CHAPITRE XXVII - FORT-TEMPÊTES

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Le ciel était aussi noir qu'en pleine nuit, et les bourrasques de vent, d'une violence inouïe, rendait la conversation impossible : Myr passait son temps à répéter les ordres, à les hurler à s'en éclater les cordes vocales, tandis que le navire tanguait de plus en plus. Soudain, quasiment étouffés par la tempête, les appels de Haru se firent entendre, et tous levèrent la tête vers le nid-de-pie :

- Bâtiment en vue droit devant ! Je discerne même de la lumière, cria-t-elle.

- Quel genre de bâtiment ? lui hurla Myr en retour, tandis que Zell, à ses côtés, se bouchait les oreilles.

- Une sorte de gigantesque tour, comme un phare.

Myr se tourna vers l'édifice, dont l'ombre se dessinait dans l'obscurité.

- Tout ça ne me dit rien qui vaille... souffla-t-il.

- C'est pourtant bien ici qu'est la stèle, confirma Emmy. Le signal est particulièrement puissant.

Alors que le Seagull s'approchait de la gigantesque tour, le vent se fit plus fort encore. Le bois craqua bruyamment, et Zell se jeta sur le pont pour en inspecter les planches abîmées.

- T'en penses quoi ? lui demanda Jorge, qui manœuvrait à la barre avec inquiétude.

- C'est pas bon, tout ça ! répondit le charpentier. Le mat risque de s'effondrer avec un tel vent, et d'entraîner tout le pont dans sa chute. Si ça arrive, on ne pourra pas rejoindre la côte à la nage.

- Tu m'étonnes ! se lamenta Jorge. Je peux même pas nager, à cause de mes pouvoirs. J'espère que vous me porterez, même si je suis lourd comme une ancre !

- T'inquiète, lui répondit Arthur avec un clin d'œil. Et puis, nous n'avons pas encore chaviré, gardons espoir.

Myr, près de la barre, semblait cogiter. De toute évidence, leur salut se trouvait dans cette forteresse ennemie, où ils pourraient arrimer leur navire et s'abriter. Tandis qu'il se grattait le crâne, il se tourna vers ses hommes et donna ses ordres :

- Les gars, attachez-vous !

- Qu'on s'attache ? demanda Jun, incrédule, en essayant de tendre la voile.

- Oui ! Encordez-vous, et plus vite que ça ! Je vais nous rapprocher autant que possible de cette forteresse, mais il faut que vous soyez groupés pour survivre en cas de problème.

- Comment ça, « nous rapprocher » ? cria Jun, affolée.

Mais Myr ne prit pas le temps de lui répondre : il ôta son grand manteau blanc, le jeta dans sa cabine, et bondit dans l'océan avec un plongeon grâcieux. Soles, stupéfié, saisit la main de sa dulcinée :

- Qu'est-ce qu'il lui prend, il est malade ?!

- Pas le temps de poser des questions, Roméo ! lui répondit Zell en lui balançant un bout de corde. Vous avez entendu le vieux, attachez-vous les uns aux autres !

Tous se réunirent sur le pont, sous une pluie battante et glacée, et nouèrent l'épaisse corde autour de leur taille. Puis, ils attendirent, en ligne, le retour du capitaine, imaginant quel étrange stratagème celui-ci avait pu mettre au point.

Soudain, le navire trembla, et tout l'équipage tomba à la renverse.

- Merde ! On a heurté un récif ? demanda Jorge.

- Non, je ne pense pas, bien au contraire ! Regardez ! cria Haru.

Le Seagull, comme arraché à la fureur de l'océan, s'élevait dans le ciel à grande vitesse.

- On flotte ? Que se passe-t-il ?! demanda Igana en s'accrochant au bastingage.

- C'est le vice-amiral ! Il porte le navire !

- Mais... Comment est-ce possible ?!

Myr, à bout de bras, avait saisi le Seagull par la quille et l'avait soulevé avec sa force herculéenne. Poussant sur ses jambes avec rapidité, il semblait rebondir, se servant de l'air comme d'une plateforme pour gagner en hauteur et en vitesse.

- Incroyable ! s'écria Arthur. Comment fait-il pour voler ainsi ?

- Il ne vole pas, le corrigea Soles. J'ai entendu parler de cette pratique, répandue chez les haut-gradés de la Marine : c'est le « pas de lune ». En utilisant tout la force de ses jambes, il peut prendre appui sur les particules d'air et rebondir, à l'infini. Cette pratique demande une puissance et une vivacité hors du commun, c'est stupéfiant !

- Surtout qu'il porte en même temps un navire à bout de bras ! s'écria Emmy avec admiration.

Si Zell et Jun avait rapporté à leurs camarades les exploits de Myr contre le général Adnanos, Arthur ne l'avait jamais vu en action de ses propres yeux. C'était maintenant chose faite, et la fierté qu'il éprouvait lui faisait monter les larmes aux yeux.

- Vous êtes bien accrochés, les p'tits ? Je suis à bout, je vais devoir balancer le navire ! tonna le vice-amiral.

- Balancer le navire ? C'était prévu ça ?! hurla Jorge.

Myr, serrant la quille de toute ses forces, projeta le Seagull vers l'avant, si bien qu'elle percuta le souffle de la tempête de plein fouet et sembla le traverser.

- Pas de lune : meteora ! hurla-t-il en relâchant sa prise.

Bien qu'ils se soient noués les uns aux autres, et qu'ils furent fermement agrippés au mat et à la coque, tous les membres de l'équipage se retrouvèrent la tête renversée, alors que le bateau tournoyait sur lui-même dans les airs. La corde, bien qu'épaisse, se déchira, divisant le groupe en deux. Arthur, Zell et Haru, entraînés par le balancement circulaire du navire, furent projetés dans le ciel, tandis que Jorge et Jun, toujours attachés aux trois bibliothécaires, chutaient dans l'océan.

L'énorme bateau de bois s'écrasa sur l'onde agitée, fort heureusement dans le bon sens, bien que le mat fut sérieusement secoué.

Après leur ascension vertigineuse dans les airs, Arthur et son groupe entamaient leur chute. Haru, fermement cramponnée à Daisy, était aveuglée par ses longs cheveux blonds qui lui fouettaient le visage, tandis que Zell mettait la main sur ses outils de charpentier. Lorsqu'ils arrivèrent à la hauteur de la forteresse, Arthur pointa du doigt une épaisse poutre de bois, afin que son camarade la remarque :

- Là ! s'écria-t-il. Tu penses l'avoir ?

- Aucun soucis, vieux ! affirma Zell en souriant alors qu'il balançait son cordage comme un lasso.

L'épaisse corde s'enroula autour de la poutre et les trois jeunes soldats furent stoppés dans leur chute. Peck, dans la poche d'Arthur, tremblait encore d'effroi, de même que Daisy, enroulée en écharpe autour de Haru. Finalement, le stratagème de Myr, bien que brutal et risqué, s'était avéré ingénieux : les trois apprentis se hissèrent sur l'énorme poutre, puis se glissèrent le long de la paroi rocheuse. Juste au-dessus d'eux, une grande fenêtre laissait échapper une lumière chaude. D'un regard discret, Arthur consulta ses deux camarades, et ils comprirent immédiatement son intention : c'était là leur voie d'entrée dans la forteresse du Zodiaque.


MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant