• Chapitre 29 •

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Naomi

— D'accord.
J'avance d'un pas et lorgne son visage. Il retire le premier bouton de sa chemise, me donnant un coup de chaud dans les pommettes et me désigne la queue de billard.
— Pour commencer, votre main droite doit se positionner le long de la flèche, cette partie-là.
Il fait glisser son index le long de la partie concernée.
— Votre deuxième main doit se tenir sur le fût, ni trop en avant ni trop en arrière.
Il se penche en avant, pose la main sur la feutrine verte sapin et ajoute :
— Il y a plusieurs positions différentes pour vos mains, la plus simple et la plus utilisée est celle-ci. La main doit être à la hauteur de la bille et le pouce doit être légèrement courbé pour adhérer la flèche.
J'hoche la tête, retenant le plus d'informations possibles.
— Le match se fera en deux manches, je vais avant tout, vous faire une démonstration en listant les règles d'accord ?
— Oui.
Il se tourne et attrape le triangle, il le place ensuite sur la droite du billard, les billes de différentes couleurs trouvent leurs places à l'intérieur. Il vient ensuite poser la bille blanche au centre de la partie gauche.
— On doit toujours tirer avec la bille blanche, je vous laisse l'honneur de casser.
De casser ? Casser quoi ? Le triangle ? Merde, donnez moi plus d'explications, nom de Dieu !
Je prends gauchement la queue de billard et place mes paumes aux endroits qu'il m'a précédemment indiqués. Je me penche en avant et souffle avant de frapper fort la bille blanche qui vient s'écraser contre la première bille du triangle. La bille portant le numéro six tombe.
— Si une bille est empochée sans faute lors de la casse vous êtes en droit de continuer. Si, malencontreusement aucune bille n'est empochée, quatre billes doivent avoir touché l'une des bandes. En revanche, si ce n'est pas le cas, vous pouvez soit accepter la casse telle quelle, re-casser ou encore, me laissez re-casser.
Il sourit avec espièglerie.
— Pleine ou rayée ?
De quoi parle-t-il ? Ah...des billes il me semble.
— Heu...pleine.
Il acquiesce, est-ce un bon choix ou non ?
— Dans ce cas, empochez seulement et seulement les pleines. N'oubliez pas d'annoncer laquelle vous tirez et où vous la tirez, si vous annoncez une des poches et que la bille atterrit dans la poche opposée c'est une faute.
— Il y a des fautes ? Me voilà dans de beaux draps.
— Bien sûr qu'il y en a, si la bille blanche se fait empocher c'en est une, si vous tirez une bille mais qu'elle ne s'empoche pas et qu'elle n'entre pas en contact avec une bande c'en est une, sourit-il narquois, si vous empochez une bille adverse c'en est également une et pour finir je vais vous citer les actions qui mènent directement à une défaite.
J'opine de la tête.
— Si la bille noire est empochée sans avoir été annoncée c'est perdu, pareillement si la bille noire est empochée avec la bille blanche c'est perdu, vous avez compris ?
— Je pense avoir retenu le minimum...
— Super, il jette une main vers le billard, c'est à vous.
Je contourne le grand meuble et me positionne face à la bille blanche dont je viens frapper le centre afin qu'elle pousse deux autres de mes billes alignées.
Elles roulent puis disparaissent dans l'une des poches.
— Je pourrais peut-être gagner...me moqué-je avec un sourire satisfait.
— Qui sait ?
Chacun de notre côté, nous empochons nos billes. Au bout de plusieurs minutes de jeu, je constate que seul la bille noire et la bille blanche repose sur la feutrine. Vas-y Nomi, tu peux le faire ! M'encourage ma conscience. Je croise les doigts et prends une copieuse inspiration avant de flanquer un coup sec à la bille, elle glisse, frappe la bille noire mais cette dernière s'arrête en cours de route. Arg...j'étais à deux doigts de remporter la victoire. Pourvu qu'il rate son coup, pourvu qu'il rate son coup, pourvu qu'il rate son coup !
Comme s'il entendait mes profondes pensées, il se met à glousser.
— Je pense que vous oubliez quelque chose, Anderson...
Il me glisse un regard avant de frapper d'un coup habile, la bille blanche qui s'entrechoque avec la bille noire. Celle-ci tombe nettement dans l'une des poches. Fait chier...
— Je gagne toujours. conclut-il, un sourire fier aux lèvres.
— Bien joué. avoué-je, déçue.
— Il est l'heure, lance-t-il brusquement après avoir jeté un regard à sa montre, que la vraie partie commence.
Nous retournons dans la salle principale où se trouve, John placé sur une estrade en bois clair. Il tient entre ses mains, un maigre micro dont le bout est rembourré. Je suppose que nous avons raté une grande partie du discours puisqu'il termine sa phrase par une basique question.
— Des questions ?
Les gens se regardent mais aucune question se fait entendre à part, Adan qui lève la main en répondant d'une voix haute et assurée.
— J'ai.
L'oeil méprisant de John se pose sur Adan.
— On t'écoute, A-dan. fait-il en insistant sur chaque syllabe.
Adan, pas du tout intimidé, s'avance vers l'estrade, la franchit et empoigne le micro.
— En fait, c'est une question pour monsieur Lewis, l'attention de ce dernier se fait capturer par le regard poignant d'Adan, êtes-vous idiot ?
Les exclamations des personnes présentes me chiffonnent, j'ai confiance en lui mais, ces méthodes sont vraiment spéciales...Contrairement aux autres, le maire garde un visage neutre.
— Si j'envisageais de raser un village entier pour y construire des cafés au goût inappréciable, accepteriez-vous sa construction ?
M.Lewis secoue la tête de droite à gauche.
— Très bien, alors pourquoi avoir autorisé la construction des canalisations souterraines de monsieur Poders ? Fait-il, le visage furieux. Si vous vous étiez en temps soit peu renseigné sur l'industrie de monsieur Poders vous auriez su que le nombre de plaintes est aberrant. La ville de Portland a été l'une des nombreuses plaintes, un mauvais goût, une couleur noirâtre, une odeur de gaz chimique ? Est-ce que vous trouvez cela normal ? Un incendie a été déclaré, un enfant malade a été déclaré !
Il hausse le ton.
— D'après des professionnels qui ont étudié les matériaux utilisés pour ces canalisations, ils m'ont tous confirmé qu'ils n'étaient en aucun cas adaptés pour ce genre de canalisation. L'argent est le principal intérêt de John Poders. Les employés qui ont été licenciés m'ont tous rapporté la même chose, ils savaient et refusaient de monter ces canalisations car ça n'allait jamais tenir une année mais, comme je vous l'ai précédemment indiqué, l'argent est le principal intérêt de M.Poders. Est-ce que vous trouvez cela normal qu'un parc aussi populaire que le Alley Pond Park perde la moitié de ses racines pour des tuyaux aussi défectueux ? Monsieur Lewis, est-ce que vous savez qui je suis ?
George Lewis, complètement médusé par les propos véridiques d'Adan, hoche fébrilement le menton.
— Bien, donc vous devez savoir qu'en aucun cas, je vais laisser un tel plan aboutir.
Adan semble en avoir fini, pendant les exclamations éberluées des personnes présentes, il se tourne vers moi et me lance un sourire carnassier accompagné d'un clin d'oeil. Je lève les yeux au ciel en gloussant comme une gamine intimidée. M.Lewis rejoint Adan sur l'estrade et lui chuchote quelque chose à l'oreille puis avance vers John qui se tient là, la tête haute, le visage sanguinaire et le buste droit. Le vieil homme dit quelque chose à John qui serre la mâchoire avant de faire volte-face. John Poders, suivi de ses deux gardes du corps disparaît à travers la nuit noire.
— Je suis navré que la soirée se soit déroulée ainsi mais, vous pouvez malgré tout profiter des petits fours qui ont été disposés sur les tables dans votre dos, la soirée continuera comme prévu.
Les gens ne semblent pas particulièrement affectés par le tournant complètement différent que prend la fête. Adan descend de l'estrade avec élégance et se dirige droit vers moi, je me prépare à le féliciter mais une horde de femmes vient lui couper le passage, un sentiment désagréable vient pointer le bout de son nez au creux de mon estomac et je m'immobilise.
— Merci mesdames, mais je dois m'absenter. Pourquoi est-il si chaleureux avec elles ?
Adan s'arrête à mes côtés, attrape ma main et me tire vers la sortie, ignorant les voix criardes de toutes ces femmes. Mon coeur se met à danser le tango, une rose entre les dents.
— Est-ce que tout va bien ? je demande, toujours traînée par lui.
— Parfaitement bien.
— V...vous n'appelez pas Chesters ?
Bon sang ! Pourquoi marche-t-il aussi vite ?
— Si vous le voulez bien, j'aimerais marcher.
— Oh...D'accord.
Je vais me casser la figure s'il ne ralentit pas un peu, mes escarpins ne sont pas vraiment adaptés pour de la marche rapide.
— Vous êtes sûr que tout va bien parce que vous ne marchez pas là, vous foncez. Si vous voulez m'épuiser, vous êtes particulièrement bien parti !
Se rendant compte de mes paroles pressées, il se stoppe brusquement, me faisant tituber. Sa respiration semble saccadée, qu'est-ce qu'il lui prend ?
— Est-ce que...
— Désolé. me coupe-t-il, en relâchant ma main, je vais appeler Chesters.
Il évite mon regard.
Je ne sais pas ce qu'il s'est passé pour qu'il réagisse ainsi mais ça m'inquiète. Est-il satisfait ou non ? Mon esprit reste tracassé pendant le trajet jusqu'à chez-moi, Adan ne dit plus un mot. Mince...est-ce que j'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?

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Haut Niveau - Tome 1 -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant