Chapitre 05

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J'étais désormais seul toute la journée en cuisines et avais fini par en prendre totalement possession. Je m'étais approprié les feux et les marmites. J'avais pris l'habitude de préparer le pain et la soupe.

Voir œuvrer les cuisineux m'en avait appris plus que je ne croyais, et l'entraînement avait pallié aux autres lacunes culinaires. J'arrivais à préparer de modestes repas pour les survivants du château avec les quelques vivres de la resserre. Pendant des jours, je m'occupai de la cuisine, et cette liberté de mouvements me plaisait assez.

Les serviteurs encore valides parlaient de la Fête des Glaces qui approchait, une fête qui marquait la moitié des lunes glacées en même temps que la moitié de l'année, mais il semblait qu'au château les réjouissances soient compromises, faute de personnel valide pour les préparer. De plus, le Roi Morwen n'étant toujours pas rentré, personne n'osait prendre de décision à ce sujet ; il était impensable de célébrer cette fête à Wenlach' en l'absence du roi.

Corwen s'était débrouillé pour trouver du tissu et une couturière encore valide pour renouveler mes habits. Il refusa mes remerciements, en me disant que je devais tout à Owen, le serviteur de Grimelin à qui il avait parlé de ma condition. Ainsi, grâce à eux deux, je n'avais plus aussi froid lorsque je sortais. Il avait réussi aussi, j'ignore comment, à se procurer une paire de vieilles chausses montantes à ma taille. Mes pieds désormais n'étaient plus aussi gelés lorsque je devais m'aventurer dans la neige.

Mes engelures avaient guéri spontanément, sans aucun soin. Tout heureux de cette constatation, j'en fis part à Corwen. Bien que se réjouissant pour moi, il s'en étonna. Il me raconta l'histoire de soldats qui avaient perdu des doigts ou des membres suite à de simples engelures. Je lui répondis que je n'avais pas fait la guerre, et que la différence entre ces soldats et moi était que je rentrais rapidement au chaud. Cela ne changeait rien, maintenait-il, une fois que l'engelure était là, il fallait la soigner pour éviter que la peau ne meure. Je haussai les épaules. Nous n'étions pas sorciers, il était inutile de se quereller sur le sujet, le principal étant que j'étais guéri. Il se rangea à mon avis en souriant.

J'étais désormais seul le soir et je pouvais aller et venir à ma guise sans que personne ne s'en étonne. Je gageai que la garde se trouvait aussi réduite par l'épidémie. A force d'y réfléchir, je finis par m'enhardir, et, un soir, je décidai de rendre visite à Dame Galwyn. Je ne savais pas quand j'aurais de nouveau autant de liberté et je jugeai qu'il serait sage d'en profiter au plus vite.

Dès que les cuisines se furent totalement vidées, ce qui ces derniers temps ne prenait pas longtemps, je franchis la porte pour la première fois depuis des semaines.

L'air était glacial.

Je passai la porte du château. Les gardes ne firent même pas attention à moi. Je me dirigeai rapidement vers la maisonnette de la cuisineuse. Elle n'habitait pas très loin du château et il ne me fallut pas beaucoup de temps pour y arriver.

Par la fenêtre opaque, une faible lumière brillait. Je toquai à la porte. Pas de réponse. Je recommençai sans plus de succès. J'allais abandonner lorsque la porte enfin s'entrouvrit.

Je sursautai.

Dame Galwyn était méconnaissable. Dans mes souvenirs, c'était une femme grande et énergique, mais la maladie avait eu raison d'elle. Ses cheveux autrefois d'un noir de jais s'étaient teintés de gris et ses yeux jadis malicieusement sombres reflétaient désormais un profond abattement.

Je n'avais que dix ans à l'époque, mais je compris en la voyant les ravages que le chagrin pouvaient causer. Elle mit, elle-même du temps avant de me reconnaître. Puis, elle m'invita à entrer.

« Mon petit, je ne te reconnaissais pas tellement tu as grandi ! Comme ça me fait plaisir de te voir ! Je ne pensais pas. Tu ne m'as pas oubliée, comme c'est gentil ! »

De fait, je la vis sourire en me regardant et je devinai à ses traits tirés que cela devait faire des lunes que cela ne lui était plus arrivé. Je souris amèrement. J'aurais dû venir plus tôt. Je le lui dis.

« Oh je sais bien que les jeunes gens de ton âge ne s'intéressent pas aux gens comme moi. » m'excusa-t-elle.

Je protestai de façon véhémente tout en lui expliquant que j'avais surtout manqué de temps.

« Une infusion ? » proposa-t-elle.

J'acceptai avec reconnaissance après le froid glacial que je venais d'affronter pour venir, et elle mit de l'eau à chauffer sur le feu. Cela me faisait du bien de me retrouver en sa compagnie tandis qu'elle vaquait à ses occupations. J'avais le sentiment de revenir quelques années en arrière, bien que beaucoup de choses aient changé depuis.

Je lui racontai que je travaillais désormais aux cuisines. Elle hocha la tête en réponse mais ne dit rien. Je lui parlai alors de ma déception lorsque j'avais appris qu'elle n'y était plus, mais là non plus, elle ne fit aucun commentaire supplémentaire.

Nous bavardâmes longtemps. Comme toujours depuis que mon amie n'était plus là, nous évitâmes soigneusement de parler de Mina, mais elle demeurait quelque part, entre nous.

Je lui demandai si elle avait des nouvelles de ma mère et de mes sœurs.

A son air, je compris que celles-ci n'étaient pas bonnes.

« Je suis désolé, petit. Les rêves rouges les ont toutes emportées. »

La nouvelle ne me surprit pas vraiment. J'eus une pensée attristée en pensant à Liwyn, ma plus jeune sœur, la seule pour qui j'avais eu de l'affection. La seule qui ait été agréable avec moi. Elle n'avait que cinq ans. J'espérai, malgré tout ce que l'on disait au sujet des morts par les rêves rouges, qu'elle rencontrerait Mina dans le Monde des Morts.

J'allai prendre congé lorsque la vieille cuisineuse brisa le tabou.

« Je vais partir, m'annonça-t-elle brusquement. Je vais aller chercher pourquoi elle est morte. C'est cette question qui me ronge. C'est pour ça que je suis malade. Les sorciers qui m'ont vue ne comprennent pas ce que j'ai, mais moi je le sais. Je ne peux plus continuer sans savoir. A quoi bon ? Je n'ai jamais eu personne d'autre qu'elle dans ma vie. Aujourd'hui, les jeunes chassent les vieux. Pourquoi se battre ? Si tu connais quelqu'un qui peut m'emmener dans le Monde des Morts, j'irai voir ma petite, et peut-être qu'elle pourra me dire qui a fait cela...

Je balbutiai, ne sachant que répondre :

− Vous savez bien que c'est impossible.

− Non, ce n'est pas impossible, rétorqua-t-elle. C'est interdit. »

Elle avait raison. Certains sorciers très puissants, dont le Grand Wen lui-même s'étaient déjà rendus dans le monde des morts et en étaient revenus mais ce voyage était si risqué que le Conseil des Grands Sorciers l'avaient interdit depuis plusieurs siècles. C'était de toute façon une des recommandations du Grand Wen.

J'aurais voulu la réconforter mais ne trouvai rien à dire de plus. Il fallait que je rentre. Je la saluai, en lui promettant de revenir bientôt.

Terre de Sorciers- Tome 1Where stories live. Discover now