Chapitre 42

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Je m'éveillai dans un lit moelleux, dans une chambre que je ne connaissais pas. Grimelin était assis près du lit. Il allait manifestement bien mieux que la dernière fois que je l'avais vu, si bien que je me demandai un instant si je n'avais pas rêvé tout cela. Fidèle à son habitude, il me répondit sans ouvrir la bouche :

« Non, petit, tu n'as pas rêvé. Nous étions bien là, dans le désert, avec la sorcière, et grâce à toi et à ton imprudence, − il me fit les gros yeux en souriant−, nous en sommes sortis, et je vais bien mieux, puisqu'elle et ses pouvoirs ont été presque anéantis.

−Presque ? demandai-je.

−Oui, petit, elle reviendra, mais pas avant quelques temps. Nous sommes tranquilles pour un moment et nous allons pouvoir en profiter pour faire un certain nombre de choses qui attendent depuis trop longtemps.

− Comme quoi ?

− Penser à ton Namen' wen par exemple...

Je me redressai sur mon lit, soudain ragaillardi à cette idée.

− Quand ? Je n'ai pas encore douze ans !

− En vérité, tu les as eus hier, mais, tu dormais...

− Vous êtes sûr ?

− De quoi ? répondit-il en souriant. De ton âge ou que tu dormais ?. Pour l'un comme pour l'autre, tu peux me faire confiance. D'une part, sache que je sais encore reconnaître quelqu'un qui dort, et d'autre part, je connais parfaitement ta date de naissance puisque j'étais là pour l'occasion.

− Comment cela ? demandai-je intrigué.

− Eh bien, en tant que sorcier et médico-mage, j'ai aidé ta mère à te mettre au monde.

− Vous connaissiez ma mère ?m'exclamai-je. Pourquoi ne pas m'en avoir parlé plus tôt ?

− Eh bien, cela fait partie des choses dont nous avons à nous entretenir, mais pas avant que la cérémonie de ton Namen'Wen ne soit achevée.

− Quand alors ?

Puis, reprenant pied dans la réalité, je regardai de nouveau autour de moi puis demandai :

− Et où sommes-nous ?

− Ah ! Tu poses enfin la bonne question ! Nous sommes chez le seigneur Lanwenech'.

− Comment est-ce possible ?

Je réalisai alors que mes amis étaient peut-être dans les parages, et je posai la question avec espoir :

− Corwen, Wynie et Meywen sont ici ?

− Oui, ils sont ici, répondit-il avec un sourire. Ils ne devraient pas tarder, c'est bientôt l'heure de leur visite. Ils sont venus te voir tous les jours depuis que tu es ici, tu sais ? Quant à savoir comment il est possible que nous soyons arrivés ici, nous devons remercier Nokt et le seigneur Lanwenech' qui, d'après ce que j'ai compris, accompagnés de quelques soldats nous ont trouvés inconscient dans la forêt. Il paraît que nous étions bien cachés, et sans ce bouclier lumineux que tu avais dressé au dessus de nous, ils seraient encore en train de nous chercher.

Je ne comprenais rien à ce qu'il racontait.

− Un bouclier lumineux ?

Il hocha la tête.

− Rouge, il paraît. Je n'avais jamais entendu parler d'un tel phénomène, mais il y a longtemps que je sais que l'on doit s'attendre à tout avec toi dans les parages.

Je souris. Il reprit :

− Je pense que lorsque tu t'es jeté à l'extérieur de mon esprit pour me protéger, tu l'as fait avec tellement d'énergie que tu as protégé nos corps en même temps.

Il prit un air grave en me transperçant de ses yeux verts :

− Je te remercie. Malgré toute l'inconscience dont tu as fait preuve, je te remercie. C'est uniquement grâce à toi si je suis encore là. Je te remercie de la confiance et de l'affection que j'ai senties en toi alors que tu étais au fond mon esprit.

Je me sentis rougir. Je voulus changer de sujet :

− Je ne sais même pas comment je me suis retrouvé là. J'ai juste collé mon front contre le votre alors que je voulais vous réchauffer. Vous ne sembliez pas bien du tout et je ne savais pas quoi faire, et puis, un tourbillon m'a emporté.

− C'est une question d'esprit, de pensées. Tout le temps que j'étais en transkrinh' dans ce désert, je n'ai cessé de penser à toi et à ta sauvegarde. Comme tu pensais uniquement à moi au moment où tu as collé ta tête contre la mienne, la komkrinh' qui établissait le lien mental entre nous a agi comme une sorte de catalyseur et t'as emporté là où je m'étais transporté par la transkrin'h'.

− Est-ce que ça ne ressemble pas à une sorte de possession ? J'entendais vos pensées, j'ai pu contempler ce qui restait de votre magie, j'ai vu votre affaiblissement et je sais que si je l'avais voulu, j'aurais pu en savoir beaucoup plus sur vous.

− Cela n'a rien à voir avec la possession. La possession est agressive, elle s'empare de tout un être à la fois, sans lui demander son consentement. Tu es resté discret, même si, comme tu viens de le dire, tu savais que tu aurais pu aller plus loin. C'est là toute la différence entre ce qu'il s'est passé et une possession.

− Mais que faisiez vous dans le Draï n'Flech ? Quelle idée vous a pris d'aller là-bas ?

− Eh bien, lorsque j'ai compris que la magie noire de la sorcière risquait de me tuer, j'ai décidé de la provoquer en duel. J'étais déjà affaibli, mais plus j'attendais, et moins j'aurais de chances de la vaincre. Je préférais dans tous les cas mourir en tentant quelque chose plutôt que d'attendre la fin, impuissant sur votre civière. Comme je m'y attendais, elle était plus forte que moi à ce moment là, et a réussi à me bloquer dans son désert. Elle aurait pu me tuer tout de suite, mais elle est tellement obnubilée par cette histoire de double prophétie, qu'elle a préféré m'interroger au sujet de ce grand magicien qui hante mes pas. Comme je te l'ai déjà dit, elle a longtemps cru qu'il s'agissait de moi, mais elle a su qu'elle se trompait le jour où elle a pu voir ma véritable aura, alors qu'elle me torturait dans les geôles de Wenlach'. Elle n'en savait toujours pas plus que ce jour là, et elle enrageait. Je n'avais plus assez de forces pour me battre, mais j'en avais assez pour supporter son mauvais caractère et ses questions. Je pouvais encore vous aider en lui faisant perdre son temps, cela vous laissait le champ libre pour vous mettre à l'abri en rejoignant Lanwenech'. Je savais que ses sbires, les mages noirs continuaient à nous chercher sur ses ordres, mais ils cherchaient au hasard, ils avaient peu de chances de vous trouver, même si, m'a raconté Nokt, vous avez dû en affronter toute une bande.

Je hochai la tête, puis lui demandai :

− Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi elle a attendu si longtemps avant de tenter de vous posséder. Je sais que c'est une pratique interdite, mais je ne pense pas que ce soit cela qui l'ait arrêtée.

− En effet, les règles ayant cours chez les Grands Sorciers sont le cadet de ses soucis. Mais sache qu'elle jouait là son va-tout, car en dehors du fait que cette pratique est totalement prohibée, la possession peut anéantir les deux personnes concernées, tout dépend de la résistance du possédé ; si celui-ci a une personnalité assez puissante, il peut par la seule force de sa volonté anéantir le sorcier qui veut le posséder. La sorcière pensait surement prendre peu de risque étant donné l'état où je me trouvais. »

En mon for intérieur, bien que j'aie vu l'état de faiblesse où il se trouvait alors, je gageai cependant qu'il était encore capable de résister à cette possession, même sans mon aide car j'avais toujours pensé que malgré les airs de vieillard qu'il se donnait bien souvent, il était bien plus puissant qu'il ne voulait le montrer.

Grimelin continuait ses explications :

« J'ajoute que si elle avait réussi elle aurait pu jouir de toutes mes connaissances, de tout mon savoir et de tous mes secrets et du peu de pouvoir qu'il me restait à ce moment là. Mon corps aurait retrouvé sa vitalité, elle aurait pu se faire passer pour moi auprès de vous. Imagine tous les bénéfices qu'elle aurait pu en retirer ! Elle a jugé que les risques d'être anéantie étaient bien faibles, et que le jeu en valait la chandelle. »

A ce moment là, on frappa à la porte.

Terre de Sorciers- Tome 1Tahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon