Chapitre 19

22 0 0
                                    

Nous restâmes quelques jours encore avec la sorchevalière. Elle entretint de longs conciliabules avec Grimelin. J'étais toujours exclu de leurs conversations importantes, mais leurs nombreux regards dans ma direction me laissaient à penser que j'en étais le sujet principal.

Puis, arguant qu'elle se reposerait bien mieux sans nous avoir dans les jambes, Dame Galwyn Eklech' Nokt, (littéralement « sorchevalière de la nuit » en langue ancienne), nous mit poliment dehors.

Notre retour fut plutôt paisible et nous fîmes en deux jours le trajet que nous avions parcouru en une seule nuit à l'aller. Nous ignorions alors les terribles évènements qui avaient eu lieu en notre absence.

L'odeur tout d'abord nous avertit.

Une odeur putride évoquant la viande avariée.

Un peu plus loin, nous aperçûmes des silhouettes pendues aux arbres. Au fur et à mesure que nous approchions, le visage de mon maître se décomposait. Il parlait à voix basse, dialoguant avec lui-même sur un ton horrifié :

« Ce n'est pas possible ! Qui a osé ?... »

Pour ma part, j'avoue que je ne pus m'empêcher de vomir et mes commentaires se limitèrent à quelques borborygmes, mais devant mes regards honteux, Grimelin me consola :

« Ta réaction t'honore, Petit. C'est ton corps qui refuse de voir l'horreur que tes yeux et ton esprit sont obligés d'accepter. Tu n'as pas onze années, et tu n'aurais jamais dû voir un tel spectacle avant de devenir un homme.

Puis, d'un signe, il me désigna Owen, qui, resté en arrière, pleurait en silence.

Il reprit :

− Et quand bien même, on a beau être un homme depuis longtemps, ayant déjà vécu tant de choses, survécu à nombre de combats, nombre de guerres, il y a des spectacles que l'on n'accepte jamais. »

Nous ignorions tout de ce qui avait pu se produire en notre absence. Qu'est ce qui avait pu provoquer une telle débauche de sauvagerie ?

Les relations entre le Lanwen et les Langreen s'étaient-elles dégradées à ce point en notre absence ?

Grimelin maugréait tout en réfléchissant, fustigeant l'irresponsabilité et l'incompétence du jeune Roi.

Nous apprendrions bientôt que l'inexpérience de Wenceslach' n'était malheureusement pas la seule raison de ces meurtres en série.

Cependant, la vérité, lorsque nous l'apprîmes nous apparut plus terrible encore que les réalités et les horreurs de la guerre.

Pour ma part j'avais soudain l'impression que mon monde s'écroulait : les cadavres qui se balançaient sur les branches étaient la preuve que le roi lui-même n'avait pas le pouvoir de nous protéger infiniment. J'avais grandi dans cette certitude, et avais du mal à accepter la vérité que mes yeux m'assénait. Je savais vaguement que la guerre était une chose horrible, mais seuls les soldats se battaient, et la plupart d'entre eux étaient volontaires pour s'engager dans l'armée de leur roi. En dehors de cela, donner la mort à autrui était strictement interdit. De tous temps, les lois de notre pays interdisaient l'exécution d'une sentence dont l'issue était la mort. La magie punissait plus efficacement que la mort, disait-on.

En nous approchant, nous vîmes que la ville de Castelach' était intacte. Bien que rassurante quant à l'hypothèse d'une attaque, cette constatation accrut notre perplexité quant à l'origine des pendus. Les habitants semblaient vaquer à leurs occupations habituelles malgré la puanteur ambiante.

Terre de Sorciers- Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant