné, mais les clowns à repousser étaient trop nombreux. Les sanglots se firent plus forts encore et Jane souffla avec agacement.

- Pas la peine de hurler, je n'ai pas l'intention de te tuer. Quoique... Je le devrais peut-être, non ? Traitresse !

- A... Arrête ! souffla Rosa en se débattant. Je n'avais pas le choix ! Je trahissais moi-même Pagliacci.

Jane ne répondit pas pour la laisser poursuivre. Elle avait envie d'entendre quel prétexte elle allait lui sortir. Comme la vedette continuait de se tortiller sans mot dire, elle raffermit son emprise pour l'inciter à se dépêcher.

- Je... Je voulais profiter du chaos pour libérer les Freaks ! Vous étiez la diversion parfaite, je n'avais pas le choix !

Jane se rappela ce que Rosa leur avait dit, à Jun et elle, quand elle les avait rencontrées : elle ne servait pas Pagliacci de gaîté de cœur. Disait-elle finalement la vérité ?

- S'il... S'il te plait ! Je vais te libérer, je te le promets !

- Arrête de chouiner, toi ! cria Jane à l'enfant qui sanglotait à leurs côtés, impuissant. Me libérer, hein ? Comment je peux te faire confiance ?

Lentement, d'une main fébrile et tremblante, Rosa leva une petite clef d'argent à la lumière des projecteurs. Un sourire satisfait se dessina sur les lèvres de Jane, qui lui chipa sans attendre. Elle se releva en vitesse, prête à se délivrer de ses menottes, mais son regard se posa une seconde sur l'enfant. Cette peau mate, ces tatouages tribaux, ces chevelure hirsute... Il était le portrait craché de quelqu'un.

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant