Hana aimait se réfugier dans les hauteurs de la vieille ville de Marineford. Elle y avait vue sur la baie, les navires, le lever et le coucher du soleil. Le plus souvent, elle y allait seule, sans son équipe. Elle les adorait, bien entendu, ils étaient sa famille de substitution. Pour autant, elle aimait se perdre dans ses pensées et dans l'immensité du paysage. Mais ce soir-là, alors que le soleil se noyait dans la mer, projetant des rayons rosés dans le ciel déjà sombre, un bruit derrière elle la tira de sa rêverie.
- Je t'ai entendu, dit-elle sans être aucunement apeurée. Tu peux sortir de ta cachette, tu sais ?
- Eh bien ! s'écria Arthur en sortant de l'ombre. Tes sens sont aiguisés... As-tu déjà éveillé ton fluide de l'observation ?
La jeune fille, sans détourner le regard du soleil, sourit tristement.
- Pas encore. Je m'exerce tous les jours, pourtant... Je rêve parfois d'être née Kuja comme ton amie Haru pour pouvoir sentir l'aura de toute chose.
Le visage d'Arthur rayonnait de fierté tandis qu'il s'approchait de sa camarade.
- Elle est brillante, c'est vrai. Pourtant, tu n'as rien à lui envier ! Tu viens souvent ici ? demanda-t-il en s'asseyant à ses côtés.
- De plus en plus depuis la mort de mon maître. C'est lui qui m'avait fait découvrir cet endroit. J'ai l'impression de sentir sa présence à mes côtés quand j'y reviens, chaque jour.
Arthur jeta un coup d'œil discret à Hana. Il n'avait pas imaginé qu'elle aborde le sujet tabou aussi rapidement.
- Il te manque, n'est-ce pas ?
- Le mot est faible, souffla-t-elle. Il était mon mentor, mon ami, mon père. Moi qui suis orpheline, je l'aimais plus que quiconque en ce monde. Depuis sa perte, j'ai l'impression qu'il ne reste rien de moi sur cette terre.
Elle se tourna vers lui et, pour la première fois depuis qu'il l'avait rejoint, le regarda. Ses grands yeux gris brillaient des mille feux du soleil couchant. Elle était sublime. Par certains aspects, elle lui rappelait sa mère, dont il ne connaissait que le portrait photographié.
- J'imagine qu'il en va de même pour tes amis et toi, n'est-ce pas ?
Arthur hocha doucement la tête alors que son cœur se serrait à nouveau. Il avait envie de lui parler de Myr, de la lettre, de toutes ces choses qu'il avait apprises sur lui. D'Edouard aussi. Alors qu'il ouvrait la bouche, il sentit une présence derrière lui, qu'il reconnut en un instant.
- Petit rendez-vous devant le soleil couchant, les nazes ? C'est touchant... Vous ne m'en voulez pas de venir vous tenir la chandelle ?
Arthur demeurait calme, mais la tension vibrait dans l'air, entre ces trois jeunes héros, alors que Hector venait rejoindre ses rivaux face à la mer.
- Je voulais juste vous dire que... souffla-t-il sans même les regarder. Je suis désolé. Voilà.
Arthur fut pris d'une irrépressible envie de rire. Alors qu'il retenait son sourire naissant, Hana pouffa et se cacha dans ses longs cheveux, déclenchant leur hilarité commune. Hector, visiblement blessé dans son égo, s'empourpra et tourna les talons.
- C'est bien la peine d'être sympa... Puisque c'est comme ça, vous n'avez qu'à aller vous faire foutre !
- Attends ! souffla Hana en le retenant par l'épaule, étouffant un nouvel éclat de rire. Ça nous a simplement surpris, venant de toi. Mais sache que je suis sincèrement touchée.
Hector, l'œil mauvais, tourna légèrement la tête vers Arthur, comme s'il attendait des excuses. Le jeune soldat se contenta d'acquiescer avec un sourire, après quoi Hector soupira pour exulter son agacement et sa fatigue.
- Depuis ce jour, je ne cesse de penser à la chance que j'ai eue. Que Leroy soit en vie, franchement, c'est un cadeau des dieux. Je ne veux pas imaginer ce que je serais devenu s'il avait été à leur place. Myr et Wilelm ne lui arrivaient pas à la cheville mais... Je pense qu'ils étaient compétents. Forts, droits, justes. Le genre de soldats que je voudrais devenir.
Hana lui frotta légèrement l'épaule avec un sourire et il se tourna vers elle, l'air grave.
- Vous avez une idée de qui peut être derrière tout ça ? Mon équipe et moi, on ne réfléchit qu'à ça, ces derniers temps. C'est devenu une véritable obsession. Pourtant, le vice-amiral Leroy refuse d'en parler...
- L'amiral Leroy, le corrigea Arthur en regardant l'horizon.
Aussitôt, Hector se rua sur lui et l'attrapa par le col. Arthur avait beau être habile et puissant, son rival demeurait beaucoup plus costaud.
- Tu sous-entends quoi, là, espèce de connard ?! Tu penses que Leroy peut avoir quelque chose à voir là-dedans, hein ? C'est ça que tu penses ?!
- T'es vraiment con, toi ! lui gueula Arthur alors que Hana cherchait à les séparer. Je disais ça comme ça, c'est tout ! Tu sais très bien que Myr avait une confiance absolue en lui.
Lorsque Hana eut fini de les éloigner, elle souffla un grand coup, impatiente. Devoir faire le tampon entre ces deux-là l'épuisait. Arthur repoussa son rival et tourna les talons. Cet imbécile de Hector avait gâché sa soirée et comme il partait le lendemain, il n'avait pas la moindre minute à perdre. Il aurait voulu parler à Hana de ses suspicions, connaître son avis. Après tout, elle ne participait pas à l'expédition et resterait à Marineford. Elle était forte, certes, mais tout comme Myr et Wilelm. En tant qu'élève de celui-ci, n'était-elle pas en danger, elle aussi ? Hector aussi, d'ailleurs. Cet idiot avait tendance à toujours mettre son nez dans les affaires des autres...
Arthur eut alors une vision étrange. Ses deux rivaux, disparus, réduits en poussière par une terrible explosion. Que ferait-il si cela arrivait ? Hana et Hector étaient des piliers le long de son chemin, des repères l'aidant à avancer et le forçant à devenir meilleur.
- Je pars demain pour l'expédition sur Mukata, s'écria-t-il avant de les quitter. L'ultime conviction de Myr était que ce complot est interne à la Marine. Alors soyez très prudents, d'accord ? N'allez pas mourir en mon absence, ou bien je m'en voudrais...
Alors que ses deux rivaux se jetaient un regard inquiet, Arthur disparut dans la vieille ville de Marineford.
...
Mary regardait le pavillon qui dansait dans le vent. Noir et déchiré, il était à peine visible dans la tempête. Pourtant, son aura terriblement menaçante demeurait.
- Tout va bien ?
Elle tourna la tête et aperçut Daiki, qui venait de la rejoindre. Emmitouflé dans une grande veste de cuir, il s'était approché doucement et avait couvert ses épaules nues et blanches d'un châle de laine. Elle lui adressa le plus sincère des sourires, essayant de ne demeurer aveugle au paysage terrifiant qui les entourait.
Depuis cinq jours maintenant, ils naviguaient sur ce bateau terrible. Le pont de bois craquait à tout rompre, comme la porte des enfers laissant échapper les âmes de mille revenant. Les canons, couverts d'algues et de coquillages, étaient pourtant prêts à faire feu jour comme nuit. En complément des grandes voiles noires, le navire progressait sur les mers grâce aux coups de rames des dizaines d'esclaves présents dans les cales. L'Intent Konge était l'un des plus terribles navires du Nouveau Monde, que peu de cuirassés de la marine auraient osé attaquer.
Son capitaine, Nihil, était le premier lieutenant de l'Empereur Ankou et l'un des huit Rois de l'Enfer de son équipage, Tartaros. Si Mary n'avait aperçu que sa silhouette sèche et nonchalante dans la grotte où ils s'étaient rencontrés, elle connaissait maintenant sa véritable apparence, sans pour autant oser croiser son regard. Ses cheveux hirsutes, d'un gris bleuté, tombaient en pagaille sur son visage livide. Ses yeux clairs étaient entourés de profondes cernes qui lui donnaient des allures de cadavre. Sa bouche n'était qu'un trait tordu vers le bas. Malgré cette expression mélancolique, il ne devait pas dépasser la trentaine. Ce jeune homme d'apparence faible était l'un des pirates les plus recherchés au monde et menait l'équipage de son navire de main de maître. L'Empereur Ankou avait une confiance absolue en lui.
A chaque fois qu'elle sentait la présence de ce terrible lieutenant, Mary détournait le regard. Son aura la terrifiait. Même Daiki, d'habitude si brave, semblait pris d'un malaise profond lorsque leur hôte était dans les parages. Pourtant, celui-ci faisait tout pour mettre ses deux invités à l'aise : il leur avait réservé une cabine spacieuse, nettoyée tous les jours par des serviteurs discrets.
La présence d'une aussi jolie jeune fille attisait parfois les désirs des pirates, qui tentaient de la courtiser ou de l'isoler dès qu'ils en avaient l'occasion. Mais pour qu'elle ne soit pas importunée, le capitaine avait pris ses dispositions : elle était constamment surveillée, suivie à la trace par le terrible Ira. Ce titan, venu avec son frère Nihil à la rencontre de Mary et Daiki dans la caverne, était le second lieutenant de l'Empereur Ankou. Roi de la Colère de Tartaros, il accompagnait son aîné partout, comme un fidèle limier. Haut de plusieurs mètres, musclé comme un taureau et solide comme un roc, sa simple vue dissuadait ses hommes de s'approcher de leurs invités. De sa bouche de requin ne sortait jamais le moindre mot, seulement des râles animaux, mais dans ses yeux de reptile on voyait parfois passer des éclairs de fureur capables de terrifier les plus féroces guerriers. Selon Daiki, Nihil et Ira valaient à eux seuls plusieurs milliards de berrys, soit la totalité des primes d'une mer comme East Blue.
Durant toute la traversée, les frères terribles de Tartaros se plièrent à toutes les exigences de leurs invités de marque et firent tout pour les mettre à l'aise. Daiki respectait la décision de sa protégée, mais cela ne lui disait rien qui vaille...
La nuit du cinquième jour, alors que Mary dormait à ses côtés, Daiki entendit la vigie souffler dans sa corne. Pris de panique, il se releva en vitesse, essuyant la sueur froide qui lui coulait sur le front. Une attaque ennemie ? La Marine ? Tout en gardant Mary à l'œil, il ouvrit la porte sa cabine pour connaître la nature de l'alerte.
- Que se passe-t-il ? Un danger à l'horizon ? s'empressa-t-il de demander au gigantesque Ira, qui montait la garde devant leurs quartiers, comme à son habitude.
Le titan lui jeta un regard mauvais et se contenta d'un silence. Daiki se résolut à abandonner la conversation et se rua sur le pont. En cas de problème, il pourrait toujours utiliser son fruit du passe-muraille pour fuir avec Mary, mais il ignorait tout de leur position : Nihil s'était bien gardé de le renseigner sur la destination de l'Intent Konge et tenter un bond à l'aveugle serait extrêmement risqué...
En arrivant sur le pont, Daiki eut peine à discerner, au travers de la tempête, la silhouette qui apparaissait dans l'obscurité. Un éclair illumina alors le ciel et il comprit qu'ils étaient arrivés : face à eux, une île colossale, entourés de gigantesques piliers osseux, semblait crever le ciel de sa forme pointue. A l'avant-poste de celle-ci brillaient de grands flambeaux d'un vert d'émeraude. Sur les côtes fourmillaient des centaines de pirates. Des dizaines de cuirassés semblaient prêts à faire voiles.
Sans que Daiki ne l'ait remarqué, Nihil s'était glissé dans son dos. Il observait son quartier général avec un air rêveur et, pour la première fois, un sourire se dessina sur ses lèvres.
- Soyez le bienvenu à Yomi, mon cher invité. Le Royaume des morts ou Ankou et son Tartaros sont les Rois.
En voyant le regard fébrile de Daiki, le Roi de la Douleur s'empressa de lui glisser à l'oreille :
- Ne vous en faites pas, Yomi n'est pas toujours dans un tel état d'ébullition. Mais nos navires vogueront bientôt, une expédition se prépare. Le plan de l'Empereur entrera très vite dans une nouvelle phase.
...
Bien plus loin dans le Nouveau Monde, sous un ciel dégagé où mille étoiles brillaient dans la nuit bleutée, deux cuirassés de la Marine, menés par les contre-amiraux Mighi et Kabber, approchaient de la petite île de Mukata. Loin devant voguait le navire amiral de Kuroryu où mille hommes se préparaient au combat. Quelques milles les séparait d'un quatrième et dernier navire, composé d'un équipage plus restreint : le Seagull, mené par le commodore Arthur. Debout sur le pont, il guettait cette terre où il devrait se battre sous les ordres de son ennemis juré. Il retourna prestement à l'intérieur : il était plus que temps de faire le point avec son équipe.
Tous s'étaient rassemblés dans la cabine de Myr. Loin d'en faire sa chambre, Arthur, le nouveau capitaine, en avait fait un espace commun de réunion. Il continuait à dormir avec les garçons dans la cale.
Ses médailles accrochées sur sa poitrine, son manteau jeté sur ses épaules et sa lame d'or au côté, il avait l'allure d'un véritable héros. Seul la présence du petit Peck, niché contre son cou, rappelait à son équipage qu'il était avant tout leur ami, ce jeune garçon aux rêves utopistes qu'ils connaissaient depuis plus d'un an déjà.
Tous les cinq étaient rassemblés face à leur capitaine et, bien qu'il fut en train de leur donner ses dernières instructions, ils ne pouvaient s'empêcher d'être tout entier absorbés par l'admiration qu'ils lui portaient.
- Notre assaut n'est pas une surprise, je le répète. Nous attaquons par la façade Ouest et Edouard pense que les Powathis battront en retraite dans leur cité millénaire, qui se trouve sur la façade opposée de l'île, dans la jungle. Il veut les pousser dans leurs retranchements et établir un siège qui durera autant qu'il le jugera nécessaire. Il est persuadé que le code d'honneur des Powathis les empêchera d'exécuter leur otage maintenant qu'ils ont récupéré le fils de leur chef.
- Ils ont donc plus d'honneur qu'Edouard lui-même... grinça Zell.
Arthur lui répondit par un sourire entendu, mais son visage était grave. Il ferma les yeux et expira lentement.
- Voilà pour les ordres officiels. Mais pour ma part, je compte poursuivre un objectif tout à fait différent. Je souhaite profiter du chaos de la situation pour confronter Edouard et le capturer.
Ses camarades demeuraient silencieux, mais Arthur pouvaient les sentir fébriles. Jorge déglutit bruyamment tandis que Lola grelottait à ses côtés.
- Je suis très informé sur Edouard, mais s'il y a bien une chose que j'ignore, c'est la nature de ses pouvoirs. On dit qu'il est si fort qu'il n'a nul besoin de les utiliser pour neutraliser ses ennemis, mais la rumeur veut qu'il ait mangé un fruit du démon... C'est un homme extrêmement puissant, ce n'est pas une surprise.
Il marqua une pause et sentit son cœur battre à tout rompre.
- Extrêmement puissant, mais aussi extrêmement dangereux. La mort de Myr me laisse responsable de ce groupe, mais je n'ai pas pour autant à vous imposer mon choix. Je ne peux pas vous entraîner là-dedans par ma simple volonté. Vous êtes maîtres de vous-même et je comprendrais très bien si...
Les mots se bloquèrent dans sa gorge. Il savait très bien ce que ses actes futurs impliqueraient. Il marchait sur le chemin de la rébellion.
Sans lui laisser le temps d'achever sa phrase, Zell se jeta devant lui à genoux. Son expression était résignée.
- Myr t'avait désigné comme second, Arthur. Mais même sans cette décision, nous t'aurions nommé chef à sa mort. Tu es le plus fort, le plus brave et le plus juste d'entre nous. Si telle est ta décision, sache que je te suivrai et te resterai fidèle jusqu'à la fin. Tu es mon capitaine.
Ces mots avaient été prononcés sans hésitation, d'une traite. La voix de Zell était forte et claire, mais son visage, grave, demeurait tourné vers le plancher du navire. Il semblait presque intimidé par son ami.
Il fut aussitôt suivi de ses quatre camarades, qui l'imitèrent sans hésiter en répétant : « Tu es notre capitaine ! »
Arthur regardait l'équipe de Myr. Son équipe.
Zell, Haru, Jorge, Jun, Lola.
Ses amis, sa famille. Leur confiance était extrêmement précieuse à ses yeux. Il acquiesça doucement, le visage rayonnant de fierté.
- Très bien. Nous accosterons à l'aube. N'oubliez pas nos véritables objectifs. Et surtout, soyez extrêmement prudents.