Terre de Sorciers- Tome 1

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Au fil du temps, j'acquis une grande maîtrise de ce que j'avais appelé la transkrin'h', la faculté de voyager dans un monde ou un autre par la magie. J'explorai peu à peu tous les endroits que j'avais déjà pu observer grâce au pouvoir de la verkrin'h'.

Je découvris très vite qu'il était beaucoup plus facile de se rendre dans un lieu déjà connu de notre esprit car la magie nous guidait par le biais de la mémoire. Pourtant, j'ignore comment, je réussis malgré tout à découvrir de nouveaux endroits, de nouveaux mondes.

Je voyageai ainsi au hasard pendant très longtemps, jusqu'au jour où je découvris encore un nouveau lieu, un nouvel univers.

J'arrivai près d'un immense dôme immaculé. Le silence semblait régner mais si je me concentrais, j'entendais une sorte de brouhaha.

Les êtres qui me reçurent étaient tous vêtus de blanc. L'un d'eux vint se placer devant moi, et m'adressa la parole sans que je vis remuer quoi que ce soit en lui. Il m'invita à le suivre.

J'étais particulièrement étonné car j'avais noté jusque là lorsque je me rendais dans un autre monde grâce à la transkrin'h', que personne ne semblait me voir ni me remarquer.

Nous arrivâmes à proximité du dôme que j'avais remarqué plus tôt. Mon hôte en effleura la paroi, et une porte se révéla en s'ouvrant.

Il m'emmena dans une salle où d'autres êtres vêtus de blancs semblaient attendre.

Je compris peu de temps après que c'était bien moi qu'ils attendaient, et j'appris bien plus à leur contact que durant tout le reste de ma vie qui avait déjà duré de longs cycles à l'époque de cette découverte.

Ces êtres se nommaient eux mêmes les Aeterna. Ils étaient les gardiens de ce monde qu'ils appelaient aussi Aeterna. La notion de vie et de mort ici n'existait pas. Les êtres arrivaient de tous les mondes, de tous âges, de toute race. Aucune discrimination n'était faite, les Aeterna accueillaient tous les nouveaux arrivants de la même façon sans aucune distinction.

Ils m'expliquèrent pourquoi ils m'avaient vus eux alors que je passais inaperçu dans les autres mondes lors de mes transkrin'h'. La magie permettait à mon âme de voyager, et l'âme, dans la plupart des mondes reste invisible, sauf sur Aeterna, car Aeterna est le monde où seules les âmes arrivent, dépouillées de leur enveloppe. Sur Aeterna, le corps n'existe pas, et les âmes prennent simplement aux yeux de qui les observe, l'aspect qu'il connait le mieux. Ainsi, je les voyais sous une forme humaine parce que c'était à mes yeux la forme qu'ils devaient avoir, celle que je connaissais le mieux. Mais une âme venue d'un autre monde, où elle possédait une forme différente verrait ses compagnes d'Aeterna sous l'aspect de sa propre enveloppe corporelle.

Je compris par ces explications, qu'Aeterna n'était autre que ce que nous nommions le Monde des Morts.

Il n'y avait, d'autre part, qu'une façon de s'en aller d'Aeterna : retourner dans son monde, en réintégrant une nouvelle enveloppe corporelle. Le seul inconvénient, m'expliquèrent les Aeterna était que l'âme perdait tous ses souvenirs lors de ce processus. Les habitants d'Aeterna avaient le choix de rester ou repartir en toute connaissance de cause.

Le Conseil des Aeterna était constitué des plus anciens habitants de ce monde et son rôle consistait simplement à veiller à la bonne marche des choses, ce qui était relativement simple puisque les choses suivaient un cours immuable sans aucune aide extérieure. Ils accueillaient les nouveaux arrivant, leur expliquaient où ils se trouvaient, mais, me dirent-ils, la plupart le savaient avant même d'arriver. Je sus, un peu plus tard, en les découvrant mieux que certaines situations cocasses à leurs yeux s'étaient produites, comme certains nouveaux arrivants qui refusaient de rester et décidaient de repartir sur le champ poursuivre le cours de leur vie. Cela les faisait beaucoup rire, sans méchanceté aucune, mais simplement parce qu'ils savaient, eux, que cela était parfaitement impossible.

Certains ayant du mal à choisir entre rester ou partir avaient une autre possibilité : communiquer avec les vivants de leur monde. Mais ils s'apercevaient vite que cela s'avérait difficile et effrayait souvent leurs interlocuteurs.

Je compris alors l'origine de ce que nous appelions les esprits et les fantômes de certains mondes.

Le calme, la sagesse, l'empathie des Aeterna me subjuguèrent, et très vite, je décidai de rester.

Mais ils refusèrent catégoriquement.

Mon âme devait rester impérativement là où vivait mon corps. Les séparer de façon prolongée était impossible car l'âme ne pouvait survivre sans son enveloppe et inversement. Ils m'expliquèrent d'autre part qu'étant le premier à me rendre dans leur monde alors que mon corps continuait de vivre de son côté était pour eux une expérience totalement inédite et dont ils redoutaient les effets sur mon âme comme sur mon corps. Ils refusaient d'autre part de provoquer la mort de l'enveloppe en maintenant une âme sur Aeterna.

C'était chez eux une règle sacrée.

Il leur arrivait de protéger une âme dont le corps avait du mal à survivre, mais dans ce cas ils renvoyaient l'âme dès que le corps allait mieux. D'ailleurs, cette âme dans ce cas était dans un état déficient ou malade, selon leurs descriptions, bien qu'il n'y ait aucun mot ou équivalent dans la langue d'Aeterna.

Après cette première visite, je retournai de nombreuses fois sur Aeterna. A chaque fois, je fus tenté de rester, et mon retour était pour mon âme, à chaque fois plus difficile.

Puis, vint un jour où les Aeterna m'interdirent de revenir.

Ils avaient remarqué que mes visites se faisaient de plus en plus fréquentes, et ils savaient combien mon retour était douloureux. Enfin, ils avaient compris la fascination que leur monde exerçait sur moi.

Je leur dis donc adieux, en sachant que je les reverrai malgré tout, par la force des choses et de la vie, car mon enveloppe charnelle, elle aussi mourrait aussi un jour.

Mémoires

Wen Lach'

Editions du Castel