[TOME 1]La Fille du Temps (Percy Jackson)

Chapitre 45(ok)

-Prévenez-moi quand ce sera fini,a dit Thalia, qui serrait très fort les paupières.

Elle s'agrippait au bras de notre statue.

- Tout va bien,a assuré Percy.

- Est-ce qu'on est... très haut ?

J'ai baissé les yeux. En dessous de nous, une chaîne de montagnes enneigées défilait à toute vitesse. Les pieds de Percy éraflaient la neige des sommets.

-Non, pas si haut que ça.

- On est dans les Sierras ! a hurlé Zoë. J'ai déjà chassé dans ces montagnes. À cette vitesse,nous devrions arriver à San Francisco d'ici quelques heures.

- Hé, hé, Frisco ! s'est écrié notre ange. Yo, Chuck ! On pourrait retourner voir les statues du Mechanics Monument ! Voilà des gars qui savent faire la fête !

- Ah t'as raison, vieux ! a répondu l'autre ange. J'ai trop hâte d'y être !

-Vous êtes déjà allés à San Francisco ? leur ai-je demandé.

- Faut bien qu'on s'amuse un peu de temps en temps, nous autres les automates, non? Ces statues d'ouvriers nous ont emmenés au musée de Young et là ils nous ont présenté ces dames de marbre, tu vois. Et...

- Hank ! est intervenu le dénommé Chuck. Ce sont des enfants, mon pote !

- Ah ouais. Concentrons-nous sur notre vol.

Comme notre vitesse a augmenté, j'ai deviné que les anges étaient impatients d'arriver. Les dames automates devaient être belles. Les montagnes ont cédé la place à des collines, puis nous avons survolé des champs, des petites villes et des autoroutes.

Grover jouait de la flûte de Pan pour passer le temps. Zoé, qui s'ennuyait, envoyait des flèches dans des panneaux publicitaires au hasard. Chaque fois qu'elle voyait un grand magasin TARGET, elle fichait une flèche pile au milieu de leur enseigne, à plus de cent cinquante à l'heure.

Thalia n'a pas ouvert les yeux de tout le trajet. Elle marmonnait toute seule, comme si elle priait.

- T'as assuré, au barrage, lui a dit Percy. Zeus t'a écoutée.

- Peut-être. Au fait, comment tu as échappé aux squelettes dans la salle du générateur ? Tu disais qu'ils t'avaient coincé.

Il nous a raconté qu'une mortelle,Rachel Elizabeth Dare,lui avait sauvé la mise en racontant au squelettes qu'il était parti d'un côté alors qu'elle l'avait caché dans les toilettes. Il nous a dit qu'elle avait pu voir l'épée à travers la Brume.

-Il y a certains mortels comme ça, a dit Thalia. Personne ne sait pourquoi.

-Ta mère voit à travers la Brume,ai-je fait remarquer.

- Enfin, a-t-il repris, cette fille était casse-pieds mais je suis content de ne pas l'avoir pulvérisée. Ç'aurait été mal.

Thalia a hoché la tête.

- Ça doit être bien d'être un mortel ordinaire, a-t-elle déclaré.

Son ton m'a laissé penser que,elle aussi,elle avait beaucoup réfléchi à la question.

- Où est-ce qu'on vous dépose, les gars ?a demandé Hank.

Si j'avais déjà vu des photos de San Francisco,j'étais bien loin de la réalité. Si ça n'avait pas été aussi infesté de monstres,j'y aurai habité sans problème. C'était proche et lointain de Manhattan. Les deux sont des grandes villes. Mais San Francisco était plus propre,entouré de brouillard et de collines verdoyantes.

Des bateaux flottaient sur la baie,traversé par le Golden Gate Bridge qui émergeait du brouillard.

- Près de ce bâtiment, là, a suggéré Zoé. À l'Embarcadero.

- Bien vu, a dit Chuck. Hank et moi, on pourra se fondre dans la masse, comme les pigeons.

On l'a tous regardé.

-Je plaisante, a-t-il ajouté. Les statues ne peuvent pas avoir le sens de l'humour ?

En fin de compte, il n'a pas été nécessaire de se fondre dans la masse. Il était encore tôt et il y avait très peu de monde dehors. On a fait peur à un sans-abri quand on s'est posés sur le quai du ferry-boat. Il a poussé un cri en voyant Hank et Chuck et détalé en hurlant que les anges de métal envahissaient notre planète. Encore un qui allait se faire enfermer à l'asile...

Nous avons dit au revoir aux anges, qui sont partis à tire-d'aile faire la fête avec leurs amis statues.

Nous étions arrivés sur la côte Ouest. Artémis était quelque part dans les parages. Et sans doute Luke. Mon appréhension grandissait au fur et à mesure du temps,alors que ma détermination, et peut-être ma joie de le revoir, disparaissaient.

Nous étions à la veille du solstice d'hiver. Nous n'avions aucune idée de quel monstre Artémis pouvait chasser. Nous ne savions pas où elle pouvait être.

Après une courte discussion, on est tous tombés d'accord qu'il fallait découvrir quel était ce monstre mystérieux.

- Mais comment ? a demandé Percy.
- Nérée, a répondu Grover.

- Quoi ? s'est étonné Percy.

- Ce n'est pas ce que t'a dit Apollon ? De chercher Nérée ?

Il a hoché la tête et je me suis demandé comment il avait fait pour oublier une conversation aussi importante.

- Le Vieillard de la mer. Je suis censé le forcer à nous dire ce qu'il sait. Mais comment vais-je le trouver ?

Zoë a grimacé. Apparemment,l'idée d'Apollon ne lui plaisait pas. Peut-être parce qu'elle venait d'un dieu mâle,ou peut-être était-ce l'idée en elle-même.

- Le vieux Nérée ?

- Tu le connais ? a demandé Thalia.

- Ma mère était une déesse de la mer. Oui, je le connais. Il n'est jamais très difficile à trouver, malheureusement. Il suffit de suivre l'odeur.

- Qu'est-ce que tu veux dire ?demandai-je.

- Venez, a-t-elle dit pour toute réponse. Je te montrerai.

Elle nous a conduit devant un magasin de l'Armée du Salut,et nous avons affublé Percy des pires vêtements que nous avions pu trouver.

- Ah ouais, a commenté Grover en se retenant de rire, là tu vas passer complètement inaperçu.

- Le vagabond mâle dans toute sa splendeur, a acquiescé Zoë.

- Merci beaucoup, a-t-il grommelé. Pourquoi je fais ça, déjà ?

-Je te l'ai dit. Pour te fondre dans la masse.

-Tu es parfait,ris-je.

Il m'a lancé un regard noir qui m'a fait redoubler de rire.

À la suite de Zoë, nous avons regagné les quais. Après avoir longuement arpenté les jetées, elle a pilé net. Du doigt, elle en a indiqué une où plusieurs SDF étaient regroupés, emmitouflés dans des couvertures, en attendant que la soupe populaire ouvre pour le déjeuner de midi.

- Il sera quelque part par là, a dit Zoë. Il ne s'éloigne jamais beaucoup de l'eau. Il aime prendre le soleil pendant la journée.

- Comment saurai-je lequel c'est?

- Faufile-toi dans le groupe. Comporte-toi comme un sans-abri. Tu le reconnaîtras. Il a une odeur... caractéristique.

- Formidable. Et quand je l'aurai trouvé ?

- Empoigne-le,a ordonné Zoé, et ne le lâche pas. Il essaiera de se débarrasser de la tienne étreinte par tous les moyens. Quoi qu'il fasse, ne lâche pas prise. Oblige-le à te dire ce qu'il sait sur le monstre.

- Nous te couvrons, a ajouté Thalia. (Elle a attrapé quelque chose sur le dos de sa chemise, une espèce de boule duveteuse non identifiable.) Beurk. On te soutient moralement, je veux dire.

J'ai hoché la tête. Grover a levé le pouce en signe d'encouragement.

-C'est formidable d'avoir des amis aussi puissants,a-t-il grommelé en s'éloignant.

Nous l'avons regardé de loin,et il a fini par empoigner un des sans-abri. Ils se sont battus sous les huées des autres SDF et ont dévalé l'escalier de la jetée.

Grover, Zoë, Thalia et moi nous sommes empressés de les rejoindre.

- Tu l'as attrapé ! s'est écriée Zoë.

- Il n'y a pas de quoi être tellement étonné, a marmonné Percy.

- Merveilleux ! a gémi Nérée. J'ai droit à une humiliation en public. C'est le marché habituel, je suppose ? Tu me laisseras partir si je réponds à ta question ?

-J'ai plus d'une question.

- Une seule question par capture ! C'est la règle.

Percy nous a regardé avant de soupirer

- D'accord, Nérée. Dis-moi où trouver ce terrible monstre qui pourrait provoquer la chute des dieux. Celui qu'Artémis chassait.

Le Vieillard de la mer a souri, montrant des dents vertes de mousse.

- Fastoche, a-t-il dit sur un ton méchant. Il est juste là.

Nérée a montré du doigt l'eau qui clapotait.
- Où ça ?

- Ça y est, j'ai rempli ma part du contrat ! a jubilé Nerée.

Et avec un petit bruit mat, il s'est changé en poisson rouge puis il s'est propulsé dans l'océan.

- Tu m'as roulé ! a hurlé Percy.

Je lui ai posé la main sur l'avant-bras pour le retenir de se jeter à l'eau chercher Nérée,c'était peine perdue. J'avais aussi espéré le calmer,mais si ça fonctionnait sur Luke,pas sur Percy.

- Attends. (Thalia a écarquillé les yeux.) Qu'est-ce que c'est que ça ?

- MEUHHHHHHH !

J'ai baissé les yeux. Un mélange entre la vache et le serpent regardait Percy avec ses grands yeux bruns.

-Ah, Bessie, a-t-il dit. Pas maintenant.

- Meuh !

Grover a hoqueté.

- Il dit qu'il ne s'appelle pas Bessie.

- Tu la comprends ? Tu le comprends, plutôt ?

- C'est une forme de langage animal très ancienne, a expliqué Grover en hochant la tête. Mais il dit que son nom est l'Ophiotauros.

- L'Ophio quoi ?

- Ça veut dire taureau-serpent en grec, est intervenue Thalia. Mais qu'est-ce qu'il fait ici ?

- Meuhhhhhhh!

- Il dit que Percy est son protecteur, a annoncé Grover. Et qu'il fuit les méchants. Et que les méchants sont tout près.

Je me suis demandée comment on pouvait exprimer tout ça en un seul meuh. Mais si Grover le disait, nous ne pouvions que le croire. En tout cas,c'était pratique d'avoir un satyre sous la main.

-Une seconde, a dit Zoë en se tournant vers Percy. Tu connais cette vache ?

-Elle...Il,plutôt, était pris dans des filets dans le détroit de Long Island,et je l'ai aidé à s'en dépêtrer.

Thalia a secoué lentement la tête, l'air sidéré.

- Et tu as oublié de nous en parler ?

- Ben... ouais.

-Ça ne devait pas lui paraître très important,déclarai-je.

- Mais je suis bête, s'est écriée soudain Zoé. Je connais cette histoire !

- Quelle histoire ?

- De la guerre des Titans. Mon... mon père m'a raconté ce récit il y a quelques milliers d'années. C'est le monstre que nous recherchons.

- Bessie ? Mais... il est trop mignon. Il serait incapable de détruire le monde.

- C'est là que nous avons fait fausse route, a dit Zoé. Nous cherchions un monstre énorme et dangereux, mais ce n'est pas ainsi que l'Ophiotauros peut faire tomber les dieux. Il doit être sacrifié.

- MMMM ! a grondé la vache-taureau.

-Je ne crois pas que le mot en s lui plaise, a glissé Grover.

Percy a tapoté la tête de "Bessie".

- Qui pourrait lui faire du mal ? a-t-il demandé. Il est parfaitement inoffensif.

Zoë a hoché la tête.

- Mais tuer l'innocence génère du pouvoir. Un pouvoir terrible. Il y a quelques éternités de cela, à la naissance de cette créature, les Parques ont prononcé une prophétie. Elles ont dit que quiconque tuerait l'Ophiotauros et sacrifierait ses entrailles au feu aurait le pouvoir de détruire les dieux.

-MMMMM!

- Hum, a fait Grover. On pourrait peut-être éviter de parler d'entrailles, aussi.

Thalia a regardé le taureau-serpent avec stupeur. J'essayai d'approcher ma main de son museau, mais à chaque fois que j'approchai,Bessie s'éloignait. Les vaches ne m'avaient jamais beaucoup aimé.

- Le pouvoir de détruire les dieux... mais comment ? Je veux dire, que se passerait-il ?

- Nul ne le sait, a répondu Zoë. La première fois, durant la guerre des Titans, l'Ophiotauros a été tué par un géant allié des Titans mais le tien père, Zeus, a envoyé un aigle attraper les entrailles avant qu'elles ne soient jetées aux flammes. Il s'en est fallu de très peu. Et maintenant, trois millénaires plus tard, l'Ophiotauros est rené.

Thalia s'est assise sur le quai. Elle a tendu la main et Bessie s'est aussitôt approchée. Thalia lui a posé la main sur la tête ; Bessie a frissonné. J'étais presque jalouse.

Quelque chose dans l'expression de Thalia me tracassait. Elle avait l'air... presque vorace.

- Nous devons le protéger, lui ai-je dit. Si jamais Luke s'en emparait...

- Luke n'hésiterait pas, a marmonné Thalia. Le pouvoir de renverser l'Olympe. C'est... c'est phénoménal.

- En effet, ma chère, a dit une voix masculine à l'accent français prononcé.(Ayant des origines françaises, et sachant le parler,je le reconnaissais très bien.) Et c'est toi qui vas déclencher ce pouvoir.

Avec un gémissement, l'Ophiotauros s'est immergé dans l'eau.

J'ai levé la tête,et fait apparaître Tharròs dans ma main. Absorbés par notre conversation, nous nous étions laissé surprendre.