Chapitre 46

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Dès que j'entrai dans la salle où devait se tenir le festin, tous les convives m'applaudirent, ainsi que le voulait la coutume. Je n'avais pas l'habitude d'être au centre de l'attention et cela me fit rougir de plaisir. Pendant que certains invités dont j'ignorais le nom, n'ayant pu le faire plus tôt vinrent me congratuler, je regardai autour de moi. Les tables avaient été dressées dans la grande salle du château de Lanwenech', et le seigneur de ces lieux, père du premier ami que j'aie connu dans ma nouvelle vie n'avait pas fait les choses à moitié. Pour mieux organiser la surprise, on m'avait interdit de participer aux préparatifs, et lorsque je vis les décorations, je fus plein de gratitude envers notre hôte. Des draperies toutes de vert et de blanc, symboles à la fois de la magie qui m'habitait, et de mon arrivée dans le monde des adultes, ornaient chaque mur de la salle ainsi que chaque table. Des branchages complétaient le tout. Je trouvai tout cela magnifique, et le fait que tant de monde ait travaillé en mon seul honneur me semblait impossible. J'avais beau avoir changé de nom aujourd'hui, et être désormais un « grand garçon », je me sentirais toujours peu ou prou, une « souris ».

Mes amis réussirent finalement à me rejoindre, et me demandèrent de quoi m'avait parlé Grimelin, car eux aussi avaient été surpris du choix de mon prénom. Je les fis patienter en leur promettant de leur raconter tout cela pendant le repas.

Parmi le brouhaha ambiant, le seigneur Lanwenech' finit par se faire entendre, et demanda à tous de prendre place autour des tables. Il me fit signe de le rejoindre et me plaça à sa gauche. A sa droite, sa femme, puis Grimelin et Nokt. Quant à mes amis, ils se retrouvèrent à mes côtés. Corwen m'expliqua que Wynie et Meywen avaient refusé d'être mis à l'honneur, et préféraient rester anonymes aux yeux de la plupart des convives car ils n'étaient pas particulièrement fiers de la branche du Grand Wen qu'ils représentaient, que ce soit par leur frère Wency, ou dans une plus large mesure de leur famille. Je m'étonnai :

«  Votre père n'était pas un si mauvais roi.

− Notre père était un usurpateur, et un assassin, me répondit Meywen. J'ai fait des recherches lorsque j'étais au château et j'ai découvert des documents qui ne laissent aucun doute sur ce qu'il a fait. Je te parlerai de tout cela en détail un autre jour.

− Mais il était votre père, tout de même, voulus-je insister. Il vous aimait surement, même s'il n'était pas exemplaire par ailleurs.

− La seule qui m'ait aimée fut Rowyn, ma nounou, me rétorqua Wynie sur un ton sec. Ma mère, si elle en avait eu le temps m'aurait peut-être aimée, mais, comme tu le sais, elle n'en a pas eu le temps. Quant à mon père, lui, ne s'est jamais préoccupé de mon existence.

− J'ai eu la chance de connaître ma mère, et elle m'aimait, jusqu'à ce qu'elle soit assassinée, ajouta Meywen d'un ton amer. C'est alors seulement que j'ai connu mon père. Tout ce qu'il a fait pour moi fut de contribuer à ma naissance et de ne pas m'abandonner. Je dois reconnaître, à sa décharge, qu'il aurait pu aussi me tuer car mon existence pouvait compliquer bien des choses dans la succession, et puis j'aurais pu avoir des vues sur le trône, même si la loi l'interdit. Bref, même si cela vous paraît ingrat, je peux dire que je lui dois la vie, mais rien de plus. »

Je pensai aux révélations que Grimelin venait de me faire. Je devais ma vie à bien des gens, et pour certains, je ne pourrais jamais les remercier.

Ce fut ce moment que choisit Corwen pour me demander ce qu'il en était de mon entretien avec le vieux magicien. J'hésitai, alors à tout raconter, et regardai mon maître.

Il avait suivi notre conversation de loin, et me fit signe que je pouvais leur raconter. Je commençai donc mon récit, et bientôt, je vis que le seigneur Lanwenech' et son épouse ne perdaient pas un mot de mon récit. Les autres convives, lancés dans d'autres conversations n'entendaient rien de ce que je disais, et cela me convenait. Je supposai qu'en me laissant dévoiler certains secrets à cette table, Grimelin savait parfaitement ce qu'il faisait. Le seigneur Lanwenech' faisait partie de ceux qui clamaient que Kerwen avait été assassiné dans une embuscade. Découvrir le véritable héritier du trône ne pouvait que relancer son désir de justice.

Lorsque j'eus fini mon récit, je regardai Meywen et Wynie. En leur disant la vérité, je risquais de les perdre, car ils avaient plus ou moins décidé qu'après avoir combattu leur frère, ce serait Wynie qui monterait sur le trône. Mais celle-ci, dès qu'elle eut compris ce que tous ces secrets révélés impliquaient afficha un sourire radieux.

«  Ca veut dire que si on arrive à chasser, Wency de Wenlach', je ne serai pas obligée d'être reine ?

Je regardai Meywen, intrigué par la question. Celui-ci aussi souriait.

− En effet, répondit-il. Il semble qu'on ait trouvé le véritable tenant du titre, et prétendant au trône, par la même occasion.

Wynie ne put se contenir plus longtemps, et, m'attrapent par le cou, m'appliqua un baiser retentissant sur la joue. Puis, s'apercevant de son geste, elle rougit et dit, comme pour s'excuser :

− Tu ne peux même pas imaginer comme je suis contente. Etre reine, c'est vraiment trop nul ! Moi, je veux être sorchevalière, dit-elle en regardant Nokt.

Puis elle reprit très sérieusement :

− Bon, puisque c'est toi le futur roi, il va falloir que tu retrouves ton trône. Ca veut dire qu'il va falloir combattre Wency et la sorcière, comme prévu, de toute façon, mais tu as peut-être un autre plan.

Je répondis en souriant :

− C'est l'idée générale, mais je crois que Grimelin a d'autres projets pour moi dans l'immédiat.

Celui-ci se joignit à la conversation et répondit :

− En effet, jeunes gens, chaque chose en son temps. Avant de combattre qui que ce soit, il faut être correctement armés, et en ce qui vous concerne, cela veut dire, être formés. Le Petit, enfin Wendall, je veux dire, sera formé à l'Ecole des Grands Sorciers, il en a l'âge maintenant. Meywen et Corwen, vont je pense pouvoir rejoindre l'école des Soldats du Roi, où ils vont parfaire leurs techniques de combat, quant à Wynilliah', je vais la prendre en tant que jeune apprentie jusqu'à ce qu'elle soit en âge d'entrer à l'école des Grands sorciers. »

A ces annonces, je vis mes amis tour à tour sauter de joie ou se rembrunir.

Pour ma part, je me réjouissais. J'allais entrer dans une école prestigieuse pour parfaire la maîtrise de mes dons, Grimelin me le promettait depuis longtemps et voilà que ça allait bientôt se réaliser !

Toutes ces pensées me donnaient le vertige, toute cette journée me donnait le vertige.

Je connaissais désormais l'identité de mes véritables parents, j'avais le nom qu'ils avaient voulu pour moi, et j'avais vraisemblablement hérité de leurs fabuleux dons de magie !

Un bref instant, je pensai à Mina. Mina, mon amie, Mina, ma sœur de lait, Mina qui avait vraisemblablement été assassinée pour empêcher que l'héritier de Kerwen ne monte sur le trône. Quelle revanche pour elle si le véritable héritier finalement vivait !

Je pris brusquement une décision : pour elle, pour la venger, je me battrai, et pour le bien du Lanwen, je monterai sur le trône.

Je serai un roi exemplaire.

Terre de Sorciers- Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant