Chapitre 08

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La neige fondit, et les rayons du soleil réchauffèrent la terre. De nouveaux serviteurs firent leur apparition ainsi que de nouveaux marmitons et cuisineux. Ils venaient de villes et de villages alentour. Inexplicablement, les rêves rouges n'avaient touché que les habitants de Castelach'. Cela était déjà arrivé par le passé : la maladie s'était cantonnée à un secteur très précis sans que l'on sache pourquoi.

Il fallut désigner un nouveau chef cuisineux car Frickwen avait succombé à l'épidémie. Je ne pouvais prétendre au poste bien que je l'aie occupé pendant quelques semaines car mon âge faisait de moi un candidat trop jeune. Le nouveau chef s'appelait Crepwen. Il venait des Lanker, au sud du Lanlach', et son accent chantant me faisait rêver. Après tout le travail que j'avais accompli pendant l'épidémie, il reconnut que je ne devais plus me contenter du nettoyage et me permit de le seconder. Il espérait ainsi m'apprendre le métier, car c'était, disait-il, ainsi que lui-même avait débuté. Le travail était beaucoup moins dur et beaucoup plus intéressant qu'avant. Il me traitait bien, et quoique je dorme toujours clandestinement dans mon petit recoin, j'étais, à cette époque, relativement heureux de mon sort.

J'avais pris le parti d'explorer le dédale de passages secrets que j'avais découverts. Corwen n'en avait jamais entendu parler et il fut aussi excité que moi de ma découverte. Hélas, Wency ne lui laissait pas un instant, pas même la nuit où il continuait de le harceler de façon sporadique, ne lui laissant jamais l'esprit totalement en paix ; il n'eut par conséquent pas le loisir de m'accompagner dans mes pérégrinations nocturnes.

Seule, donc se joignit à moi Milie, toujours aussi fidèle.

Je découvris un accès à une salle de bains immense. Elle était réservée au personnel du château et j'avais entendu dire qu'elle avait pour particularité de posséder un puits intérieur, ce qui était particulièrement pratique pour remplir les chaudrons d'eau. Je regrettai souvent qu'une telle installation n'existe pas dans les cuisines. Mais l'emplacement des puits datait de l'arrivée de Wen Lach', le Premier Sorcier ; c'est lui qui avait trouvé où creuser. La salle de bains en question avait été construite plus tard, autour du puits. Lorsque je la découvris, elle était déserte, ce qui ne m'étonna nullement étant donné l'heure tardive. Un chaudron d'eau chaude attendait au dessus d'un feu couvert. Pour le moment, je me risquai à l'intérieur. Il y faisait une chaleur douce et humide. L'idée de prendre un bain chaud excita ma curiosité. Les seules fois où je m'étais baigné entièrement avaient été dans La Blech', la rivière où nous lavions le linge avec ma mère. L'eau y était froide et nous n'y allions pas pour le plaisir, sauf peut-être pendant les lunes chaudes, lorsque la chaleur se faisait trop écrasante.

Je me préparai donc un bain au milieu de la nuit et découvris la volupté de me plonger dans l'eau chaude.

Le lendemain, je racontai mon expérience à Corwen qui rit de mon ébahissement face à l'installation. Il m'expliqua que la règle était de toujours laisser cette salle dans l'état où on l'avait trouvée, avec un chaudron d'eau à chauffer, afin qu'à n'importe quelle heure, n'importe qui désirant se laver puisse prendre un bain sans attendre.

Il prenait un bain toutes les semaines, me dit-il. La famille royale mettait un point d'honneur à ce que son personnel soit d'une propreté impeccable. Il me taquina sur le sujet, insistant sur le fait que cette initiative de ma part eut pu arriver un peu plus tôt, étant donné l'odeur que je dégageais. Je souris, mais je me promis intérieurement de renouveler désormais l'expérience régulièrement, car, je devais en convenir, je ne devais pas sentir très bon depuis le temps que je me débarbouillais avec trois gouttes d'eau.

Parmi mes grandes découvertes nocturnes, figura aussi celle de l'accès au bureau royal. Des coffres remplis de documents de toutes sortes en constituaient le mobilier principal ainsi qu'une table et une chaise lourdement ouvragée répétant à l'envi le motif de flammes sur paume ouverte, motif que l'on retrouvait gravé sur les murs, colonnes et cheminées de la pièce, symbole du Grand Wen et de tous ses descendants, la famille royale.

Tout le monde savait ce que signifiaient ces signes : ils étaient là pour rappeler que Wen, fut le premier à produire le feu de ses mains seules, sans aucun outil, maîtrisant ainsi la magie intrinsèque et naturelle de toutes choses dans notre monde. Avant lui, personne n'avait su la dompter. Les hommes s'en émerveillaient, la vénéraient, mais la subissaient. Ils savaient allumer un feu mais ils avaient besoin de pierres pour cela. Pour le grand Wen, le feu jaillissant de ses mains n'était que le commencement, la révélation de ses talents alors qu'il n'était qu'un enfant. Il passa le reste de sa vie à explorer son incommensurable don.

Encore aujourd'hui, on le vénérait pour cela, et tout le monde connaissait des extraits du Livre de Wen, le livre de son Œuvre. Les sorciers, et surtout les Grands sorciers pratiquaient la magie selon ses principes de sagesse et de bienveillance. Wen avait été porté au pouvoir absolu par les hommes qui le vénéraient, mais dans sa grande sagesse, il ne chercha pas à en abuser, et fit en sorte qu'à sa mort plus aucun territoire connu du Lanlach', notre monde, ne soit en guerre contre un autre. Pour maintenir la paix, il plaça chacun de ses fils, à la tête des quatre grandes terres du monde : les Langreen au nord, Lanker au sud, Lanwech à l'ouest, Lanwich à l'est. Il fit construire le château de Wenlach' à l'intersection de ces territoires et décida que Wyn, sa fille aînée, la plus sage de ses enfants y règnerait. Elle serait chargée de maintenir l'équilibre et la justice entre les territoires. Malheureusement, malgré tous ses efforts, ses enfants ne se révélèrent pas aussi sages que Wen et après sa mort, des guerres éclatèrent. Seule Wyn, fidèle à son père et à ses désirs fit tout ce qu'elle put pour rétablir la paix, mais ses frères ne voulurent rien entendre, et elle périt assassinée par l'un d'eux.

De nos jours, ces guerres perduraient sporadiquement, et chacun des territoires était gouverné par un descendant de Wen Lach'. Cependant, son château et la ville de Castelach' qui s'était construite autour, jouissaient d'un prestige inégalé. Par tradition, on écoutait plus le descendant de Wyn que celui d'un de ses frères, et c'était à lui que l'on s'adressait pour trancher une question délicate.

Wen Lach qui avait fait construire le château n'était pas, bien sûr, à l'origine du symbole de la main à la flamme, ce furent ses descendants qui le trouvèrent et décidèrent de le faire graver et figurer dans la moindre partie du château. Seuls y avaient échappé les communs, parties réservées au personnel. Je connaissais le motif, ses origines, et avais entendu parler de son omniprésence dans les appartements royaux, mais il y a une différence entre ce que l'on imagine d'après les descriptions entendues ici et là, et ce que l'on voit en réalité. Et je dois dire que j'étais époustouflé et émerveillé. Mes yeux n'étaient pas assez grands, me semblait-il pour tout voir. Mais le temps passait, et je devais aller dormir un peu. Je reviendrais.

Terre de Sorciers- Tome 1Where stories live. Discover now