- Un tournoi ?! s'écrièrent les cinq membres de l'équipe A, dans un mélange de surprise, d'excitation et de panique.
- Ouep', répondit simplement Myr avec son flegme naturel.
Des questions avaient commencé à fuser quand ses élèves avaient croisé les membres de l'équipe B : pourquoi étaient-ils là ? L'équipe C était-elle présente aussi ? Avaient-ils été promus ? Pour couper court à ces interrogations, Myr avait décidé d'annoncer la nouvelle à ses élèves : un tournoi allait avoir lieu dans les prochains jours, opposant les recrues des trois équipes. Elles étaient seize au total, et elle s'affronteraient amicalement, pendant trois jours, sous le regard de tout le gratin mondial : les dirigeants du gouvernement, les haut-gradés de la Marine et même les cinq grands corsaires. Dès que l'annonce fut faite, Jorge se mit à trembler.
- Tout ce monde va nous voir dans l'arène ? Quelle chance ! Mais en même temps, quelle pression !
- En effet, commenta Myr. En plus, ils seront tous là pour admirer vos progrès, et voir si ce programme est vraiment utile. Ce tournoi amical permettra de vous jauger : vous êtes l'avenir de la Marine et vous me représentez, alors vous avez intérêt à briller, les gars !
Arthur était prêt à en découdre, débordant de motivation : parmi les seize recrues se trouvait Hector, son rival depuis le premier jour, qu'il s'était juré de surpasser à chacune de leurs rencontres. Le jeune soldat lui avait prêté main forte dans son combat contre le pirate Hélio, capitaine du Zodiaque, et ses capacités étaient indéniablement grandioses. Il devait celles-ci à un fruit du démon, de type Zoan à ses dires. Arthur n'avait qu'entraperçu sa transformation, mais elle était tout bonnement terrifiante.
Et puis il y avait Hana, cette jeune femme, que l'on disait brillante, qui l'avait devancé d'une place au premier classement général...
- Et quand comptiez-vous nous parler de ce tournoi ? demanda Haru avec diplomatie, bien que l'on eut pu sentir son agacement.
- Eh bien... Le jour J ! s'exclama Myr en riant. Rien de tel pour ne pas stresser, non ? De toute façon, ça ne change pas grand-chose. Le tournoi débute dans quatre jours.
...
Les cinq membres de l'équipe A eurent tous leur façon de tuer le temps à l'approche de l'événement : Arthur et Zell s'entraînèrent ensemble dans la cour du fond, et Arthur put admirer tous les progrès de son meilleur ami, qui à présent lui tenait tête. Haru se plongea dans une profonde méditation pour éveiller toujours plus son fluide. Jun intégra l'équipe des cuisines temporairement, et s'accapara le travail de tous ses collègues avec une efficacité exemplaire. Jorge, quant à lui, décida de s'entraîner seul : il n'avait jamais autant progressé que pendant ces six mois, et était bien décidé à prouver son évolution à Myr.
La plupart des invités étaient déjà présents sur place, notamment les haut-gradés de la Marine. Pourtant, certains tardaient encore à faire leur apparition, attisant la curiosité de tous : les grands corsaires.
Arthur connaissait bon nombre de rumeurs sur eux, mais n'avait jamais eu l'occasion d'en rencontrer un seul. Ces anciens pirates, connus pour leur puissance et leur influence, s'étaient vus graciés en échange d'un pacte avec le gouvernement, dont ils étaient désormais à la botte.
Deux jours avant le tournoi, Myr appela ses élèves à le rejoindre dans les hauteurs de Marineford, d'où on avait une vue imprenable sur toute la baie. Il avait eu raison de les convoquer, puisqu'un spectacle peu commun se déroulait : les corsaires jetaient successivement l'ancre dans le port.
Le premier navire arriva en fin d'après-midi. Il était de taille raisonnable, mais armé de canons que l'on devinait surpuissants. En son centre, sur le pont, une gigantesque arène était creusée. Il en descendit une jeune femme à la peau noire comme la nuit et aux courts cheveux bleus comme le ciel, accompagnée de toute une délégation. Elle avança sur la grande place avec un dédain manifeste, les passants s'écartant à son passage alors que sa longue cape jaune frottait les pavés de pierre.
- Voici Muay Tina, capitaine du Fighting Club. Redoutable en combat singulier, on la considère comme la meilleure artiste martiale au monde, commenta Myr.
- Pour combien était-elle recherchée ? demanda Arthur, comme pour la placer dans une échelle de puissance.
- 79 millions.
- Seulement ? souffla Zell, déçu. C'est assez faible, non ? Même Hélio avait une prime plus élevée...
Myr sourit.
- Quelle naïveté, Madeira. La prime ne fait pas tout, enfin ! Tout d'abord, une prime ne reflète pas que la puissance d'un individu, mais plutôt sa dangerosité. Il se trouve que Tina était une jeune pirate assez calme, mais rassure toi, elle pourrait vous affronter tous réunis et vous vaincre en un clin d'œil ! En plus, la prime des corsaires est figée, elle n'évolue plus, et ne prend donc pas en compte leurs progrès...
Zell avala bruyamment sa salive, regrettant son intervention, alors qu'Arthur pouffait.
...
Vint ensuite un étrange navire, en forme de chapiteau. Le nid-de-pie, situé au sommet du mât, avait la forme d'une grosse sphère rouge percée de petite fenêtre. Un personnage encore plus étrange en descendit : habillé de rouge et de vert, le visage maquillé, son expression était figée dans un sourire terrifiant. De sa très haute taille, il déambulait nonchalamment, faisant traîner ses longs bras derrière lui.
- Bizarre, ce type... marmonna Jun.
- Ouais, ricana Myr. Je ne peux pas encadrer cette espèce de bouffon.
Tous se tournèrent vers le vice-amiral, curieux d'en apprendre plus sur cet étrange personnage. Leur mentor était devenu comme une sorte d'encyclopédie dont ils avaient encore beaucoup à apprendre.
- Arlequin, Roi de Festiland et capitaine du Circus. On appelle communément ce clown le Roi de la nuit...
- Ah ! Lui, pour le coup, ne fait peur à personne, marmonna Zell.
- Détrompe toi, le reprit son maître. Malgré son accoutrement coloré et ses manières excentriques, ce type est extrêmement dangereux. Imprévisible, malin, cruel... Sa prime atteignait autrefois les 500 millions de berrys.
Tous manquèrent de s'étouffer en entendant cette somme ridicule.
- 500 millions ?! suffoqua Arthur. C'est plus de deux fois la prime de Hélio !
- En effet... Et le plus terrifiant, avec lui, c'est qu'on ne sait rien. Rien de son passé, de son histoire, de ses pouvoirs... Son identité est tout simplement un mystère. Certains racontent qu'il est vieux de plusieurs centaines d'années, qu'il aurait assisté à la naissance du monde.
En observant le clown déambuler étrangement sur la place pour rejoindre Muay Tina sur la petite estrade réservée aux corsaires, Arthur et ses amis comprirent que les apparences sont souvent trompeuses.
...
En début de soirée, un navire complètement noir sembla émerger d'une brume rosée. Avec ses couleurs passées, sa coque abimée et ses voiles déchirées, il avait l'air d'un vaisseau fantôme tout droit sorti du cauchemar d'un enfant. Une large passerelle fut tendue entre le pont et le port, et une sorte de char à six pattes en descendit. Il était difficile de savoir si cette monture répugnante était un être vivant ou bien une machine reposant sur des ressorts mécaniques, mais sur elle trônait une jeune femme à la robe sombre, aux cheveux lisses d'un noir de jais et à la peau blanche comme la neige. Son col remontait jusqu'à son menton et sa bouche était couverte d'un masque, si bien que son corps était presque entièrement dissimulé sous son vêtement. Ses pupilles noires, extrêmement dilatées, donnait l'impression qu'elle nageait hors de la réalité.
- Eh bah... C'est la galerie des horreurs, ces corsaires ! pouffa Jorge.
- Ouais, acquiesça calmement Myr en ajustant son manteau sur ses épaules. Cette fille me fait froid dans le dos... C'est Nephila, la dernière à avoir rejoint l'ordre des corsaires et la plus jeune d'entre eux. Je ne sais plus exactement à combien s'élève sa prime, mais il me semble qu'elle était un peu plus élevée que celle de Hélio. Très dangereuse cette fille-là, redoutable même.
- Elle a pourtant l'air si fragile, d'apparence... murmura Haru.
Si les corsaires jusque-là présentés par Myr semblaient être des personnages hauts en couleur, ils laissaient aux recrues une terrible impression de puissance et de malaise, comme des monstres échappant à toute logique et à tout contrôle. Jusqu'où s'étendait leur pouvoir ?
...
Deux corsaires devaient encore faire leur apparition. Le premier des deux souleva une vague de panique lorsque son navire apparu à l'horizon : les gens se poussèrent, se pressèrent et se ruèrent loin de la baie, si bien que quand ses hommes jetèrent l'ancre, la place centrale de Marineford était déserte, et seuls ses trois confrères précédemment arrivés demeuraient dans leur siège.
Il descendit d'un gigantesque navire noir et or, richement orné, la coque brillant de mille dorures, le pavillon, sombre, couvert d'un Jolly Roger complexe. C'était un homme grand, imposant malgré son âge avancé. Sur ses longs cheveux d'or, une sublime couronne était posée. Sa longue cape violette, volant à sa suite, renforçait cette terrifiante impression de grandeur. Son visage était tellement fermé, tellement sombre, qu'on distinguait à peine son regard noir sous ses sourcils blanchis. Dès qu'il fut descendu de son navire, ses serviteurs se pressèrent de se mettre à ses pieds et placèrent sur leur dos un palanquin où il put s'asseoir confortablement. Il n'eut pas à dire un seul mot pour que ses hommes s'activent, en vitesse, et le portent.
Un murmure continu parcourut l'assemblée, réfugiée sur les côtés de la baie. Personne n'osait se mettre en travers du chemin de cet homme dont l'aura, bien plus que celle des autres, était écrasante. Pourtant, ce murmure l'agaça, et son front se crispa, de même que sa main sur l'accoudoir de son palanquin. Aussitôt, la pression dans l'air changea, le ciel s'obscurcit, et les tympans d'Arthur vrombir.
- Qu'est-ce que... ? eut-il à peine le temps de murmurer.
Il fut interrompu par un bruit sourd, qui se répéta comme un écho. Une personne, puis deux, puis d'autres encore s'effondrèrent, comme évanouies, le regard vide. On n'entendit alors plus un murmure, si ce n'est les éclats de rire d'Arlequin qui déchiraient le silence.
- Le fluide, commenta Myr en massant ses tempes. C'est simplement un usage différent de celui de Haru. On raconte que seuls les individus possédant le charisme d'un Roi peuvent libérer une telle puissance, une telle aura. Elle est si écrasante, c'est une telle pression, que les esprits les plus faibles ne peuvent la contempler...
Tous regardèrent, muets, ce terrifiant inconnu traverser la grande place.
- On le considère comme le plus puissant des corsaires. Ambrosius, le dieu du ciel, de l'océan et de l'Enfer... Cet homme était autrefois l'un des quatre empereurs, les pirates les plus puissants et les plus influents, ceux qui dominent le Nouveau Monde. Mais avec l'âge, n'ayant jamais plus d'adversaire à sa taille, il s'est lassé de son pouvoir. Il s'est lui-même présenté à la Marine pour se proposer comme corsaire. On raconte que son seul objectif, désormais, est d'écumer les mers et de mettre fin aux rêves de jeunes pirates. Il se moque de l'honneur, de la gloire ou de l'or, et ne récupère même pas la prime de ces pauvres gars. Ambrosius n'est que puissance brute et cruauté, et il ne sera comblé que lorsqu'il rencontrera un adversaire à sa mesure.
- Ce type... articula Arthur avec difficulté. Vous en parlez comme d'un dieu surpuissant. S'il est si grandiose, pourquoi n'a-t-il jamais tenté de renverser la Marine et le Gouvernement mondial, de prendre le pouvoir ?
- Je pense qu'il s'en moque, répondit simplement Myr en croisant les bras. Ambrosius n'est pas un sédentaire, il n'aime pas régner ni gouverner. Tout ce qui l'intéresse, c'est l'affrontement, la puissance, et la découverte de pouvoirs nouveaux.
Alors qu'il observait ce pirate légendaire regagner l'estrade et s'assoir en son centre, Arthur se rendit compte que tout son corps tremblait, comme secoué par la monstrueuse aura d'Ambrosius, le doyen des corsaires. Toute l'équipe était tendue. Personne n'osa demander à combien s'élevait sa prime.
...
Le dernier navire arriva au crépuscule : sa coque et ses voiles étaient d'un rouge brillant, si bien qu'on pouvait l'apercevoir même dans la nuit naissante, envahi par l'obscurité. De nouveau, la foule fut parcourue d'un murmure incessant. Il en descendit douze individus complètement vêtus de rouge, des bottes au casque, car ils étaient tous masqués. Puis débarqua leur chef, un grand homme, lui aussi habillé de rouge, la tête recouverte d'un étrange casque cette fois-ci doré, où deux petites fentes étaient simplement creusées pour les yeux. A son flanc, un long sabre était attaché, dont le fourreau était, lui aussi, complètement rouge.
- Et encore un type bizarre, pour bien finir la journée... marmonna Zell. Ça fait partie de vos critères de recrutement ? Vous embauchez que des cinglés ?
Myr éclata de rire.
- En effet, ces pirates sont souvent des personnages...hauts en couleur, dirons-nous. Celui-ci s'appelle Lorde, ça m'étonne que vous n'en ayez jamais entendu parler.
A cet instant, l'esprit d'Arthur s'éveilla. Lorde, ce nom lui disait bel et bien quelque chose.
- Oui, s'écria-t-il. Je crois le connaître. Les rumeurs à son propos vont bon train... Ce n'est pas lui qu'on appelle « le chasseur de pirates » ?
- Ah ! sursauta Haru. Je vois ! J'en ai moi-même entendu parler. Ce type n'a jamais été recherché, ce n'est même pas un pirate. En revanche, on le considère comme le plus grand chasseur de primes de tous les temps. Certains disent qu'il n'a jamais échoué, dans aucune de ses missions.
- Pas mal ! sourit Myr avec fierté. En effet, vous n'êtes pas loin, à un détail prêt.
Le vieux soldat s'appuya sur la muraille de pierre, comme pour voir le corsaire de plus près.
- Lorde n'est pas qu'un « chasseur ». En réalité, on l'appelle « le tueur de pirates ».