Chapitre 20

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Je m'éveillai dans mon lit. Le visage de Grimelin était penché sur moi, l'air inquiet. Owen, non loin de là, me tournait le dos, trempant un linge dans une bassine. Je me rendis compte alors que l'air de la pièce empestait. Je fronçai le nez.

« Ne t'inquiètes pas pour l'odeur, petit. J'ai dû te préparer une décoction à base de feuilles de daralach' brûlées. »

Je pris un air étonné. Le sorcier m'avait déjà recommandé d'éviter cette opération qu'il disait hautement nocive pour tous ceux qui respiraient ou ingéraient ces fumées. J'avais eu du mal à comprendre pourquoi car j'avais toujours vu des gens dans la rue ou ailleurs fumer ou mâcher les feuilles de cette plante.

Il m'expliqua succinctement :

« Il y a certains cas où commettre un acte dangereux est inévitable parce que salutaire. Tu apprendras en vieillissant que c'est même assez fréquent lorsqu'il s'agit de magie.

Je hochai la tête pour lui indiquer que je comprenais, mais ce n'était pas véritablement le cas. Pourquoi les adultes tenaient tant à instaurer des interdits qu'ils s'empressaient d'enfreindre à la moindre occasion ?

Grimelin, reprenant sa vieille manie de lire dans mes pensées me répondit :

− Tu comprendras plus tard, petit.

Rien ne m'énervait plus que ce genre de phrase ! Pourquoi fallait-il attendre ?

Grimelin cette fois-ci, en guise de réponse, se contenta de sourire d'un air malicieux. Puis, son sourire s'effaça, laissant de nouveau place à son air inquiet :

− Que s'est-il passé, petit ?

Je ne comprenais pas de quoi il voulait parler. Il reprit :

− Tu as perdu connaissance dans la salle du trône. J'ai tout d'abord pensé que ce n'était que la réaction normale du jeune garçon que tu es, suite à la fatigue et du choc que tu as subis lors de notre retour. Mais ton évanouissement n'était visiblement pas provoqué par des raisons aussi simples car il a fallu que je me serve de magie pour te ramener parmi nous. »

Je secouai la tête.

Je ne me souvenais de rien.

Son attitude me semblait suspecte. Il paraissait inquiet à mon sujet ; je ne croyais pas qu'il le fût réellement, cela ne lui ressemblait pas. Il y avait sûrement une autre raison. Il s'était tu, et me regardait intensément. Cela m'énerva au plus haut point.

Il se leva et murmura quelques mots à Owen qui leva un sourcil étonné.

Puis, il sortit de la chambre.

Owen me lança un regard en biais sans m'adresser la parole, puis, à son tour sortit de la pièce, me laissant seul.

Je me sentais irrité, sans savoir vraiment pourquoi. Je ne me souvenais de rien, et l'idée que d'autres en sachent plus que moi à mon sujet m'exaspérait.

Chacune de mes pensées faisait naître un sentiment de colère et de frustration.

Je voulus me lever, pensant que marcher un peu me calmerait, mais à peine assis, la chambre se mit à tourner autour de moi. Je me rallongeai en fermant les yeux. Ma tête me semblait peser des tonnes, et mes membres étaient engourdis. Je me demandai bien ce qu'avait pu me donner ce charlatan de Grimelin.

J'ignore combien de temps je passai ainsi. J'étais plongé dans une sorte de semi conscience, partagé entre un sentiment de rage impuissante et le désir de sombrer dans un sommeil réparateur sans y parvenir.

J'entrevis à un moment de la journée, Owen m'administrer une potion. Puis je sombrai enfin dans le sommeil que j'avais tant espéré.

Lorsque je rouvris les yeux, il faisait nuit. Une chandelle brûlait à mon chevet, et Grimelin lisait à sa lueur. M'entendant remuer dans mon lit, il leva les yeux et me sourit.

Il se leva et me présenta un verre.

« Qu'est ce que c'est ? Tentai-je de demander. Mais ma voix était celle d'un crapaud. Le sorcier avait compris malgré tout ; il chuchota :

− Un simple verre d'eau, mon petit. »

Je notai distraitement qu'il m'avait appelé mon petit, et non pas simplement petit comme il avait coutume de le faire.

L'eau, tout d'abord, en passant dans ma gorge me brûla étrangement. Je voulus cesser de boire mais Grimelin me fit signe d'insister. La brûlure s'apaisa, et bientôt je demandai un autre verre d'eau. Celle-ci, brutalement, ne m'avait jamais semblée aussi délicieuse.

Je voulus parler, mais le vieux sorcier me fit signe de me taire. Je constatai alors que je n'étais plus énervé et j'appréciai de nouveau sa présence. Il dut comprendre mes pensées et me sourit chaleureusement.

« J'ignore ce qu'il s'est passé réellement, mais je gage que la magie noire n'était pas étrangère à ton état. Seuls les mages noirs aiment à provoquer certains sentiments chez leurs victimes. Les rendre nerveuses ou angoissées, parfois jusqu'à la mort, les amuse particulièrement. »

Puis il prit la chandelle et me fit signe de me rendormir. Je lui souris et sombrai à nouveau dans le sommeil.

En ouvrant les yeux, je me retrouvai au milieu un océan de magma en fusion. Des étincelles de roches incandescentes tombaient autour de moi. Malgré la poussière brûlante envahissant le ciel, le soleil dardait ses rayons de feu sur ma peau.

Je brûlais de la tête au pied mais un rire me glaça les sangs.

Les flammes étaient en train de me consumer entièrement.

Je voulus regarder mes mains pour la dernière fois. Je découvris avec stupéfaction que nul feu ne les parcourait.

Pourtant, je les trouvai étranges, différentes.

Le rire continuait de résonner à mes oreilles.

Je cherchai d'où il venait.

Et c'est alors que je me souvins. Je la reconnaissais : l'ombre qui se trouvait derrière le Roi avant que je ne m'évanouisse était à présent devant moi. Dans le même temps, je découvris qui elle était et tout ce qu'elle représentait. J'appris ce qu'elle savait en un instant. Elle n'avait plus aucun secret pour moi.

J'eus au moment même l'impression de m'enflammer de nouveau, mais, alors, par un jeu de lumière, j'entrevis mon ombre et compris ce qui m'avait troublé un peu plus tôt : mon ombre n'était pas celle d'un enfant mais d'un homme. A cet instant, mon esprit s'éveilla, prenant conscience que cette réalité présente n'était pas mienne, mais seulement une puissante illusion. J'eus aussitôt l'intime conviction que je n'y survivrais pas si je m'y soumettais. Mon esprit, dans un réflexe vital, trouva la force de m'en arracher.

La brûlure s'arrêta instantanément et je m'éveillai.

Lorsque j'ouvris les yeux, Owen et Grimelin étaient à mes côtés. Ils arboraient tous deux un air préoccupé.

Il faisait grand jour à présent, et j'en déduisis que j'avais dû dormir très longtemps.

Je me souvins alors de tout ce que je savais désormais et j'avais le sentiment qu'il était primordial que le Grand Sorcier en prenne connaissance. Pour d'obscures raisons, je craignais de tout oublier, et il me fallait partager au plus vite ce savoir avec Grimelin. Il me fallait expliquer ce qui s'était passé juste avant que je ne perde connaissance dans la salle du trône, mais aussi tout ce que j'avais appris durant mon sommeil. Il me fallait raconter ce que j'y avais vu et vécu. Il était évident que cela n'était pas un simple cauchemar, et mon sorcier de Maître saurait quelles conclusions en tirer. Il comprendrait bien mieux que moi ce qui s'était passé.

Terre de Sorciers- Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant