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L'arrivée de Mina dans ma vie fut une véritable bouffée d'air frais. Je m'étais assignée une mission qui m'interdisait de trouver un compagnon officiel, et voilà que le Premier Conseiller me donnait la chance d'élever un enfant. Bien sûr, j'allais devoir changer de vie, et je ne pourrais plus suivre le Roi d'aussi près pour le protéger discrètement en cas de besoin, mais, je pouvais encore me rendre utile aux cuisines du château. Tous les serviteurs en apprenaient beaucoup plus qu'ils n'en avaient conscience, et si j'arrivais à me faire accepter et à gagner leur confiance aux cuisines, j'en apprendrai beaucoup et je pourrai en même temps m'occuper de la petite.

 

Il ne me fut pas difficile de m'attirer les bonnes grâces du personnel. Il suffisait de les écouter et de les considérer en tant qu'êtres à part entière, de leur offrir un peu de réconfort quand ils en avaient besoin, et ils se confiaient à moi. Je savais tout ce qu'il se passait dans les appartements royaux, les salles de conseils, et je devinais quand il se tramait quelque chose, et lorsque je le jugeais nécessaire, j'en avertissais Grimelin. Nous étions devenus amis, et il venait régulièrement aux cuisines prendre des nouvelles de la petite. Il me proposait toujours un peu d'argent pour subvenir à ses besoins, mais, elle était désormais ma fille, et je refusais que quiconque m'aide à l'élever.

 

Voulant garder un œil sur l'autre petit, et, dès qu'il fut assez grand pour venir seul, j'incitai Mina à le faire monter aux cuisines du château lorsqu'elle le croisait. Les deux petits avaient été séparés quelques mois, mais ils retrouvèrent très vite la complicité qui avait dû être la leur avant leur séparation forcée. Personne, à part Grimelin et moi, qui connaissions leur histoire, ne comprenait vraiment l'origine de leur affection mutuelle.

Je devinai vite que Milwen, ainsi que l'avaient nommé ses parents adoptifs, était malheureux. Seul son père lui montrait un peu d'affection, mais il était souvent au loin, parti avec les troupes du Roi, puisqu'à l'époque, grâce aux manigances de Morwen, nous étions de nouveau en guerre contre le Langreen. Le petit comprit vite que les cuisines pouvaient constituer un refuge idéal, et il y avait recours régulièrement pour échapper au travail éreintant que sa mère lui demandait. Il ne manquait pas de courage, et ne fuyait pas vraiment le travail ; mais ce n'était qu'un enfant ! Il n'avait pas cinq ans que Harwyn lui demandait de porter les panières de linge gorgé d'eau. J'ignore comment il y arrivait, mais, d'une façon ou d'une autre, il se débrouillait, et je savais par ouïe-dire que ses sœurs aînées ne l'auraient aidé en aucun cas car elles n'avaient aucune pitié pour lui. Je me suis souvent demandé par la suite si la Magie ne lui était pas discrètement venu en aide à cette époque là. La puissance du don était déjà en lui et il est bien possible qu'elle lui ait donné les forces nécessaires pour résister.

Ce fut une des plus belles époques de ma vie.

 

Lorsque Mina partit rejoindre le Monde des Morts, je fus anéantie. Plus rien ne m'importait, et mon titre de sorchevalière que j'avais toujours porté secrètement mais avec fierté, me semblait soudain futile et inutile. Je n'avais plus vraiment de souverain à protéger ; Kerwen et son épouse n'étaient plus, et j'avais du mal à reconnaître Morwen comme souverain légitime. En osant m'avouer cela, je dérogeais au code d'honneur des sorchevaliers qui veut que l'on serve son royaume, quelque soit le souverain. Un sorchevalier n'est pas au service du Roi, mais du royaume et de son peuple. Mais je ne me souciais plus de ma dignité de sorchevalière.

Au début, je me raccrochai au travail, et passais encore plus de temps dans les cuisines. Je travaillais tant, que je ne pensais plus. J'arrivai à tenir ainsi quelques temps sans trop penser à la perte de ma petite Mina. Puis, comprenant ma faiblesse d'alors, un aide-cuisineux servit un brouet de promesses sans suite au reste des cuisineux et marmitons qui décidèrent de demander sa nomination de chef-cuisineux au responsable des serveux de Wenlach'. Leur demande fut entendue et une des premières choses que fit ce Frickwen fut de m'exclure de ma cuisine sous prétexte que je ne faisais plus rien de correct depuis la mort de ma fille.

Alors, je partis. Sans me battre ; je n'en avais pas le force. Je savais que tous regretteraient ces changements un jour, mais ils ne le savaient pas encore.

En attendant, je n'avais plus aucune raison de vivre.

 

Grimelin, malgré ses nombreuses tentatives ne réussit pas à me redonner le goût de vivre.

Je rêvais de me rendre dans le Monde des Morts par mes propres moyens. J'essayai, à plusieurs reprises, je l'avoue aujourd'hui, de me rendre là-bas, malgré les interdits, malgré les risques. Mais en même temps que Mina, une partie de mes pouvoirs s'en étaient allés. Je ne réussis à rien toute seule. Je finis par décider de me laisser tout simplement mourir. J'arrêtai de manger, mais le corps est parfois plus fort que tout. Puis, un soir, je décidai finalement de me faire une décoction spéciale.

C'est ce soir là, après plusieurs cycles que le petit vint me voir.

 

Par sa seule présence il me rappela, qu'il y avait encore un enfant à protéger. Durant tout ce temps, j'avais réfléchi et avais compris que ma petite n'était pas morte par hasard. J'en étais même arrivée à la conclusion qu'elle était morte par erreur, à sa place ; il devait donc être plus important qu'il ne le paraissait et si je réfléchissais bien, Grimelin n'aurait certainement pas fait tant de mystères si tel n'avait pas été le cas.

Milwen était fier de me dire qu'il travaillait désormais aux cuisines mais je devinai vite qu'il n'y avait pas vécu que des bons moments. Je connaissais Frickwen, et je savais avant même qu'il ne prenne ses fonctions quel type d'homme il était. Ce que me raconta le petit ne fit que confirmer mes soupçons, et je fus bien aise, bien que cela ne soit pas très charitable, d'apprendre que, grâce à la terrible épidémie de rêves rouges qui sévit durant ce cycle, il ne sévirait plus jamais aux cuisines.

 

Les visites de Milwen me firent plus de bien qu'il ne le saura jamais. Grâce à lui, j'entendis enfin ce qui se tramait au château et je décidai alors, dans un sursaut inespéré, que j'avais assez pleuré, et qu'il était peut-être temps que je venge l'assassinat de ma petite fille, en protégeant son frère.

Grimelin, durant tout ce temps, ne cessa jamais de me rendre visite régulièrement. Pourtant, bien qu'il me racontât tout ce qu'il put sur la vie au château, les manigances de Morwen, puis la cruauté perverse de son héritier, je ne prêtai jamais l'oreille à ses dires. Je ne sais pourquoi les paroles de Milwen atteignirent mon cœur.

 

Ce fut à cette époque que je repris ma vie en main. Il me fallait un endroit tranquille pour reprendre mes entraînements et retrouver mon niveau d'antan en tant que sorchevalière, en espérant que la magie revienne en moi. Grimelin m'encouragea et m'aida dans ce nouveau départ, en m'indiquant l'emplacement d'une auberge abandonnée au cœur de la forêt de Castelach'. Cette idée me paraissait parfaite car il semblerait tout naturel à ceux qui pensaient me connaître qu'une ancienne cuisineuse veuille, après un si grand chagrin, quitter la ville, et décide pour subsister de reprendre une auberge.

C'est aussi le mensonge que je servis à Milwen. Je ne pouvais rien lui révéler quant à ma véritable identité. Toutefois, avant de partir, je décidai de lui révéler ce que je savais sur sa vie. J'appris un peu plus tard que j'étais loin de tout savoir, et que sans le vouloir, je lui avais menti malgré tout en ce qui concernait ses origines.

Grimelin répara cette erreur quelques temps plus tard, lors de son Namen'Wen, et cela bouleversa le petit.


Galwyn Eklech' NoktMémoires

Editions de Lach'

Terre de Sorciers- Tome 1Where stories live. Discover now