Chapitre 6-3 : Samuel

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( Sud Quercy 5 août 13 h 37)

Bien qu'entraîné par son survivaliste de père pour affronter la fin du monde, Samuel souffre d'être laissé de côté par son beau-père et Clément Adler, le propriétaire du Tuc-Haut. Il est persuadé d'être le plus apte du hameau pour gérer la situation...  

Je plisse les yeux. Les champs s'assoupissent sous la lumière ardente d'un soleil implacable. Même mes Ray Ban échouent à me protéger. Du haut de mon donjon, je domine ; la campagne file droit jusqu'aux Pyrénées qui barrent l'horizon. Je hume la solitude, le silence des pierres, le malaise de la végétation, me fortifiant grâce à cette impression rare et fugitive d'être le roi du monde.

Un bouleversement minime. Trois infimes traits sombres verticaux. Des silhouettes se détachent du mur d'enceinte. Trois pions noirs de cet immense jeu d'échecs se déplacent. Ils ont mordu à l'hameçon. La partie peut débuter.

À moi de jouer !

Je sors un miroir de poche, envoie le signal et dégringole quatre à quatre l'escalier en colimaçons au risque de me rompre le cou. Je trace tellement dans l'étroit couloir qui mène aux pièces principales que je heurte sans m'en apercevoir Jesse qui me décoche un regard circonspect.

Je mets ainsi fin, sans le vouloir, à des semaines de jeu du chat et de la souris. Depuis qu'il sait que je sais. Dire que nos relations se sont distendues serait un euphémisme. On se fuit, on s'évite, on se toise, on s'étudie. Mettez-nous dans la même salle et l'air devient aussitôt plus épais. Un mot de moi et sa couverture tombe. Il est à ma merci. J'adore !

Je traverse à fond le bar, passe en trombe dans le salon d'accueil, manque de peu Daphné à qui j'envoie un baiser du bout des doigts, passe la porte et fais irruption dans la vaste cour rectangulaire.

Le porche étant fermé, je n'ai plus la possibilité d'apercevoir mes cibles.

Quelques secondes me sont nécessaires pour m'habituer à la lumière aveuglante qui se réverbère sur les pavés. Je pose mes lunettes sur mes yeux, pousse le portail, me faufile par l'ouverture et emprunte le pont-levis.

Je scrute la vallée, le regard fébrile.

Au loin, Medhi me fait de grands signes.

Je descends en observant des précautions excessives. Une seule pierre dévalant la pente alerterait mon beau-père. Je rejoins mon ami derrière son buisson. Devenir un des héros de cette aventure l'amuse au plus haut point. Il est bien trop jeune pour en appréhender les enjeux !

Les trois mousquetaires – William, Clément et le père de mon ami – suivent le sentier qui serpente autour du château ; ils se dirigent vers le côté est, le moins praticable. Tout en devisant tranquillement, ils font ceux qui effectuent des vérifications sur le flanc de la colline. Je m'approche en tendant l'oreille. Pas besoin d'avoir fait de grandes études pour les soupçonner de connivence.

— Tu crois qu'on est en sécurité ici ? interroge Mohammed, inquiet.

— On ne l'est nulle part, maintenant ! fait mon beau-père, peu rassurant.

— Même si Domitien est un maître dans l'art de la guerre, rajoute Clément, BMI doit avoir mieux à faire en ce moment que de rechercher quelques dissidents... Mais on doit se tenir prêts !

Les trois hommes disparaissent soudain comme avalés dans une autre dimension.

— Merde alors ! grommelle mon complice qui vient de me rejoindre.

Je promène un regard abasourdi autour de moi, persuadé que les trois hommes s'étaient faufilés dans une trouée camouflée par les fourrés. Je marque un délai raisonnable puis m'extirpe des taillis, Medhi sur mes talons. Nous fouillons au milieu des ronces, des mûriers, des broussailles et des orties. Je m'écorche les mains ; déjà, des cloques rougeâtres émergent ça et là sur ma peau.

Tueur de MondesWhere stories live. Discover now