CHAPITRE LXXXVIII - UNE LAME D'OR DANS LA NUIT

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- Merde... C'est pas vrai ! s'écria Jorge lorsqu'il acheva sa course folle, juste devant le Seagull.

Dès qu'il avait aperçu la silhouette du bateau dans la brume, près de la côte, il avait su qu'il serait compliqué de mettre les voiles rapidement : le navire était entravé, de la coque au mat, par d'épais fils de soie, comme un misérable insecte prisonnier d'une toile d'araignée. Les longs filaments translucides maintenaient le Seagull accroché à la côte, tandis que le Lotta, le petit sous-marin de l'équipe A, gisait dans le sable, démembré, en pièces.

Tout autour, sur le sable noir de la plage, gisaient les corps inertes de nombreuses femmes-insectes. Sans doute était-ce là la garde personnelle de Nephila, qui était devenue incontrôlable comme le reste de son armée et dont elle avait éliminé les membres sur le champ. Parmi elles, Jorge pouvait reconnaître l'officier Lullaby, la sublime libellule au visage d'ange qui l'avait attaqué plus tôt, alors qu'il débarquait sur l'île avec Zell. A présent, ses grands yeux bleus demeuraient ouverts, condamnés à fixer l'obscurité de la nuit à jamais. Pris d'un haut-le-cœur, Jorge porta sa main à sa bouche. Être abattu par son propre capitaine. Quel destin tragique, même pour une sale vermine de pirate... Il se baissa, à genou auprès de Lullaby, et ferma délicatement ses yeux. Il ignorait que la jeune femme était la première victime de Néphila et de ses hommes, qu'elle avait elle-même subi l'infection par le parasite et la lente transformation en femme-insecte. A sa mort, elle n'était plus elle-même, seulement l'instrument de sa maîtresse. Jorge n'avait pas le temps de s'apitoyer davantage sur le sort de cette jeune femme dont il ignorait l'histoire. Pour l'heure, il devait assurer la survie de ses amis. Et la seule solution, c'était de libérer leur navire de la toile ennemie.

Se sentant investi d'une mission capitale, il mit toute son énergie à l'œuvre : il tenta d'arracher les filaments avec ses pattes, ses griffes, ses crocs. Il les frappa de toutes ses forces, les déchiqueta, s'acharnant comme un damné, mais rien n'y fit : la toile était extrêmement résistante. Peut-être Arthur pourrait-il la trancher, avec sa lame d'or ? Jorge jeta un regard penaud vers le grand palais, dont le toit apparaissait derrière la haute cime des arbres. Il ne pouvait pas faire marche arrière, retourner vers ses amis la queue entre les jambes en ayant échoué dans une tâche aussi simple, tandis qu'eux affrontaient l'une des Grands Corsaires. Et puis il y avait Jun et Lola : il ne pouvait pas les laisser là, seules...

Justement, alors que Jorge était perdu en plein réflexion, Lola remua dans le sable. Peck, niché contre son flanc, se mit alors à piaillé, alarmé, mais il ne parvint pas à l'empêcher de se lever. La petite avait été particulièrement éprouvée par cette terrible nuit : elle avait dû affronter d'horribles pirates à l'apparence monstrueuse, utiliser ses pouvoirs pour blesser et vaincre, affronter un gigantesque parasite... Et surtout, elle n'avait plus Mala.

Tant bien que mal, elle s'appuya sur ses bras tuméfiés pour se redresser. Jorge se jeta à ses côtés, essaya de l'apaiser, lui demanda de rester couchée, mais les yeux rougis de la petite demeuraient fixés sur cette longue toile, d'un regard perdu et désespéré. Malgré son chagrin, malgré son malheur et sa douleur, qui perçaient son cœur comme une aiguille brulante, son objectif se fixait désormais sur cette toile qu'il fallait détruire. Elle n'avait plus de parents, elle n'avait plus de sœur, mais du salut de ses nouveaux amis dépendait l'annihilation de ce nouveau piège.

Alors que Jorge insistait pour qu'elle se repose, elle demeura sourde à ses recommandations, attrapa sa sacoche de cuir et en sorti un petit flacon. Elle le déboucha lentement, puis, avec grâce et délicatesse, elle fit tourner sa main dans les airs à la manière d'une cheffe d'orchestre. Le contenu du flacon s'envola, forma une grosse bulle d'un rose fluorescent, et Lola murmura :

- Irrigation : venin mortel

Aussitôt, la bulle, jusque-là en suspension, s'envola jusqu'à la toile et éclata en milliers de gouttelettes qui éclaboussèrent l'épaisse toile. Alors, les fils se dissolurent, comme rongés par le venin de Stinger. « L'arme du lieutenant, retournée contre le général. Quelle ironie... » songea Lola alors qu'elle s'effondrait, à nouveau, épuisée. Et tandis qu'elle sombrait, elle entendit la grosse voix de Jorge crier son prénom.

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant