Chapitre 21

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J'ouvrais la bouche pour commencer mes explications lorsque Grimelin, posant un doigt sur sa bouche, m'intima le silence en souriant. Puis, d'un signe, il désigna la porte à Owen. Le vieux serviteur se dirigea vers celle-ci et l'ouvrit, laissant le passage à Corwen.

Je pris conscience à ce moment là que je m'étais inquiété pour mon ami beaucoup plus que je n'avais voulu me l'avouer.

Malgré ma frustration et ma crainte de tout oublier, rien ne pouvait me faire plus plaisir que le voir sain et sauf.

Visiblement, le plaisir fut réciproque car Corwen fit les quelques pas qui le séparaient de mon lit presque en courant et me serra dans ses bras.

« Je me suis tant inquiété pour toi ! Tu peux dire que tu nous fais des frayeurs ! Ca fait cinq jours que je retarde mon départ en attendant que tu te réveilles !

Interloqué, je regardai Owen et Grimelin qui semblaient ennuyés. Visiblement, ils ne s'attendaient pas à ce que Corwen vende la mèche si rapidement. Ils avaient été pris de cours.

− Cinq jours, m'exclamai-je.

Corwen, remarquant alors l'air contrarié de mon Maître, prit conscience qu'il venait de faire une erreur.

Il prit un air contrit, puis reprit autant à leur attention que la mienne:

− Désolé, mais il faut que je me dépêche. Puisque je te sais désormais sain et sauf, je partirai ce soir.

− Partir ? m'étonnai-je.

− Bien sûr ! Je ne vais pas rester dans ce château de fous !

− Mais, tu as supporté les coups de Wency sans rien dire sous prétexte qu'il était de ton devoir de respecter la parole que ton père avait donnée, et aujourd'hui tu t'en vas, alors que c'est précisément le moment où tu pourrais te rendre utile ?

Corwen prit un air grave.

− Supporter des coups, c'est possible, tant que l'on sait que l'autre ne nous tuera pas, on s'en remet toujours. Je savais que Wency, aussi cruel et idiot soit-il, était incapable de me tuer car je l'en aurais empêché. Je m'en savais parfaitement capable. Mon père m'a appris à me battre, je te l'ai dit. Je sais que j'ai pu faire pitié à certains lorsqu'ils me croisaient et voyaient les bleus sur mon visage, mais je ne me plaignais pas. Tu le sais, toi, la Souris. Je remplissais juste mon devoir de fils en honorant la parole de mon père. Ce n'était pas facile tous les jours, mais rien d'insurmontable.

Mon ami se tut quelques instants, semblant réfléchir, puis il m'expliqua :

− Aujourd'hui, c'est différent. Aujourd'hui, tout le monde peut mourir à cause d'une colère ou d'un caprice du Roi, parce que le Roi est devenu fou. Depuis que cette femme est arrivée, Wynwena elle s'appelle, ses colères sont devenues meurtrières. Il est vrai qu'elle est d'une beauté envoûtante avec ses longs cheveux rouges, mais personnellement, je n'aime pas ses yeux ; ils changent sans arrêt de couleur. En règle générale, ils sont noirs, mais je les ai aussi vus bleus, verts, et même oranges ! Je suis certain qu'on ne peut pas se fier à cette femme ; elle n'a certainement pas le bien du Lanwen et de ses habitants comme principale préoccupation, crois-moi ! Toujours est-il que Wency en est fou amoureux, il n'écoute qu'elle, et ses conseils ne sont pas des plus pacifiques, tu peux me croire.

Il parut réfléchir quelques instants, puis reprit :

− Depuis qu'elle est arrivée, il ne m'a pas frappé, il ne m'a rien demandé, trop obnubilé par ce qu'elle lui a murmuré à l'oreille. Pendant les premiers jours, une fois mes tâches habituelles accomplies, je suis resté planté derrière lui, à mon poste, comme il l'exigeait jusque là. Je devais toujours le suivre partout où il allait, et il n'admettait personne d'autre que moi pour le servir. D'ordinaire, il s'ingéniait à me trouver toujours de nouvelles corvées dès qu'il me voyait désœuvré, et me frappait si je ne réagissais pas assez vite, ou si je lui obéissais de travers, ou tout simplement si l'envie lui prenait. Pourtant, comme tu l'as vu, la Souris, malgré quelques moments de découragement, je tenais bon.

Terre de Sorciers- Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant