Terre de Sorciers- Tome 1

Préface

Je devais avoir six ou sept ans seulement lorsqu'il commença son récit. Je venais de passer un jour entier à me cacher en compagnie d'Ilwyn, ma compagne de jeu de l'époque, pour échapper à mes leçons. Tout le monde avait passé la journée à me chercher en s'inquiétant de mon sort. Ma mère se tordait les mains en pleurant de désespoir tant elle craignait pour ma vie.

Ce fut mon grand-père qui mit la main sur nous. J'étais pourtant persuadé ce jour là que personne ne nous trouverait tant je considérais que notre nouvelle cachette était parfaite. Je l'avais découverte la veille en furetant dans les cuisines, comme à mon habitude, et j'avais repéré un passage menant derrière l'une des grandes cheminées. Je ne l'avais jamais remarqué, et j'étais sûr que tous ceux qui vivaient au château ignoraient également sa présence. Ilwyn et moi avions passé le reste de la journée à amener toutes sortes de provisions afin de ne pas souffrir de la faim dans notre repaire.

En nous voyant, il se contenta de sourire. Je n'avais jamais craint son ire car il ne s'était jamais mis en colère contre moi, mais je dus subir les retrouvailles éplorées de ma mère. Mon père, en guise de punition m'infligea une journée entière de cours ce qui était pour moi, il le savait, un véritable supplice.

Je ne recommençai plus jamais ce genre d'escapade tant les conséquences me parurent inhumaines sur le moment, et je ne doutai pas que mon père, non seulement m'eut de nouveau infligé le même châtiment, mais l'aurait encore beaucoup intensifié en augmentant le nombre de leçons à subir.

Une chose malgré tout continuait de m'intriguer : comment mon grand-père nous avait-il retrouvés ?

Peu de temps après, alors que j'étais venu, comme chaque soir, lui souhaiter une bonne nuit avant d'aller me coucher, je lui posai la question. Il eut un sourire énigmatique en me promettant de m'expliquer cela dès le lendemain.

Et c'est ainsi que nous prîmes l'habitude de nous installer au coin du feu pendant qu'il me racontait ses souvenirs avant que j'aille au lit..

Dans les premiers temps de son récit, trouvant sans doute que celui-ci manquait de détails, je ne cessai de l'interrompre. Je pense que par ses omissions, il souhaitait se borner à me raconter l'essentiel, ce qu'il jugeait intéressant que je connaisse. Mais afin de couper court à mes questions intempestives, il prit dès lors soin de n'oublier aucun élément tant en ce qui concerne les évènements que ses sentiments.

Il me conta en souriant ses jeux avec son amie Mina, la fille de la cuisineuse. Il me narra la chaleur des cuisines pendant les lunaisons de glace, et le plaisir qu'ils prenaient à boire un lait chaud au miel quand ils rentraient de l'extérieur. Il me décrivit aussi les mains gelées dans la Blech', le fleuve qui coule en bas de Castelach', lorsqu'il lavait le linge avec sa mère et ses sœurs. Il semblait prendre plaisir à évoquer ces souvenirs, et pour ma part j'étais heureux de partager ces moments privilégiés avec lui.

Je suppose que c'est une des caractéristiques du grand âge que d'aimer se remémorer ses jeunes années, celles de notre pleine fougue, de notre entière vitalité.

Ce n'est que bien longtemps après, alors que j'étais moi-même vieillissant que je décidai d'écrire l'histoire de mon grand père, telle qu'il me l'avait contée. Elle m'avait tellement passionné à l'époque qu'elle pouvait bien plaire à d'autres que moi.

Mon grand-père m'affirma qu'avant le jour funeste où il fit démarrer son récit, ses souvenirs étaient flous ; comme si ce drame qui l'avait touché au plus profond de lui-même l'avait mûri en une nuit. Il se souvenait parfaitement de ses sentiments lorsqu'il l'avait appris et j'ai retranscrit les choses comme il me dit les avoir vécues.

Les aventures de mon grand-père furent passionnantes, mais si le lecteur que vous êtes n'appartient pas à notre monde, il aura du mal à en saisir tout le sens. C'est pourquoi, après mûre réflexion, j'ai jugé utile, voire indispensable d'ajouter certains textes appartenant à notre culture, afin que chacun comprenne parfaitement ce qu'est la vie sur Lanlach'.