• Chapitre 70 •

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Naomi

Mes escarpins claquent contre le carrelage du grand hall, les multiples voix autour de moi me montent douloureusement au crâne. Ces échos sont insupportables ! 
Leurs yeux me fixent, me sondent comme pour lire à travers mes pensées. Qu'est-ce qu'ils ont tous à me reluquer comme ça ? J'ai l'impression d'être une bête de foire qui se serait échappée d'un cirque.
Je lutte avec moi-même et les ignore du mieux que je peux, essayant de me rendre indifférente. Je monte dans l'ascenseur et lorsque les portes se referment, je reprends un semblant de respiration.
Quel est le souci ? Est-ce j'ai fait une gaffe en arrivant ? Est-ce à propose de John Poders ?
Le bip de l'ascenseur me remet les idées en place et je m'accroche à mon sac à main afin de me donner un peu plus de courage. Lorsque je m'avance dans le hall, je remarque que les deux femmes assises derrière le comptoir, me dévisagent la mine peinée. Bordel, mais c'est quoi leur problème !
C'est, profondément agacée que j'entre en furie dans le bureau d'Adan. Lorsque la porte se claque dans mon dos, je comprends immédiatement que quelque chose ne va pas avec lui également.
Debout face à la baie vitrée, il contemple la vue d'un regard vide, immensément vide.
Je marche jusqu'à lui et glisse une main sur son épaule. Il tremble comme une feuille...
Je n'ai à peine le temps d'ouvrir la bouche qu'il se dégage de ma prise et m'ignore, se plaçant devant son bureau comme si je n'existais pas. Mon cœur en prend un coup...
— Adan, quelque chose ne va pas ?
Je l'interroge d'une petite voix.
Toutefois, il ne répond pas et se contente de me tendre les deux journaux qui traînaient sur un coin de son bureau, sans m'adresser un regard. 
J'en attrape un, le souffle court. Il met en avant la photo de John Poders, entouré de policiers avec comme gros titre, « John Poders mis en garde à vue, suspecté d'être relié à Gustavo Arcuri, trafiquant de drogue à Brooklyn. »
— John a été arrêté ? Je m'écrie, médusée. C'est une bonne nouvelle, non ? 
Il m'ignore une seconde fois.
— Je ne comprends pas, Adan...soufflé-je, il est désormais...
— L'autre.
Il me coupe, le ton sec, presque douloureux.
Je le considère une petite minute avant de prendre en main, le deuxième journal.
Tout à coup, un poignard s'enfonce dans mon estomac et de subites flashs me reviennent en tête. Le noir, la police, le bruit des menottes, de la voix douce de cette femme, les pleures de ma mère, le visage de mon père, l'humidité, le goût du sang sur mes papilles, tout...Absolument tout me revient, comme les images saccadées d'un film en noir et blanc.
Je détaille la photographie d'un œil absent. Là, dans les bras d'une femme, se trouve une petite fille. Les yeux perdus dans le vide, presque éteints...
Une unique goutte s'écrase sur le papier rêche du journal. Mes mains tremblent, comme prise de convulsions. Je relève la tête et scrute le dos d'Adan qui s'efforce de tenir debout, les mains fermement accrochées sur les rebords du bureau.
Il les serre, de façon à cacher les tremblements qui l'assaillent.
"Richard J. Valdez, condamné à 55 ans de prison pour le kidnapping de la petite Naomi âgée de 7 ans au moment des faits"
"Naomi ******** retrouvée 3 ans plus tard dans le sous-sol de Richard J. Valdez cet après-midi entre 14h et 15h"
"La jeune Naomi ne parle plus et refuse qu'on la touche, nous soupçonnons des actes de violence et une possible agression sexuelle."
Des actes de violence.
De violence...
Ces mots résonnent en boucle dans ma tête. Comment c'est...Je lâche le journal qui s'écrase au sol. Dans mon crâne, c'est le silence total, plus aucun bruit. Seul les battements frénétiques de mon cœur, le sifflement lourd de mes poumons se font entendre.
— Tu...(Il s'arrête et prend une ample inspiration.) Tu ferais mieux de rentrer chez toi. Chesters t'attend en bas, reste chez toi pour le moment. Je...je m'occupe de ça.
Je ne perçois plus rien dans le son de sa voix, plus de tendresse, plus d'amour. Juste une profonde froideur, une profonde distance. Pourquoi ? Pourquoi tu me rejettes, Adan ?
Je voulais lui parler de tout ça mais, les mots restaient coincés dans ma gorge comme retenus par des murailles d'acier.
Il part ouvrir la porte.
— Je t'accompagne jusqu'en bas. 
Sa voix, lourde de chagrin me semble si lointaine.
Adan ne loge pas sa main dans mon dos comme il en avait l'habitude, il marche devant moi, tel un inconnu.
Il ne me regarde pas non plus, je suis désormais inexistante. Une fichue poussière sur le sol de ce maudit ascenseur...
Lorsque les portes s'ouvrent sur le hall d'entrée, des centaines de cliquetis s'enclenchent, venant aveugler mes yeux de leurs grosses lumières blanches. 
Après plusieurs pas qui me semblent interminables, je finis assise, sur la banquette arrière d'une voiture.
Sans ressentir la pression d'une paume si familière dans mon dos, je tourne machinalement la tête à travers la vitre teintée et observe le visage anéanti d'Adan. Il est à bout de souffle, les flashs des appareils photo éblouissent le côté droit de son visage mais, il s'en contre fiche. Il me fixe aveuglement à travers cette épaisse vitre qui nous sépare.
Le moteur rugit et le visage livide d'Adan s'éloigne de plus en plus.
En un seul clignement d'œil et je reviens brutalement sur Terre, les bruits urbains entaillent mes oreilles. Que vient-il de se passer ? 
J'ai la terrible sensation de sortir d'un profond coma, Adan n'est pas avec moi...Où est-il ?
Je porte une main sur mon visage et me rends compte que des larmes s'écoulent de mes yeux. Je les essuie, tentant d'y mettre un terme, cependant elles glissent sur mes pommettes sans parvenir à s'arrêter. Mon copier bat dans ma gorge et j'ai envie de vomir. Ma tête n'arrive plus à assimiler les informations alors mon corps se défend, touillant mes tripes comme des nouilles Chinoises. Bordel...Bordel, bordel !
Mes démons...
Ces putains de démons que j'ai essayé de refouler si longtemps sans jamais y parvenir, ils sont là, juste sous mon nez.
Mes démons sont de retour...

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Haut Niveau - Tome 1 -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant