Chapitre 7-4 ( b) : Liam

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Mon arrivée date d'à peine quinze jours et pourtant cet univers de grisaille et de désespoir a laissé sur moi une empreinte si nette qu'il me semble en avoir pris pour l'éternité.

L'architecte qui a conçu les plans du lycée devait être un visionnaire. Il a su anticiper la raison d'être ultime de cette bâtisse : une prison pour ados paumés. Il n'attendait plus que moi, ce bloc imposant de ciment qui se détachait dans la lumière terne du crépuscule. À ma descente du fourgon cellulaire, j'ai été comme assommé par son énorme masse noircie par les fumées des gaz d'échappement, salie par les fumées des industries avoisinantes, maculée des débris de la rue, barbouillée par la fiente des pigeons, souillée de la détresse de ses derniers habitants. La poisse s'entêtait à m'accompagner. Ça faisait longtemps déjà que j'avais dû m'incliner devant cette évidence irréfutable. Mais là, tel le Petit Poucet confronté à l'Ogre qui voulait le dévorer, j'ai réalisé que toutes mes mésaventures passées n'étaient rien par rapport au sort inéluctable qui m'était réservé.

On nous mena, Madison et moi, le long d'une série de hauts bâtiments rectangulaires qui nous toisaient avec une hostilité manifeste. J'ai levé les yeux et me suis rendu compte qu'avait été ajoutée tout autour des constructions une double rangée de grillages surmontée de rouleaux de fils barbelés, tranchant comme des lames de rasoir. Une large porte d'acier protégée par deux gardes à l'entrée s'est ouverte quand un des légionnaires a frappé. Madison s'est effondrée comme si elle savait qu'elle ne connaîtrait plus jamais la liberté. Un soldat l'a relevée sans ménagement. On a franchi l'ouverture et l'ogre nous a avalés, tel le glouton Chronos se repaissant de sa propre progéniture.

On fut escorté vers une petite tour, elle aussi défendue par une clôture, et poussé dans un bâtiment impersonnel qui devait jadis abriter l'administration. Notre petit groupe impavide s'est alors heurté à un autre arrivage, beaucoup plus bruyant : les enfants capturés en même temps que nous mais emmenés par un autre panier à salade. Ils paniquaient, tremblaient, pleuraient, claquaient des dents. D'autres ne bougeaient plus, repliés sur eux-mêmes.

Ivre de révolte contenue, j'étouffais. À deux doigts de me laisser dominer par un instinct animal, voire bestial, j'éprouvais le besoin d'en découdre au plus vite, sans me soucier des conséquences de mon comportement. Heureusement, les menottes m'entravaient toujours les poignets et les Oiseaux veillaient au grain. Ralph m'a secoué discrètement par un pan de ma veste.

— Du calme, a-t-il murmuré, si tu veux sortir de là vivant, écrase-toi et évite les conneries !

— On va t'inscrire avec les Neutres, a surenchéri son collègue. Pour voir venir. Mais tonton, il a intérêt à rapidement se manifester... avec l'oseille... sinon...

Il n'a pas achevé sa phrase mais la menace était claire. J'ai pourtant ressenti un soulagement immédiat et hoché la tête à trois reprises pour bien montrer que j'avais compris.

Notre escorte satisfaite, grillant la priorité, nous a alors dirigés vers un premier bureau. Pour l'enregistrement, ai-je supposé. Une fausse blonde harassée, affichant un air absent, a pris le nom, le prénom et l'adresse de Madison.

Quand est venu mon tour, Ralph, l'air dégagé, a laissé tomber d'un ton ennuyé :

— Celui-là, il nous a fait tout un foin comme quoi il s'agirait d'une erreur. Un oncle doit venir le reconnaître.

— Dans ce cas, m'oubliez pas ! a rétorqué la secrétaire, tout en conservant sa contenance imperturbable mais en adressant un discret clin d'œil à mon prétorien.

— Allez, donne le nom de tonton, m'a interpellé ce dernier en me bousculant durement.

Je me suis exécuté ; nous sommes ressortis. Ralph a fait mine d'essuyer une larme.

Tueur de MondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant