Chapitre 03

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Ce fut le bruit des marmites qui me réveilla. Je jetai un coup d'œil par un interstice entre deux pierres avant de sortir de ma cachette. Ce n'était que le cuisineux de la veille qui commençait sa journée.

Lorsque j'apparus, il me fit un signe de tête accompagné d'un grognement en guise de salut.

Il avait déjà remis quelques bûches sur le feu, et le premier chaudron d'eau de la journée était en train de chauffer.

Il posa une miche de pain sur la table ainsi que deux écuelles. A sa vue, mon estomac se réveilla et émit un gargouillement sonore. L'homme me fit signe de m'asseoir.

Au bruit qu'elle faisait, j'entendis que l'eau commençait à être chaude.

Le cuisineux versa une petite louche d'une soupe épaisse dans les écuelles, puis il la rallongea avec l'eau frémissante. Il coupa ensuite deux larges tranches de pain et m'en donna une.

La nourriture en descendant dans mon corps me procura une volupté que seuls les ventre-creux peuvent comprendre. Je n'avais rien avalé depuis la veille au matin, et je me promis intérieurement de tout faire pour éviter que ce jeûne se reproduise.

En me voyant dévorer, il me demanda :

« T'm'as tout l'air affamé. D'puis quand qu't'avais pas mangé ?

− Hier m'sieur, répondis-je

− Ici, t'es aux cuisines. T'as même pas b'soin d'voler la nourriture pour manger. T'as faim, t'sers d'la soupe. Mais qu'la soupe. T'touches à rien d'autre. Jusqu'au soir. Quand tout l'monde a fini, t'as l'droit d'manger c'qui reste. »

Je hochai la tête, reconnaissant. Voilà une situation qui convenait parfaitement à ma situation d'affamé permanent qui avait débuté depuis quelques lunaisons.

Puisque cet homme avait l'air plutôt gentil, je m'enhardis à lui poser une question qui me tarabustait :

« M'sieur, savez-vous c'qu'elle à Dame Galwyn ? Frickwen m'a dit qu'elle était partie. Je l'aimais beaucoup et je pensais travailler avec elle quand on m'a demandé d'venir aux cuisines.

− Ah, me répondit-il, embarrassé. Ici on n'en parle pas, pasque Frikwen veut pas. Ca c'tait une cuisineuse ! On dit qu'c'est la fin pour elle. On parle de plein de choses à son sujet, mais moi, c'que'j'crois, c'est qu'elle s'est jamais remise de la mort de sa fille. Elle meurt du manque de sa fille. Elle veut plus manger, plus sortir, bref, elle veut plus vivre... »

Je m'étonnai. J'étais retourné voir Dame Galwyn à plusieurs reprises après la mort de Mina, et même si elle était triste, je ne l'avais pas sentie abattue à ce point. J'expliquai tout cela à mon interlocuteur.

« C'bien c'que j'dis, c'est le manque. Au début, elle s'est battue, et puis elle a laissé tomber.

− Mais pourquoi ?, demandai-je

Il se gratta la tête, embarrassé.

− Ben, y a quelques temps, Frickwen a décidé qu'elle était trop vieille et qu'il lui fallait une relève. Bien sûr, l'avait décidé qu's'rait lui la relève. Alors il a tout fait pour la dégoûter, il a monté tout le monde contre elle. Même moi j'me suis laissé embobiner. Y nous a fait croire plein de choses, nous a promis qu'on travaillerait mieux, qu'on s'rait mieux organisés. Mais tout c'qu 'y voulait c'était être le chef. Et nous, on trime plus qu'avant pasque Dame Galwyn, l'était p't'êt' vieille, mais elle avait un cœur. Alors, tu vois p'tit, sa fille partie, sa cuisine qui veut plus d'elle, elle a plus de raison de vivre.

Terre de Sorciers- Tome 1Where stories live. Discover now