Chapitre 44✔

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Nous sommes montés à bord d'une très vieille dépanneuse qui avait l'air de pouvoir rouler et le plein d'essence.

Thalia s'est mise au volant,Zoë à côté d'elle,Percy et Grover sur le plateau,et moi je n'ai pas eu la force de râler pour conduire. Je me suis assise sur l'espèce de banquette entre elles.

Personne ne parlait,de nous trois. Nous ne savions pas quoi dire. Et c'était peut-être mieux...


La dépanneuse est tombée en panne d'essence au bord d'un fleuve encaissé dans un canyon. Mais ce n'était pas très important,puisque la route était en cul-de-sac.

Thalia est sortie et a claqué la portière. Aussitôt, un pneu a explosé.

- Super. On fait quoi, maintenant ?

J'ai parcouru les alentours du regard. Il n'y avait pas grand-chose à voir. Du désert dans toutes les directions. Le canyon était la seule perspective intéressante. Le fleuve lui-même n'était pas très important, peut-être quinze mètres de large, mais ses eaux vertes et parcourues de rapides entaillaient profondément le paysage. À quelques pas de nous, la falaise tombait en à-pic vers le cours d'eau.

- Il y a un sentier, a dit Grover. On pourrait rejoindre le fleuve.

J'ai essayé de voir de quoi il parlait et fini par repérer une corniche étroite qui serpentait sur le pan rocheux.

- C'est un sentier de chèvres, a fait remarquer Percy.

- Et alors ?

- Alors on n'est pas tous des chèvres.

- C'est jouable, a dit Grover. À mon avis.

Je n'étais pas convaincue.

- Non, a répondu Percy d'un ton ferme. Je crois, euh, qu'on devrait aller voir plus en amont.

- Mais... a fait Grover.

- Allez, ça ne nous fera pas de mal de marcher un peu.

Nous avons longé le fleuve pendant près de deux kilomètres avant de parvenir à une pente plus douce qui descendait jusqu'à l'eau. Sur la rive, il y avait un centre de location de canoës, fermé pour la saison, mais j'ai laissé une pile de drachmes en or sur le comptoir, avec un petit mot. J'ai préféré que ce soit moi qui l'écrive,les autres étant pour le plupart dyslexique.

- Il faut que nous remontions le fleuve, a dit Zoë. (C'était la première fois qu'elle prenait la parole depuis qu'on avait quitté la casse et le son de sa voix m'a inquiétée; elle avait l'air malade.) Mais les rapides sont trop forts.

- Laisse-moi m'occuper de ça, a dit Percy.

On a mis les canoës à l'eau,et Thalia a pris Percy à part. Je ne sais pas de quoi ils ont pu parler, mais Thalia avait l'air soulagée en revenant.

À peine installée dans une embarcation avec Percy et Zoë, j'ai jeté un coup d'œil dans le fleuve et vu deux naïades qui nous regardaient.

Elles ressemblaient à n'importe quelles adolescentes qu'on croiserait dans la rue, à la différence près qu'elles vivaient sous l'eau.

- Salut ! a dit Percy.

Elles ont émis un petit gargouillis. J'ai grimacé. Combien de naïades avaient bien pu draguer Luke,à la colonie? J'avais arrêté de les compter il y a bien longtemps.

- On veut remonter le fleuve,a ajouté Percy.Est-ce que vous pourriez...

Sans que Percy ait fini sa phrase, les naïades ont choisi un canoë chacune et nous ont poussés vers l'amont. Elles ont démarré si vite que Grover est tombé à la renverse dans son canoë.

-Je déteste les naïades, a grommelé Zoé.

Un jet d'eau a fusé de derrière le bateau et l'a frappée en plein visage.

- Diablesses !

Zoë a attrapé son arc.

- Ho, du calme ! s'est écrié Percy. Elles jouent, c'est tout.

- Fichus esprits des eaux. Elles ne m'ont jamais pardonné.

- Pardonné quoi ?

- Ça fait longtemps, a répondu Zoë en remettant son arc sur son épaule. Laisse tomber.

Nous filions le long du fleuve dominé par les hautes falaises qui se dressaient de chaque côté.

- Ce qui est arrivé à Bianca n'est pas ta faute, lui a dit Percy. C'est ma faute. C'est moi qui l'ai laissée y aller.

Je me suis demandé si Percy avait eu raison de parler de Bianca.

- Non, Percy. Je l'ai poussée à se joindre à cette quête. J'ai été trop impatiente. C'était une sang-mêlé puissante. Et elle avait le cœur généreux, également. Je... je pensais qu'elle serait la prochaine lieutenante.

- Mais c'est toi, la lieutenante.

Elle a agrippé la bandoulière de son carquois. Elle avait l'air fatiguée par tant d'années au service d'Artémis.

-Rien ne dure éternellement, Percy. Voici plus de deux mille ans que je mène la Chasse et ma sagesse n'a pas grandi. À présent, Artémis elle-même est en danger.

- Écoute, ça, tu ne peux pas te le reprocher.

-J'aurais dû insister davantage pour l'accompagner...

-Tu t'imagines que tu aurais pu combattre une créature assez puissante pour enlever Artémis ? Tu n'aurais rien pu faire.

Zoë n'a pas répondu.Les falaises qui encadraient le fleuve étaient de plus en plus hautes. Leurs ombres s'allongeaient sur l'eau, nous coupant le soleil, et il faisait plus frais.

Percy a sorti son stylo-épée. Zoé a regardé le stylo-bille et une expression douloureuse s'est peinte sur son visage.

- C'est toi qui l'as fabriquée, a dit Percy.

Je me suis demandée comment il pouvait le savoir,et la Chasseresse a fait écho à mes pensées.

- Comment le sais-tu ?

-J'ai fait un rêve à ce sujet.

Elle a soupiré. Je m'étais attendue à ce qu'elle le détrompe, mais elle avait apparemment décidé de se livrer.

- C'était un cadeau. Et une erreur.

- Qui était le héros ?

Zoë a secoué la tête.

- Ne m'oblige pas à dire son nom. J'ai juré de ne jamais le prononcer.

- Tu te comportes comme si je devais le connaître.

-Je suis sûre que tu le connais, jeune héros. Vous autres garçons, ne rêvez-vous pas tous d'être comme lui ?

Il y avait une telle amertume dans sa voix... J'ai compris que c'était à cause de ce héros qu'elle avait rejoint la Chasse.

- Ta mère était une déesse de l'eau ? a demandé Percy.

- Oui. Pléioné. Elle a eu cinq filles. Mes sœurs et moi. Les Hespérides.

- Les filles qui vivaient dans un jardin à la limite de l'Occident. Avec l'arbre aux pommes d'or et le dragon qui les gardait.

- Oui, a acquiescé Zoë d'une voix nostalgique. Ladon.

J'ai grogné. Ladon n'était pas le dragon le plus adorable qu'on puisse rencontrer. En tout cas, c'est ce qu'on m'avait dit,mais j'aurais très bien pu le deviner en voyant les dégâts qu'il avait pu causer.

- Mais elles étaient seulement quatre, n'est-ce pas ?a demandé Percy.

- Elles ne sont que quatre maintenant. J'ai été exilée. Oubliée. Effacée comme si je n'avais jamais existé.

- Pourquoi ?

Zoë a montré Turbulence d'un geste.

-Parce que j'ai trahi ma famille et aidé un héros, a-t-elle expliqué. Cela non plus, tu ne le trouveras pas dans la légende. Il n'a jamais parlé de moi. Après l'échec de sa tentative d'attaque frontale contre Ladon, c'est moi qui lui ai dit comment s'y prendre pour voler les pommes et berner mon père, mais il s'en est attribué tout le mérite.

- Mais...

Glou glou... a dit la naïade dans mon esprit. Le canoë ralentissait. J'ai levé la tête et compris pourquoi. Nous n'irions pas plus loin. Le fleuve était bloqué. Un barrage de la taille d'un terrain de football se dressait en travers de notre route.

- Le barrage Hoover, a dit Thalia. Il est immense.

Nous étions sur la berge du fleuve et contemplions une voûte de béton qui se déployait entre les falaises. Des gens marchaient sur le haut du barrage ; ils étaient tellement petits,vus de loin...

Les naïades nous ont quittés en proférant force gargouillis. Je n'ai rien compris, mais il était clair que ce barrage qui interrompait le cours de leur joli fleuve leur faisait horreur. Il ne fallait pas parler comme elles pour le comprendre...

Nos canoës sont redescendus vers l'aval, tourbillonnant dans le sillage des vannes du barrage.

-Deux cent un mètres de haut, a dit Percy. Construit dans les années 1930.

[TOME 1]La Fille du Temps (Percy Jackson)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant