Dès que les grands arbres avaient atteint les catacombes pour le délivrer de l'armée de femmes-insectes furieuses, Arthur s'était engouffré dans la galerie de tunnels souterrains à la recherche d'une issue. Fort heureusement, il avait mémorisé le chemin parcouru à l'aller avec Lola et pouvait sentir le dénivelé s'accentuer progressivement, preuve qu'il approchait du palais. Pourtant, alors qu'il était déjà épuisé, il ne put s'empêcher d'accélérer le pas, au risque de faire exploser ses deux poumons essoufflés : il pouvait sentir, quelque part là-haut, le danger que couraient ses amis. Il sentait leur peur vibrante, la tension dans l'air et, parfois, il lui semblait même entendre leurs cris affolés. Ces sensations, ces bruits terribles résonnaient en écho dans son crâne et lui donnaient la migraine, comme si son esprit s'était éveillé et percevait à présent l'activité de chaque être de l'île. Pris de vertige, il manqua de s'effondrer mais se rattrapa à la paroi rocheuse et humide des souterrains : il devait à tout prix arriver à temps pour les protéger de la menace qui les assaillait sans relâche.
...
Le combat n'avait duré que quelques secondes, à tel point que l'on eut pu parler de rencontre plutôt que de réel affrontement. Nephila aimait jouer avec ses proies plutôt que de les exécuter sommairement, mais si elle avait choisi de ne pas faire preuve de sadisme, les cinq êtres qui se trouvaient face à elle seraient déjà morts. Elle débordait tellement de colère qu'elle s'était décidée à prendre le plus de temps possible avant de leur accorder le privilège du repos, qui dans le cas présent se traduirait par la mort. D'un coup de patte puissant et vif, elle avait expédié Zell, déjà mal en point, contre le sol de terre. Puis, la Corsaire avait projeté un tourbillon de toile soyeuse sur le jeune homme afin de l'immobiliser : les fibres de soie étaient si solides et collantes que Zell pouvait à peine remuer. Ses deux jambes, entravées, ne pouvaient en aucun cas libérer le Pied Ouragan.
Haru était parvenue à esquiver l'attaque, mais handicapée par la petite Lola qu'elle portait dans ses bras, elle n'avait pu se défendre quand la bête l'avait chargée et l'avait projetée contre le mur de pierre du palais. La façade s'effondra lorsque Haru la traversa, et la jeune archère roula dans la poussière et les débris, protégeant Lola entre ses bras.
Jorge, après avoir délicatement déposé Jun près du palais, avait chargé l'ennemie en concentrant son Metallium dans ses énormes pattes pour la frapper de toutes ses forces. Alors que Nephila était de dos, cherchant à attraper Haru dans les débris et ruines, Jorge avait pris pour cible l'abdomen de l'arachnide : rassemblant ses forces dans son poing serré, il avait frappé l'animal. A sa surprise, le bruit généré par le choc se répercuta en écho dans la nuit comme s'il eut frappé une cymbale métallique. Puis, vive comme un éclair, la bête avait fait volte-face et avait plaqué le soldat contre le sol. Ses deux gigantesques crochets s'étaient plantés de part et d'autre du visage de Jorge et elle le fixait à présent de ses huit yeux noirs et globuleux. Tandis qu'un filet de salive lui coulait sur le front, Jorge se mit à hurler :
- Dégage, saleté ! Bear boxing : heavy jab !
Il lui décocha un direct du droit de toutes ses forces et l'attaque atteint la bête en pleine tête. Pourtant, elle demeura solide et renforça son emprise sur sa proie. Il était impossible de savoir si les horribles stridulations que produisait son corps traduisaient de la colère ou de l'amusement.
- Tes misérables attaques n'endommageront jamais mon exosquelette. Depuis que j'ai mangé cette variante du fruit de l'arachnide, je peux me changer en mygale Goliath, la plus grande et la plus puissante araignée au monde.
Tandis que la bête s'acharnait sur Jorge, essayant de l'entoiler alors qu'il se débattait furieusement, Haru profita d'être hors de son champs de vision pour mettre un plan en place : d'abord, elle libèrerait Zell avec son Pied Ouragan puis, ensemble, ils utiliseraient leurs forces combinées pour renverser la bête. Sur le dos, elle serait sans doute beaucoup plus vulnérable et révèlerait la partie intérieure, plus fragile, de son thorax. Haru déposa donc délicatement la petite Lola derrière un mur de pierre : l'enfant semblait presque endormie, épuisée et éprouvée par cette nuit difficile. Les larmes qu'elle avait versées avaient tracé des sillons sur la poussière qui couvrait ses joues. Haru la regarda avec tendresse et se résolut à l'abandonner, juste pour quelques instants.
Bondissant dans les airs à vive allure comme Myr lui avait appris, elle gagna en altitude jusqu'à atteindre une hauteur où elle avait Zell en parfaite ligne de mire, puis tourbillonna furieusement :
- Pied Ouragan ! s'écria-t-elle en libérant l'énergie accumulée dans ses jambes.
Comme une flèche perçant, l'onde de choc se propagea dans les airs en ligne droite, à pleine vitesse, et vint trancher la toile de l'araignée dans un souffle surpuissant. Haru avait maintenant suffisamment de maîtrise pour libérer les jambes de son ami et lui permettre de se débattre sans pour autant le blesser avec son attaque. Aussitôt que ses jambes furent libérées de leur entrave, Zell comprit l'intention de son ami : comme un danseur de capoeira, il tourbillonna sur lui-même et libéra un Pied Ouragan suffisamment puissant pour réduire à néant le cocon dont il était prisonnier.
En sentant les vibrations provenant de derrière elle, Nephila entreprit de retourner son énorme corps pour faire face à ses ennemis, mais en dépit de ses quatre paires de pattes, Zell et Haru s'avérèrent plus rapides.
- Jorge, maintenant ! s'écria le jeune charpentier à son camarade, encore immobilisé.
Jorge acquiesça vivement, agrippant l'une des énormes pattes velues de l'araignée pour l'immobiliser. Puis, concentrant son Metallium dans son bras gauche, il frappa en même temps que ses amis :
- Team A special move : Metallium festival ! s'écrièrent-ils en attaquant tous ensemble.
De leurs membres chargés de Metallium, Jorge, Zell et Haru frappèrent la bête au niveau de la tête et de l'abdomen et la projetèrent dans les airs avec tant de force qu'elle manqua de se retourner. Mais vive et rapide, la monstrueuse araignée projeta un filin de toile sur la paroi de son palais et s'y envola, comme emportée par un harnais invisible. Tandis que les trois jeunes soldats lui faisaient face, épuisés et dominés, elle demeurait perchée sur la façade de pierre, les scrutant de ses huit yeux. Puis, comme si elle avait compris ce qu'ils manigançaient, elle bondit dans les airs et vint se placer entre eux et l'orée de la forêt.
- Si vous croyez pouvoir vous enfuir... Vous n'avez pas le choix, mes petits : m'affronter ici et accepter la défaite, ou bien retourner à l'intérieur de ma demeure où je vous poursuivrai sans relâche dans ces souterrains où je suis reine.
Haru avait récupéré la petite Lola. Jorge était auprès de Jun, dont le souffle était de plus en plus court. Ils ne pouvaient pas continuer à combattre comme ils le faisaient et devaient mettre les deux blessées à l'abri.
- On pourrait aller chercher Arthur ? demanda Jorge sans quitter l'énorme araignée des yeux. A quatre, on aura plus de chance. Et puis... Il est le seul à pouvoir lui faire face.
- Arthur remontra quand il aura le temps, le coupa Zell avec son habituel ton déterminé. Pour l'heure, on doit trouver un moyen d'amener Jun et Lola au Seagull. Cette énorme saloperie est un trop gros morceau. Elle n'a même pas hésité à liquider ses propres hommes, elle n'aura aucune pitié pour nous. Il faut qu'on prépare le navire pour partir le plus vite possible. L'objectif, c'est la fuite.
- Et comment comptes-tu faire tout ça ? murmura Haru.
Zell avança lentement pour se placer entre ses amis et la reine de la nuit, dégainant ses ciseaux à bois. Etrangement, la bête demeurait calme, s'amusant de leurs petites stratégies qu'elle savait vaines.
- Je vais retenir cette sale bête ici. Pendant ce temps, vous filez aussi vite que possible au Seagull avec Jun et Lola.
- Quoi ?! s'écria Jorge. Tu crois quand même pas qu'on va...
- Ce n'était pas une question, Jorge, mais un ordre. Vous êtes plus rapides que moi, et je suis plus fort que vous. C'est la meilleure solution.
Tandis que Jorge ruminait, maugréant qu'il était bien aussi fort, Haru s'approcha de lui et lui confia Lola. Puis, elle s'avança au niveau de Zell et encocha une flèche à son arc.
- Inutile que nous soyons deux à fuir. Jorge est très rapide et peut bien porter Jun et Lola à lui seul. Je vais rester là, avec toi. Nous l'affronterons ensemble.
Zell lui jeta un regard entendu et déterminé, le visage fendu d'un sourire complice. Dans cette danse mortelle au clair de lune, il aurait la chance d'être aux côtés de la belle Haru.
Alors que Jorge hissait Jun et Lola sur son flanc, grattant la terre de sa patte, Nephila fit cliqueter ses chélicères furieusement.
- Cela me parait étrange, impertinent même, mais il semblerait que vous ayez oublié de m'inclure dans votre équation. Vous croyez donc que je vais vous laisser fuir aussi facilement ?
- Tu n'auras pas le choix ! s'écria Zell. Jorge, maintenant !
Aussitôt, Jorge se mit à cavaler comme une bête enragée, Jun et Lola sur le dos, Peck voletant au-dessus de sa tête. Face à lui, la bête étendait ses longues pattes et jubilait.
- Tu comptes te jeter dans ma toile, soldat ? Bien étrange stratégie qu'est la tienne.
Mais derrière le soldat ursin, ses deux camarades bondirent et crièrent à l'unisson :
- Pied Ouragan !
Deux lames d'air tranchantes s'échappèrent de leurs jambes puissantes, lacérant le sol de terre comme s'il eut s'agit de beurre. Tandis que Jorge cavalait au-devant, les lames d'air semblaient le rattraper. Petit à petit, la distance entre lui et l'ennemi se réduisait. Rester, saisir le jeune soldat et les deux blessées entre ses chélicères et les dévorer, au risque d'être frappée par l'onde de choc, ou bien se dérober sur le côté pour éviter l'attaque. Le dilemme s'offrait à Nephila qui, jusqu'à la dernière minute, hésita.
- Incision ! hurla Jorge au dernier moment, alors que Nephila s'apprêtait à le cueillir dans ses crocs.
Aussitôt, le soldat disparu et l'araignée fut frappée de plein fouet par le double Pied Ouragan. L'onde tranchante frappa son exosquelette dans une détonation assourdissante, soulevant un nuage de poussière tandis que la puissance de l'attaque la repoussait de quelques mètres. Elle demeurait intacte, invincible, mais le jeune ours était parvenu à fuir au dernier moment. Grâce à cette technique qui lui était inconnue, Néphila avait perdu sa proie, qui demeurait à présent introuvable. Comme volatilisé, l'ours n'était plus là.
Mais alors que Haru et Zell se réjouissaient déjà, le piège de la corsaire se referma sur Jorge : aveuglé par sa course, il ne remarqua pas le mince fil de soie dissimulé dans la forêt et s'y pris la patte. Le fil était fin et léger, Jorge ne le remarqua même pas. Le danger n'était pas là. Mais la soie, directement reliée à Néphila, l'alerta aussitôt de la présence de son ennemi.
La bête fut réactive, et, débordante de fureur, elle se retourna et se jeta à la poursuite de sa proie. Ces maudits gamins ne devaient pas quitter son île vivants : si toute cette affaire arrivait aux oreilles de la Marine, la Corsaire perdrait aussitôt son titre et serait jetée en prison. Enlèvement, meurtre, construction d'une armée de grande envergure... Ces charges n'étaient pas anodines et entraîneraient sans aucun doute la pirate dans une spirale infernale. Le titre de Corsaire permettait d'obtenir un certain nombre de privilèges, mais si de tels actes étaient découverts, toute la Marine se jetterait à sa poursuite, y compris les amiraux. Non. Définitivement, elle ne pouvait pas laisser ces gêneurs s'enfuir. Elle devait les capturer dès que possible.
Mais alors qu'elle se jetait furieusement à leur poursuite, elle entendit derrière elle :
- Corda : pendurado !
Aussitôt, quatre nœuds de corde fusèrent et saisir la bête par les pattes avant, la tirant en arrière avec fermeté. Tandis que Zell tirait de toutes ses forces, ses bras encore meurtris de son combat contre Mothra, Haru se jeta à ses côtés et tira avec lui.
- Ne lâche pas, Haru ! Surtout, ne lâche pas !
- Si tu crois que c'est mon genre... !
Alors que Jorge disparaissait progressivement dans l'obscurité de la forêt, la bête, entravée par Zell et Haru, fulminait de rage. Furieuse, elle tira subitement sur ses quatre pattes avec fureur, déchirant les cordes, projetant les deux soldats vers l'avant.
- Très bien ! hurla-t-elle. Dans ce cas, je vais commencer par vous ! Puis, j'irai démembrer cet ours, votre amie et cette sale petite garce qui les accompagne ! Dans tous les cas, votre navire ne pourra pas faire voile de sitôt, je m'en suis assurée.
Zell et Haru, essoufflés, épuisés, brisés, demeuraient droits. Le jeune charpentier manqua de flancher, encore éprouvé par son combat contre Mothra, mais la main de son amie vint retenir la sienne.
- Ça va aller, Zell... chuchota Haru. Je peux le sentir.
Zell regardait son amie avec tendresse. Cette positivité était touchante, alors qu'ils approchaient de leur mort. Au moins vivraient-ils ce dernier moment ensemble.
- Zell, il arrive. Je le sens venir !
Zell comprit que les mots de Haru n'était pas qu'une manière désespérée de se rassurer. Tandis que l'araignée géante se ruait vers eux, furieuse, ils entendirent un cri raisonner dans la nuit :
- Bird of prey : laceration !
Aussitôt, les chélicères de la bête vibrèrent furieusement, sa gueule libérant un cri de douleur strident. De l'un de ses huit yeux globuleux, il ne restait qu'une fente dont coulait un torrent de sang noir et épais. Son énorme tête velue était lacérée. Et dans la lame d'or de son assaillant se reflétait les rayons de lune. Le véritable combat allait pouvoir commencer.