Chapitre 04

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Je perdis vite le compte des jours que je passai aux cuisines. Ils se ressemblaient tous et j'étais épuisé. Les lunes glacées étaient arrivées, c'était tout ce que je savais. J'en avais conclu que j'étais là depuis deux lunaisons.

Seule ma petite souris m'apportait un peu de réconfort quand arrivait la nuit. Je partageais mon maigre repas et piquais parfois dans la journée quelques bouts de gâteaux que nous partagions le soir venu. Je l'avais appelée Milie. Rien de très original à cela quand on sait que, ainsi que en ancienne langue de Lach' souris se dit « mil » , ainsi que mon prénom me le rappelait chaque jour. Je lui racontais mes chagrins et mes espoirs. A cette époque, ils se bornaient à ne pas rester garçon de cuisines éternellement.

Je n'avais pu revoir, volontairement ou non, le Premier Conseiller, et ma situation restait la même qu'au premier jour : je dormais toujours dans un endroit qui devait demeurer secret sous peine de... je ne savais trop quoi mais cela m'effrayait, et je travaillais toujours autant dans l'indifférence générale. J'étais épuisé, et je me suis longtemps demandé comment j'avais pu continuer à vivre dans de telles conditions.

Je ne rêvais plus.

Ni de Mina, ni de personne.

Depuis que les Glaces s'étaient installées, ma cachette était plus froide, et je n'avais rien de plus pour me protéger que quelques sacs de toiles supplémentaires que j'avais réussi à dénicher dans la resserre. Le feu qui couvait normalement toute la nuit permettait d'habitude de maintenir une chaleur plutôt douce dans mon petit coin. Mais le froid trop vif éteignait si rapidement les braises dans l'âtre que je me réveillais en grelottant au milieu de la nuit.Désormais, nous devions rallumer le feu tous les matins.

Pour cette raison, le cuisineux de service arrivait encore plus tôt, réduisant encore la durée d'un sommeil qui m'aurait été salutaire, et ce afin de donner le change pour simuler mon arrivée. J'aurais pu pour avoir un peu plus chaud maintenir suffisamment le feu toute la nuit mais je craignais que la fumée à l'extérieur ne finisse par se remarquer, et ne trahisse ainsi ma présence. De plus un serviteur pouvait arriver sur les ordres de son maître à tout moment de la nuit et s'étonner que dans un endroit censément désert, le feu brûle encore suffisamment alors que lui-même devait se lever régulièrement pour le maintenir et l'alimenter dans les appartements de son maître.

Le froid et le travail avaient fini par avoir raison des exigences incessantes de mon estomac.

Souvent, je me couchais le soir en oubliant de manger tant j'étais épuisé.

Il m'arrivait de piquer un bout de pain dans la journée quand je me sentais un peu faible, mais, bien que je ne l'eusse pas cru encore possible, je maigrissais. N'ayant aucun miroir à ma disposition, j'ignorais la tête que je pouvais avoir, mais j'en avais une idée lorsque les gens, s'apercevant de temps à autre de ma présence prenaient un air effrayé en s'écartant de mon chemin. On aurait dit alors qu'ils venaient de croiser un Mage Noir. Je m'aperçus aussi que mes habits raccourcissaient ; j'avais ainsi une partie des avant bras et des mollets à l'air, ce qui, en ces temps de froidure étaient pour le moins inapproprié.

Tout le monde parlait de lunaisons de Glaces particulièrement rudes. Et cela devait être vrai car depuis déjà une demie lune, je devais tous les jours casser l'eau gelée dans le puits. Les ampoules dues au maniement du balai avaient désormais laissé la place à des cals, mais les gerçures et engelures n'avaient pas tardé à les remplacer. Mes pieds aussi étaient atteints car je devais aller chercher l'eau dans la neige mais je n'avais rien d'autre que mes chausses d'été désormais usées et trop petites ce qui faisait que je ne pouvais les enfiler qu'à moitié.

Terre de Sorciers- Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant