Chapitre 14

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Pendant quelques temps, la vie suivit son cours à Castelach'. Grimelin croulait sous les obligations et je le voyais peu. Il rentrait de ses entrevues avec le Roi d'une humeur massacrante, et j'évitais de me trouver dans les parages à ces moments là. Je comprenais de mieux en mieux en quoi consistait mon rôle à son service, et dans ses bons moments, le vieux sorcier m'en faisait compliment. Ainsi qu'il l'avait prédit, Owen avait fini lui aussi par apprécier ma présence car mon aide de plus en plus fréquente allégeait sa propre charge. Il m'arrivait de donner rendez-vous à Corwen pendant que le Roi était occupé à remplir ses obligations en Conseil public ou privé, et Owen se joignait parfois à nous. Il connaissait Corwen de longue date, et surtout, avait combattu aux côtés de son père à une époque qui nous semblait extrêmement lointaine, ce qui fit que peu ou prou, il était peu à peu devenu notre ami, malgré son âge avancé. Il était souvent de bon conseil, et son âge lui donnant l'avantage de l'expérience, il n'hésitait pas à donner son avis.

A chaque fois qu'il était témoin de la brutalité de Wenceslach' sur Corwen, nous sentions bouillir sa colère. Il n'admettait pas le traitement que Wency réservait à ses serviteurs, et il enrageait de ne pouvoir rien faire de plus que les soigner. Je l'avais à l'occasion entendu évoquer cette frustration, et il me semblait qu'il avait dû s'en ouvrir à Grimelin mais rien jusque là n'avait changé.

Lorsque, certains jours, Corwen avouait son envie de fuir loin de son bourreau, Owen se contentait de hocher la tête, tout rappelant à notre ami pourquoi il se trouvait là, le courage qu'il montrait en accomplissant son devoir envers son père dans ces conditions. Il lui disait aussi que le temps travaillait pour lui, et qu'un jour, il aurait sa revanche. J'ignore pourquoi ni comment, mais grâce à ces quelques paroles, Corwen reprenait toujours courage et tenait bon.

Mais un matin, notre petite routine fut bouleversée. Grimelin rentra furieux d'une entrevue privée avec le Roi. Il nous appela, Owen et moi :

« Emballez tout ce que vous pouvez ! Owen, tu sais ce qui m'est essentiel. Aide le petit ! On part dans la Tour. Je refuse de servir ce tyran une minute de plus ! De toute façon, il me déchoit de mon poste de Premier Conseiller et me relègue au rang de professeur de la famille royale. Je ne peux donc officiellement rester dans ces appartements. Peu importe, j'ai toujours eu horreur de cet endroit ; nous nous entasserons dans la Tour ! Et, surtout, Owen, je veux que tout le monde soit au courant au Château ! Et ne vous privez pas de le révéler à tout un chacun ! Non seulement je veux que tout Wenlach' soit au courant, mais je veux aussi que Castelach' n'ignore rien de la décision royale. Je préfère que le bruit coure avant l'annonce officielle ! »

Et il ajouta à part lui, mais suffisamment fort pour que nous l'entendions :

« Qui sait de quel crime ce gamin est capable de m'accuser pour faire passer sa décision ? »

Ces révélations me laissèrent pantois. Un roi pouvait chasser un Premier Conseiller ? Bien que ma culture ne soit pas très étendue à ce sujet, je n'avais jamais entendu parler d'un tel cas dans le passé. Je consultai Owen du regard. Il me fit un signe et m'entraîna près du bureau du Conseiller. Il me montra quels papiers je devais ranger et emporter, tandis qu'il s'occupait d'un tiroir verrouillé. A voix basse, je lui posai donc la question :

« Le roi l'a renvoyé ? C'est possible ça ?

− Dans l'absolu, me répondit-il, le Roi a tous les droits. En réalité, aucun n'a jamais été suffisamment stupide pour se mettre à dos un Grand Sorcier et se priver de son immense savoir. Wency n'a aucune idée de la bêtise qu'il vient de faire, mais j'ai dans l'idée qu'il ne va pas tarder à regretter sa décision.

Terre de Sorciers- Tome 1Where stories live. Discover now