CHAPITRE CXLV - LA REINE DES COURANTS D'AIR

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- Tu... Tu es le fils du Lion Rouge ? Hataro, c'est ça ?! bafouilla-t-elle avec excitation.

L'enfant ouvrit de grands yeux et son regard se tourna instinctivement vers Jorge. Jane comprit sa pensée et acquiesça vivement.

- Oui, nous sommes ensemble ! Enfin... Pas ensemble, mais tu m'as compris ! Nous sommes venus ensemble pour te secourir ! Ton père est là, Arthur aussi !

L'enfant, dont les grands yeux verts étaient encore humides, ne semblait pas comprendre grand-chose. Tant d'inconnus se pressaient à son secours. Il ne savait pas s'il devait les prendre pour des fous ou se réjouir. Tout ce qu'il souhaitait, c'était retrouver son père.

Après une seconde d'hésitation, il se jeta sur Jane et lui attrapa les mains avec toute sa ferveur juvénile.

- Mademoiselle, je...

Il marqua un temps d'arrêt. Tant de choses se bousculaient dans sa petite tête. Mais avant qu'il puisse poursuivre, son œil de chasseur capta un mouvement derrière Jane.

- Mademoiselle, attention !

Le fluide de la pirate perçut la menace, une seconde trop tard. Son ultime réflexe, plutôt que de se délivrer de ses menottes ou de se retourner pour contrattaquer, fut de repousser l'enfant powath pour le protéger. Brutal et vif, le coup la heurta de plein fouet avant même qu'elle en voit la source. Elle roula sur le parquet de la scène, étourdie, tandis que dans son oreille raisonnait comme en écho les cris de la vedette et de l'enfant. Avec ces fichues menottes, son corps n'avait plus rien d'extraordinaire ni d'aérien : il était celui d'une jeune femme tout à fait ordinaire.

Le colosse qui lui faisait face la regardait d'un air niais, ses petits yeux de crevette clignotant comme des ampoules grillées. Son gros doigt se portait à sa lèvre pendante, lui donnant des airs d'enfant attardé.

- La méchante dame l'est tombée... Toi vu, Houdi ?

- J'ai vu, oui. Jolie attaque, Alexev. Ta force a crû, ces derniers temps.

- Moi soulever six-cents kilos avec ma main, moi ! ricana l'autre, heureux du compliment.

Elle se redressa avec difficulté, la tête lui tournant, et voulut détacher ses menottes. Mais elle ne comprit qu'alors, et avec horreur, que la clé lui avait échappé des mains à l'impact : elle trainait sur le parquet, à quelques mètres d'elle, l'argent brillant de l'éclat des projecteurs. Elle se projeta vers l'avant pour tenter de l'attraper mais un nouveau coup du lourdaud la repoussa. Elle était trop épuisée pour se servir de son fluide, qui était pourtant des plus développés.

Alors qu'elle se tordait de douleur, le complice du balourd s'approcha et s'accroupit devant elle. Lentement, avec grâce, il lui tira son haut de forme.

- Ciao, bella ! Je suis Houdi le prestidigitateur, meneur de la Supra Nostra. Le grand gaillard qui me suit est Alexev l'haltérophile, l'homme le plus fort de la troupe. Enchanté !

Il lui tendit sa main gantée, à laquelle elle cracha avec mépris en essayant de se relever. Il eut un mouvement de recul dégouté puis, furieux, la repoussa d'un coup de pied.

- Petite souillon que tu fais ! Ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre une ancienne Corsaire, mais je dois dire que je suis bien déçu. Tu n'as pas la force de maître Arlequin, ni son charisme et encore moins sa courtoisie. Je m'attendais à découvrir les pouvoirs de la Princesse du Vent, mais je ne vois rien de plus que de minables et désagréables courants d'air.

Ce fut au tour de Jane d'être furieuse. Être méprisée par un tel freluquet lui était insupportable : elle qui avait combattu les plus féroces ennemis n'aurait aucun mal à se débarrasser de tous ces types en un claquement de doigt. Mais il y avait ces fichues menottes...

Houdi fit un petit signe à Alexev qui s'avança vers Jane en silence, son gros corps dodelinant de gauche à droite. Cachés derrière le rideau, Rosa et Hataro tremblaient comme des feuilles. La vedette regarda la jeune femme se faire attraper par le colosse, sans pour autant pouvoir réagir. Elle se sentait aussi impuissante que lorsque Lonny était hué sur scène et qu'elle se contentait d'être le témoin silencieux de ses supplices.

Alexev souleva le corps de Jane sans le moindre mal, les bras de la jeune femme prisonniers de ses énormes mains de colosse. Comme sur une croix de bois, les bras étendus, il la forçait à adopter la position d'un martyr. Elle tentait de se débattre, de lutter, mais elle n'en avait plus la force : le granit marin lui drainait tout. Houdi se plaça en face d'eux, retira son chapeau et en tira une longue et fine lame. « J'aurais préféré un lapin... » pensa Jane avec un sourire triste. Ce n'était pas la mort qui l'effrayait, mais de mourir de manière aussi stupide, de la main de sbires aussi minables. Elle méritait mieux que cela. Alors, lentement, Houdi leva son épée et ajusta sa ligne de mire.

- Ciao, bella !

Il jeta la lame.

- Non !

Le cri avait déchiré la gorge de Rosa alors qu'elle se précipitait sur le magicien, le bousculant de toutes ses forces. Le tir, raté, amena la lame à percuter le mur de marbre dans un tintement aigu tandis que Houdi roulait à terre.

- Sale garce... ! s'écria-t-il en repoussant la vedette. Alexev, réduis-la en poussière !

Mais alors que l'ordre montait lentement au cerveau de l'haltérophile, les yeux épuisés de Jane perçurent un mouvement et un éclat.

L'enfant.

Il était là, lui aussi. Il s'était jeté sur scène aux côtés de la vedette pour venir au secours de cette femme qu'il connaissait à peine.

Et cet éclat argenté qui tourbillonnait dans les airs, dans la lumière des projecteurs...

L'esprit de Jane, embrouillé par les coups, se recentra immédiatement. Elle écrasa de toutes ses forces le gros pied d'Alexev, qui hurla de douleur et relâcha sa prise, puis lui balança un coup de tête en plein dans le menton. Et alors, tandis qu'il tombait en arrière en pleurnichant comme un nourrisson, elle bondit dans les airs. Elle entendit Houdi crier de rage, des clowns affluer tout autour d'elle, Alexev se plaindre qu'elle lui avait cassé une dent. Mais son attention était fixée sur cet éclat vers lequel elle tendait sa main et sur lequel sa prise se referma.

La clef.

- Petite carogna ! grogna Houdi en se jetant sur Rosa. Tout est de ta faute ! Tu imagines la prime que j'aurais touchée si j'avais tué cette Corsaire ? Messire Arlequin m'aurait donné la place de Pagliacci !

Et tandis qu'il s'apprêtait à l'étrangler de ses mains furieuses, que Lonny hurlait le nom de sa bien-aimée et tentait de se frayer un chemin parmi les clowns, qu'Alexev se ruait sur l'enfant pour le broyer de son énorme masse, un bruit résonna et marqua la fin du combat.

Le bruit des chaînes de granit marin tombant sur le parquet de bois.

- Perfect air gun : 250 knots !

Houdi, Alexev et les clowns furent écrasés contre le parquet de bois de la scène qui, sous la pression de l'onde de choc, s'effondra immédiatement dans un craquement assourdissant. La pression créa un gouffre béant sur plusieurs dizaines de mètres de profondeur, projetant des éclats de bois et de marbre partout dans l'air, révélant les galeries souterraines qui s'ouvraient, sous le Chapiteau, sur les entrailles de l'île. Des entrailles sombres et humides, composées de tuyaux, de mécanismes divers, d'égouts crasseux et puants... Et tandis que les clowns et leurs lieutenants chutaient dans ces abysses obscures, hurlant à gorge déployée, Jane rattrapa la vedette et son protégé d'un mouvement habile et vif, pour leur éviter le même destin.

- Êtes-vous un ange gardien ? souffla Rosa avec un sourire soulagé en s'accrochant de toutes ses forces à la main de la Corsaire.

- Peut-être bien... répondit l'autre avec un air complice.

Elle les déposa en douceur sur les restes de la scène où les Freaks repoussaient encore les quelques clowns qui étaient parvenus à échapper à son attaque. Dans la poussière, le haut de forme de Houdi avait été abandonné. Elle le ramassa, hésita un instant à le mettre sur sa tête en signe de victoire, puis se résigna et le jeta dans le gouffre qu'elle avait créé, et dans l'obscurité duquel ses adversaires venaient de disparaître. Elle le regarda flotter dans l'air et disparaître petit à petit, tourbillonnant comme une feuille dans le vent. Même si ce n'était que des courants d'air, elle demeurait la reine. 

MARINES - A ONE PIECE story (FRENCH) - Partie IWhere stories live. Discover now