56. Manœuvres et jalousie

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« Quel est le petit imbécile qui a écrit des insultes à mon propos sur le tableau de la classe E303 ? »

Monsieur Musquet n'avait même pas pensé à frapper avant de pénétrer en furie dans le labo de sciences, dans lequel Kilian et ses camarades s'essayaient à plusieurs expériences comme tous les vendredis. Ce que le CPE avait vu écrit à la craie dans la salle d'anglais l'avait rendu furieux comme jamais. Que les lycéens plaisantent sur lui dans son dos, il y était habitué et n'y prêtait presque plus attention. Que ces derniers se permettent de se moquer de son mauvais caractère par écrit, dans la langue de Shakespeare qui plus est, c'était tout bonnement intolérable. Le coupable méritait une punition exemplaire.

La tête légèrement penchée sur le côté et une pipete dans la bouche, Gabriel leva la main droite tout en manipulant un bécher de la gauche.

« Ch'est moi ! Ch'est à cauche de la prof d'anglaich ! Elle nous avait demandé de faire une phrache avec les mots cantankerous, choleric et irratable ! Du coup, ch'ai écris, My CPE is very cantankerouch, choleric, and irratabeul but it is becauche I am very bad wich him !, mais après, la prof, elle avait bechoin du tableau alors elle a effaché la fin, becauche I am very bad wich him !, mais ch'est pas grave, cha marche quand même ! »

Toute la classe s'écroula de rire en constatant le visage livide du pauvre Musquet, y compris le professeur de physique qui ne put s'empêcher de s'esclaffer et qui dut partir à la poursuite du pauvre CPE dans le couloir pour s'excuser de s'être lui aussi laissé prendre par les couillonneries de Gabriel. Suçotant toujours la pipette qu'il avait coincée entre les lèvres, le châtain haussa les épaules avant de se tourner vers Kilian, son voisin de plan de travail.

« Pourtant, ch'est pas drôle, ch'est la vérité qu'il che vexche chuper fachilement ! Il est pire que toi, il arrête pas de bouder, che Chépéheuh. »

Le blondinet s'écroula sur son pupitre en se tenant les côtes, bien plus à cause de l'air volontairement stupide de son camarade que de sa tendre petite pique. Même en mettant de côté leurs galipettes, Kilian ne pouvait s'empêcher de trouver quelque chose de magique dans leur relation qui pouvait passer en un claquement de doigts d'une intimité et d'une tendresse exquise le jeudi soir au cirque du soleil le vendredi matin, avec Gabriel dans le rôle de l'Auguste un peu fou toujours partant pour faire des conneries maitrisées. Grace à lui, l'ambiance dans la classe était toujours chaleureuse, même par mauvais temps. Ce matin-là, d'ailleurs, le crachin qui tombait dehors ressemblait de plus en plus à une précipitation durable. La météo était aussi maussade que Kilian se sentait apaisé : son frère faisait mille efforts pour se faire pardonner en le pourrissant et le gâtant, chose que le blondin adorait ; François respectait ses conditions et le laissait tranquille pour ne pas remettre de l'huile sur le feu ; Aaron ne lui avait pas fait le moindre reproche et continuait à l'encourager à vivre sa vie de la plus belle des manières ; Alia, enfin, l'aidait inconsciemment à atteindre cet objectif. Tout allait plutôt bien, et Kilian se sentait de plus en plus proche de la jeune Tunisienne.

Cette dernière, d'ailleurs, n'arrivait plus à cacher ses sentiments pour le bel adolescent à la virilité toute fluctuante. Plus les jours passaient et plus elle avait envie de croire en la sincérité de ses caresses sur la joue et de ses bisous dans le cou, quand bien même elle lui disait le contraire. Le midi, après un repas express, ils restèrent tous les deux collés l'un à l'autre, assis sur les marches d'un des nombreux escaliers du lycée. Pour la première fois depuis le début de l'année scolaire, ils se tenaient par la main, les doigts entrecroisés et la tête de la jeune fille posée sur l'épaule du garçon. Leur faisant face, plusieurs autres adolescents s'étaient affalés contre le mur, dont Adan et Koa qui les observaient discrètement. Kilian était trop envouté par le parfum aux senteurs de pêche et de vanille de la jouvencelle pour les remarquer. Tout ce qu'il souhaitait, c'était parler. De tout, de rien, et surtout d'eux.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now