• Chapitre 19 •

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La nuit est tombée sur Tokyo et pourtant, la ville est toujours autant illuminée. Je balade mon regard sur les différents magasins ouverts de nuit. Adan a voulu partir bien plus tôt que prévu, je pensais qu'il était du genre à parler de bons vins avec tous ces hommes, c'est étonnant. Je suppose qu'il a demandé à Chesters de rester chez lui puisque la jolie Acura noire n'est pas au bout de la rue.
— Vous allez vous blesser si vous continuez à marcher à pieds nus.
— Ces chaussures sont bien plus douloureuses que le sol du trottoir.
— Si vous le dites.
Je sais, ce n'est pas très charmant de se balader les pieds à l'air en pleine rue mais, les talons de dix centimètres. Ce n'est pas mon fort, c'est comme marcher sur des centaines d'épines de roses aiguisées. Il faut souffrir pour être belle ! Se moque ma conscience. Le vent frais fait virevolter mes cheveux, sentir un peu de fraîcheur contre ces derniers me fait un bien fou.
— Vous n'avez pas froid ?
— Non, tout va bien. La brise est agréable.
— C'est vrai.
Son côté gentleman est tellement inattendu que je n'ose y croire, serait-ce le moment de me rapprocher de lui ? Fonce Nomi ! Me dis-je intérieurement.
— J'ai l'impression que vous êtes vraiment très proche de madame Mori.
Il me lance un coup d'œil étonné puis retrouve son expression impassible.
— Oui.
— C'est une femme formidable je trouve, sa bonne humeur est tellement contagieuse.
— Oui c'est vrai mais, il faut être très vigilant avec Aiko. Elle cache trop ses émotions, souvent les plus tristes. Fait-il, avec une mine chagrinée.
— C'est une belle preuve de courage...même si je pense que pleurer, crier ou s'énerver un bon coup, libère notre âme.
Suis-je vraiment entrain de parler de ce genre de choses avec mon patron, une partie de moi se roule à terre, morte de rire tandis que l'autre trépigne d'impatience.
— C'est ce que vous faites ?
— Moi ? M'étonne-je. Non...c'est ce que ma mère me disait.
— Votre mère ? S'enquiert-il.
— Elle est morte de maladie.
Je contemple le ciel d'un air mélancolique. Ce n'est ni le bon moment ni le bon endroit pour me mettre à chouiner.
— Désolé, je ne voulais pas être indiscret.
— Ne vous en faites pas, c'est du passé maintenant.
Comme pour le rassurer, je lui fais un grand sourire. C'est la première fois depuis des années que j'aborde ce sujet. Pourquoi est-ce que ça tombe sur lui ?
— Ma mère est décédée lorsque j'avais six ans. Pour ne pas me blesser, mon père m'a dit qu'elle était partie très loin. Je l'ai appris quelques jours plus tard par mes camarades de classe.
Je me retiens de poser une main contre mes lèvres. La photo que j'ai aperçue quelques semaines plus tôt me revient en tête, c'était bien l'enterrement de sa maman...
— Peut-être que j'aurais dû pleurer ou hurler ce jour-là.
Son ironie me transperce le cœur.
— En fait, commencé-je. Je déconseille cette méthode...Après l'enterrement, j'ai brisé tous les cadres du salon en hurlant à la mort.
Je le regarde en douce et repère son petit sourire en coin.
— Vous avez un caractère explosif, mademoiselle Anderson.
— Je pourrais dire la même chose de vous, monsieur Brown.
— Habituellement, je garde mon calme.
— Elle avait raison alors. Je marmonne.
Je pique votre curiosité.
— Elle ?
— Madame Mori...elle m'a dit que vous agissiez différemment avec moi.
— Saleté de pipelette...Bougonne-t-il dans son coin.
— Qu'avez vous dit ?
— Rien d'important, nous sommes arrivés.
Wow, quel brillant changement de conversation. Nous franchissons le hall puis entrons dans l'ascenseur, Adan passe rapidement la carte magnétique devant le petit lecteur à disposition.
Aucun de nous ne parle, de frêles picotements viennent chatouiller mon estomac, je jette un fébrile regard à Adan mais, nos yeux se croisent subitement. Seigneur...mon cœur...
Je me mets à fixer un point invisible en priant pour descendre au plus vite de la tension écrasante qui me fait face. Le ding de l'ascenseur me remet les idées en place, je me rue en dehors de la grosse boîte électrique avant de lancer d'une voix chevrotante :
— B...bonne nuit.
— À vous aussi.
Je claque la porte de ma chambre et me laisse glisser contre celle-ci, j'entends cogner fort dans ma poitrine, satané organe incontrôlable...Mon sang chauffe dans chaque membre de mon corps tandis qu'une petite voix me hurle d'aller le rejoindre. Je délire...la fatigue me joue des tours. J'atteins mon lit, m'écroule dessus et m'endors aussitôt.

"— Cours Naomi !
Son rire.
Je vais super vite maman !
Mon rire.
Oui ma chérie, tu es la meilleure.
Ma poupée saute.
Ma poupée rit aussi.
Elle saute et retombe en même temps que moi
Ses cheveux roux volent comme les plumes des oiseaux..
Maman, il faut que maman voit ma poupée.
Maman ? Maman !?
Maman a disparu.
Le monde autour de moi s'écroule et se noie dans une eau aussi noirâtre que du goudron.
Papa est là, dans notre petite maison.
T'avais pas le droit ! T'avais pas le droit de partir !
Les cadres se brisent contre le plancher.
Comment je vais faire sans toi...?
Je t'aime Maman."

J'essuie le coin de mes yeux du revers de la main puis jette un coup d'œil à travers la baie vitrée qui me sépare de l'extérieur, le ciel est opale pointant vers le dorée à quelques endroits. Tout indique que nous sommes le matin. Heureusement, car je n'avais pas l'intention de me rendormir après ce rêve, mes sanglots résonnent encore contre mes oreilles.
Je sors du lit et enfile ma tenue propre du jour puis quitte la chambre avec un bâillement camouflé derrière la paume de ma main. Je commence enfin à m'habituer à l'heure Japonaise.
— Combien de fois je vais devoir te dire que c'est pas de ma faute ? Hurle une voix qui me semble être inconnue.
— Tu as toujours fait ce que tu voulais de toute façon, je n'ai jamais et je n'aurai jamais mon mot à dire dans tout ça et tu le sais pertinemment !
Cette fois, c'est la voix d'Adan qui résonne. Que-ce passe-t-il ? Dois-je retourner dans ma chambre le temps qu'ils terminent ? Mais, je dois récupérer mes affaires de travail dans le salon.
— Non mais arrête ! Si tu avais voulu changer les choses tu les aurais changées.
De quelles choses parlent-ils ?
— J'ai essayé de les changer mais il faut croire que les comparaisons ont repris le dessus.
Le ton s'est partiellement calmé mais, je sens comme un terrible aura pénétrer dans chaque mètre cube de l'appartement.
Je fais un pas timide dans le salon, aussitôt le pas fait que le garçon qui était face à Adan se tourne vers moi, Adan l'imite et me scrute d'un œil penaud. J'aurais sérieusement dû rester enfermée dans la chambre, j'ai l'impression d'être de trop, enfin, ce n'est pas vraiment une impression malheureusement.
— Qui est-ce ?
Le jeune homme brun pivote vers Adan mais celui-ci ne semble pas décidé à répondre.
— Euh...je m'appelle Naomi Anderson.
Impossible de cacher mon malaise.
— Enchanté Naomi, moi c'est Connor. Lance-t-il en capturant ma main sans prévenir. Son sourire charmeur me met sérieusement mal à l'aise. Il est clair que c'est un tout autre type de personne que j'ai en face de moi.
— Excusez-moi...Connor mais, vous êtes...?
— Connor est mon frère. Intervient Adan d'un ton détaché.
Oh...

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Haut Niveau - Tome 1 -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant