C'était au départ une infime sensation, mais elle s'était progressivement amplifiée tandis que les vice-amiraux Myr et Leroy s'en approchaient. En fermant leurs yeux, ils pouvaient percevoir une aura bleutée, comme un tourbillon flamboyant qui n'attendait qu'une chose : exploser enfin. Hélio.
Poursuivant cette aura dans le dédale abyssal, les deux soldats étaient finalement arrivés dans une immense caverne, bien plus spacieuse que les précédentes. A son extrémité, un nouveau tunnel s'enfonçait dans la roche, derrière les restes effondrés de la porte qui s'était tenue là quelques minutes auparavant. Au fond de ce dernier tunnel, l'aboutissement : la fontaine de jouvence, et l'ennemi qui convoitait ses vertus. Il fallait faire vite, car Hélio devait déjà être en route. Seulement, une dernière muraille se dressait entre les soldats de la justice et leur objectif : Pisces et Caprico se tenaient de chaque côté de l'ultime tunnel, indéfectibles sentinelles, prêts à défendre leur maître dans la poursuite de son rêve.
...
- Kit cat claws ! rugit Léo du Lion.
Les griffes du pirates lacérèrent la roche si profondément que la caverne entière sembla trembler. Tandis que Jun esquivait de justesse les multiples assauts ennemis, parant parfois ses attaques de ses lames, Emmy, dissimulée derrière une colonne de pierre, frissonnait :
- Tu penses qu'elle va s'en sortir ? Il faut faire quelque chose ! sanglotait-elle en s'agrippant à Igana.
- Il faut rester cachées, nous ne sommes pas des combattantes. Dame Pankhu m'a confié votre protection : s'il devait vous arriver quelque chose, je ne me le pardonnerais pas...
- Pantherage ! s'écria le pirate.
De ses poings fermés, il broya le sol.
- Feline Jaws ! criait-il maintenant.
Il rapprocha ses deux mains, mimant la puissante mâchoire du lion, et bondit sur Jun, prêt à la pourfendre de ses griffes. D'un habile mouvement du poignet, elle parvint à dévier son attaque mortelle, elle les ongles du pirates crissèrent sur la lame aiguisée de la cuisinière.
- Tu ne sais que te défendre, minable ? maugréa-t-il. Donne-moi plus que ça ! Je veux voir de la fureur dans tes yeux quand je t'éventrerai !
- Patience, minou, le provoqua-t-elle. Je commence par apprivoiser la bête, et ne l'achève que lorsqu'elle est inoffensive.
L'autre ricana.
- Ah oui ? Eh bien je vais te donner l'occasion d'agir !
En une fraction de seconde, il bondit vers Emmy et Igana, qui hurlèrent de peur. Jun tressauta et s'élança à sa poursuite. Alors qu'il s'apprêtait à les trancher, la jeune femme, vive et habile, s'interposa. Dans un fracas strident et assourdissant, lames et ongles s'entrechoquèrent, provoquant un déluge d'étincelles. Ce déferlement d'attaques fut tel qu'Emmy et Igana tombèrent à la renverse. Mais les griffes du lion étaient en tous points supérieures, à la fois plus rapides et plus puissantes, et Jun ne tarda pas à céder sous la pression. Son genou droit fléchit, l'espace d'une seconde, mais ce fut suffisant : de la main droite, Léo la désarma, et de la gauche, il enfonça ses longues griffes dans sa chair.
Le cri de la jeune femme fut tel qu'il recouvrit complètement le fracas métallique de sa lame retombant contre la roche. Elle avait eu le réflexe de se protéger de son bras, qui était à présent lacéré et saignait abondamment. Déjà, on pouvait apercevoir le muscle et l'os dans sa plaie béante. Léo tourna la tête vers Emmy et Igana, et un sourire carnassier se dessina sur son visage.
- A vous, mes jolies.
Il se laissa tomber à quatre pattes, prêt à bondir sur les jeunes femmes comme un félin. Mais alors qu'il prenait son élan, Jun s'interposa de nouveau. Un garrot rudimentaire avait été noué à son bras, et elle tenait dans sa main ferme une lame fine à biseau unique.
- Voici Usuba. C'est l'une des lames dont mon chef, le grand Asidama, m'a fait cadeau avant de mourir.
Elle adopta de nouveau une posture défensive, et respira calmement.
- On dirait bien qu'on aura du lion à dîner, ce soir.
Léo éclata d'un rire bruyant et déraillé, presque grotesque.
- Pauvre imbécile ! Que comptes-tu faire exactement avec une lame aussi fine, alors que mes griffes peuvent trancher la plus dure des roches ?
- Si tu t'y connaissais un peu en cuisine, tu saurais déjà ce que je m'apprête à te faire, minou.
- Alors on va voir ça ! dit-il en s'élançant sur la jeune femme. Kit cat Claws !
- Tanzaku-giri ! s'écria Jun en faisant tournoyer sa lame.
Une nouvelle fois, un déluge d'étincelles illumina la sombre caverne, tandis que le fracas strident provoqué par leur affrontement y résonnait en écho. Emmy couvrit ses oreilles et ferma les yeux, tandis qu'Igana, la main en visière, tentait de percevoir ce qu'il advenait : mais elle ne vit que des éclairs tourbillonnants, les deux adversaires se jetant l'un sur l'autre, jouant de leurs armes pour remporter le combat. Leur vitesse impressionnante rendait leurs mouvements presque imperceptibles pour le commun des mortels. Igana profita de ce court instant de répit : elle arracha la cape de Soles, toujours inconscient, et en recouvrit Emmy.
- Venez à l'abri, mademoiselle, l'implora-t-elle en la tirant par le bras.
Léo attaquait pour tuer. Ses coups, rapides et violents, manquaient à chaque fois de faire flancher Jun, mais celle-ci, habile et vive, parvenaient toujours à les dévier de sa lame au dernier instant. Le combat s'éternisa, épuisant les deux adversaires. Seulement, le pirate était plus expérimenté, il avait connu plus d'affrontements, et il gloussait régulièrement, sadique, en voyant le front de Jun suer à grosses gouttes. Ce qui devait arriver arriva : le bras blessé de la jeune femme céda sous la puissance des attaques ennemies, et il lui lacéra de nouveau la chair, au niveau du ventre cette fois-ci.
C'était terminé. Une telle blessure serait à coup sûr mortelle, tranchant la peau, les muscles et les organes à la fois. Hélio risquait de lui passer un savon, mais ce n'était pas grave, car il pourrait faire passer ce meurtre pour un accident, ou pour un acte de légitime défense. Alors qu'il jubilait, un sourire bestial et sanguinaire traversant son visage, Jun releva la tête vers lui.
- Bah alors ? Déçu, le minou ?
Aussitôt, Léo eut un mouvement de recul et d'incompréhension. Le ventre de son ennemi était intact, même son chemisier n'avait pas été abîmé. Comment était-ce possible ? Instinctivement, le regard du pirate se porta sur ses longues griffes, ou du moins ce qu'il en restait.
- Tu apprécies ma technique de découpe ? s'amusa Jun. Tu es tellement sûr de toi... Tu t'es contenté d'attaquer sans te préoccuper de mes parades, tu m'as sous-estimé et tu n'as fait attention à rien. Je dois avouer que ça m'a pris un certain temps, tes ongles étaient longs et solides, mais j'ai finalement réussi à les tailler. Tout ce que ça me demandait, c'était un peu de patience.
Léo, affolé, ne cessait de faire l'aller-retour avec ses yeux : il regardait Jun, puis, ses ongles limés, puis Jun à nouveau... D'un geste désespéré et ridicule, il tenta de la trancher de nouveau, mais son attaque n'eut pas plus d'effet qu'un petit coup de patte de lionceau.
La seconde suivante, le pirate prenait la fuite en hurlant dans la direction opposée. Jun se lança alors à la poursuite de son ennemi inoffensif. Dégainant une nouvelle lame, elle hurla :
- Gyuto hocho : Sogi-giri !
Le pirate tenta de se protéger, mais sa peau fut tranchée par la lame d'acier, faisant pleuvoir un déluge de gouttelettes rouges. Il s'effondra, un filet de bave lui coulant sur le menton, le sang de sa plaie ruisselant jusqu'à ses griffes mutilées.
...
Zell regrettait sa galanterie. Parfois, son sens du respect et de l'honneur le mettait dans des situations délicates. Il n'avait pas voulu fuir devant l'ennemi, ni le neutraliser pendant qu'il était assoupi, et avait décider d'attendre que son adversaire se réveille pour l'affronter dans un duel en bonne et due forme.
Taurus était une sublime jeune femme, à la silhouette élancée et à la chevelure de feu, et il ne pouvait s'empêcher de la reluquer lorsqu'elle s'élançait vers lui pour l'attaquer. Il savait que ses camarades féminines désapprouveraient sans doute une attitude aussi machiste, et cette pensée, grossier comme il était, le faisait rire. Pourtant, la jeune pirate ne devait pas être sous-estimée : plusieurs fois déjà, elle avait réussi à l'atteindre avec ses coups, et sa prime, qui s'élevait à la somme non-négligeable de 30 000 000 de berrys, ne présageait rien de bon. Mais jusque-là, Zell s'amusait avec elle, se contentant de bondir comme un lapin pour éviter ses attaques, riant de ses échecs et l'encourageant.
- Arrête de rire ! hurla-t-elle en soufflant du nez comme un bœuf. Ne sous-estime pas le pouvoir du fruit cornu !
Elle fondit sur lui comme une harpie furieuse, le poing en avant, et sur ses phalanges délicates apparurent de longues excroissances épidermiques, semblables à des cornes.
- Keratin crash ! s'écria-t-elle en écrasant le sol rocheux de son poing.
Zell esquiva l'attaque tant bien que mal, mais avec moins de panache que précédemment : la violence du choc le fit chuter, et il roula dans la poussière. Alors que Taurus le chargeait à nouveau, il s'amusa à la provoquer :
- Tu reviens à la charge, cowgirl ? Je ne porte pourtant pas de rouge qui puisse t'énerver...
- Ne me prends pas pour une imbécile ! Canon Bull !
Prenant appui sur ses jambes, Taurus se propulsa vers l'avant à vive allure, les cornes de son crâne prêtes à embrocher l'ennemi. Zell saisit l'énorme corde attachée à sa ceinture, et la fit tourner comme un lasso : d'un habile mouvement du poignet, il la jeta sur une stalactite de pierre et se tira dans sa direction pour échapper à l'ennemie. Mais Taurus était plus maline, et surtout plus rapide qu'il n'y paraissait : elle freina sa lancée, effectua une ronde gracieuse, puis se servit de son élan pour bondir à nouveau vers Zell. Le jeune soldat n'eut pas le temps de réagir : les deux cornes de la pirate lui pourfendirent le corps au bassin et à l'épaule, lui arrachant un hurlement de douleur. Instinctivement, il lâcha sa corde pour saisir les deux cornes de Taurus, et ils s'effondrèrent tous les deux sur le sol. Zell roula dans la poussière, son chemisier bleu pâle se tâchant de sang, et vint s'écraser contre une épaisse colonne de pierre. Le visage en sang, collé contre la roche froide, il fut happé de sa torpeur par une étrange sensation...
Mais l'adversaire était bien décidée à ne lui laisser aucun répit. Bien qu'étourdie par la chute, Taurus se releva d'un bond :
- Alors ? Tu fais moins le malin là ! Et c'est que le début, mon gars.
Aussitôt, ses bras et ses épaules se durcir, se couvrant d'une corne dure comme la pierre.
- Keratin collar ! s'écria-t-elle en levant ses bras au-dessus de sa tête, dans la pose caractéristique du signe du taureau.
S'élançant sur l'ennemi, elle abattit sur lui ses membres durcis dans un déluge de coups vif et violents : chaque attaque était renforcée par la solidité de sa kératine. Zell, dégainant ses ciseaux à bois, dévia les attaques une à une et tenta de contre-attaquer :
- Formón : cincelar !
La lame de son outil se fracassa contre la corne de Taurus. Il y eut un craquement sec, et la lame vola en éclat. « Merde ! » pensa Zell : il n'avait que cinq ciseaux à bois, auxquels ils tenaient comme à la prunelle de ses yeux. Désormais, il n'en avait plus que quatre.
La nouvelle attaque de Taurus fut soudaine et inattendue : elle l'atteignit à la joue et le fit voler sur plusieurs mètres. De nouveau, il roula contre la sol rocheux. Il tenta de retrouver l'étrange sensation qui l'avait frappé plus tôt, mais ce ne fut pas le cas : la pierre qui composait le sol était on ne peut plus commune. Ne pouvant se résoudre à abandonner cette idée fixe, il prit le temps d'observer calmement la pièce alors que Taurus le chargeait de nouveau.
- Keratin crash ! s'écria-t-elle.
Zell l'esquiva habilement, la laissant broyer le sol et soulever un nuage de poussière tandis qu'il prenait la poudre d'escampette. Alors qu'il l'entendait tousser et rager derrière lui, il retourna près de la grande colonne de pierre contre laquelle il s'était écrasé un peu plus tôt. En la touchant, il sentait d'étranges connexions se former avec la roche, qui était définitivement particulière. Taurus, hurlant comme une bête enragée, tapait du pied et s'apprêtait à mener une nouvelle charge : il devait agir vite. Pourtant, cette pierre continuait de le fasciner, il ne pouvait en défaire son attention. Elle était sombre, glacée et granuleuse, et une aura mystérieuse en émanait.
Zell avait toujours manipulé le bois. Il avait été formé par les meilleurs ébénistes de Water Seven, et se considérait aujourd'hui comme un charpentier naval accompli. Il connaissait les différentes variétés d'arbres, leurs vertus et caractéristiques spécifiques, et il savait les travailler. On lui avait bien enseigné les rudiments de la taille de pierre, mais il ne parvenait pas à identifier celle qui se trouvait devant lui. Alors que le temps pressait, que son ennemie le chargeait de nouveau et que son corps meurtri commençait à flancher, il fouilla dans son esprit, aussi profondément que cela lui était possible.
La mémoire lui revint comme un flash lumineux : il devait avoir douze ans, et travaillait encore avec son père sur le premier quai de Water Seven. Un navire de la Marine, le plus grand qu'il ait jamais vu, était alors en construction. A son âge, il avait été émerveillé par la hauteur des mâts, la robustesse de la coque et l'énorme gueule des canons. En se promenant sur le pont, il s'était pris à rêver à cette vie de marin... Puis il avait trouvé, dans la cale, une étrange geôle, sans doute destinée aux prisonniers de la Marine. Les barreaux, d'un matériaux sombre, glacé et granuleux, avaient une aura similaire.
La révélation passa au-dessus de sa tête comme si un ange lui en avait soufflé l'idée : du granit marin. Cette caverne abyssale était partiellement faite de granit marin, à l'état brut. Les parois n'en étaient peut-être pas intégralement composées, mais d'une petite quantité au moins, tandis que le sol était d'une roche ordinaire.
Il se souvint de ses leçons à l'académie : cette pierre marine, aux vertus miraculeuses, était le talon d'Achille des utilisateurs de fruits du démon. Tout comme l'eau de mer, ce granit annihilait leurs pouvoirs et les rendait inoffensif.
- Raging bull ! hurla Taurus, à quelques centimètres de lui, tandis que son corps entier se couvrait d'une épaisse armure de kératine.
L'affronter de face était inutile, car sa peau était à présent beaucoup trop épaisse, quasiment indestructible. Cette corne qui la recouvrait intégralement lui donnait des allures de chevalier cornu, de guerrier démoniaque. Zell devait agir vite pour ne pas être broyé par la puissance de l'ennemi.
Il balança ses cordes dans les airs, et celles-ci, comme des lassos, s'accrochèrent aux stalactites de pierre coulant du plafond comme des gouttes rocheuses. Il n'eut fallu qu'une seconde à Taurus pour réduire Zell en charpie, pour qu'elle lui perfore le corps de ses cornes pointues, pour qu'elle broie ses os de sa masse bovine, mais il s'élança dans les airs, utilisant la colonne de pierre comme appui. Comme un gymnaste, il se retourna dans un saut périlleux des plus acrobatiques, et sembla flotter un instant dans l'immensité de l'espace caverneux.
Taurus n'était pas dupe. Vive, elle freina sa course et se retourna, son corps à présent hérissé de cornes pointues, comme un hérisson furieux.
- C'en est fini de toi, soldat ! hurla-t-elle. Moorchin !
Zell, propulsé dans les airs par sa pirouette, tira brutalement sur la corde. Il fut alors projeté vers Taurus et fusa, les jambes en avant, comme un météore, véritable boulet de canon humain.
- Corda : hombre bala !
Les deux pieds du soldat vinrent s'écraser contre la délicate figure de Taurus, et bien que Zell eut de solides semelles, les cornes de la jeune femme lui transpercèrent la plante des pieds. Il hurla de douleur, mais continua de tirer sur ses cordes. Projeté en avant, entraînant son ennemi avec lui, il l'écrasa contre la colonne de granit marin.
Celle-ci était si solide qu'elle ne bougea pas malgré le choc, comme si rien ne pouvait perturber sa stature figée, mais Taurus, elle, laissa échapper un cri étouffé. Pressée contre le granit, elle perdit progressivement ses forces, et tandis que Zell l'écrasait, son indestructible armure de kératine disparut.
Lorsque le jeune soldat relâcha ses cordes et s'effondra par terre, épuisé et ensanglanté, la jeune pirate chancela, puis chuta lourdement, son visage heurtant violemment le sol. Le combat était terminé.
...
Arthur furetait dans le dédale de tunnel depuis un moment maintenant. Il entendait parfois des cris, ressentait des secousses, mais dans ce labyrinthe obscure, il ne parvenait pas à retrouver le reste des naufragés. Deux choses l'inquiétaient : la première, c'était que Peck avait disparu. Il n'était pas avec lui à son réveil, et espérait que son oisillon aille bien. La seconde, c'était que Hélio était un homme intelligent et préparé à une telle expédition. S'ils ne parvenaient pas à l'appréhender rapidement, il parviendrait sans doute à mettre son plan à exécution.
Au détour d'un couloir, il entendit des pas pressés. Immédiatement, il tira Excalibur de son fourreau et adopta une posture défensive. Lorsque la personne entra dans son champ de vision, il n'abaissa pas sa lame tout de suite, et ce bien qu'il ait reconnu l'un de ses alliés.
- Tiens donc. Si je m'attendais à tomber sur toi, déclara Hector en posant sur lui un regard glacial.