22. Guillaume

180 28 5
                                    


« Et arrête de chialer un peu, t'es pas une fille, merde ! »

C'est toujours ce que me disait mon père après m'avoir frappé. En effet, je ne suis pas une fille. Un garçon, ça ne pleure pas, il n'y a que les gonzesses et les pédés qui pleurent. Pourtant, se prendre une fessée déculottée à dix ans devant toute la famille, les oncles, les tantes et les cousins un dimanche après-midi, ça fait mal. Pas physiquement, hein, on finit par s'y habituer. Mais moralement, ça pique. Je ne sais même plus pourquoi mon père passait son temps à me cogner dessus quand j'étais petit. D'après ma mère, c'était parce qu'il m'aimait et qu'il fallait bien m'éduquer. D'après ma sœur, c'était parce que j'étais la pire saloperie de toute la création et que je méritais bien les torgnoles et autres humiliations qui me tombaient sur la gueule. D'après mon grand frère, c'était parce qu'il était juste très con et incapable de se faire respecter par ses gosses sans lever la main.

En fait, je crois que c'est ma sœur qui avait raison. Depuis mon plus jeune âge, je suis une véritable peste. Même que ça a toujours été mon surnom. Guillaume la peste, la petite peste. En fait, il n'y a que mon grand frère qui ne me considère pas comme ça. Il n'y avait que lui pour me dire, quand j'étais triste, que j'étais gentil et que c'était les autres qui ne me comprenaient pas. Que j'avais beau être son p'tit connard à lui, il m'aimait. Moi, j'm'en fous un peu, je suis un méchant, c'est donc normal si je souffre, même si je n'ai pas si mauvais fond que ça.

C'est pas ma faute. J'ai un visage plutôt mignon, un sourire charmeur et une attitude naturellement désinvolte. Le parfait cocktail pour s'en prendre plein la tronche, la définition même de tête à claques. Alors du coup, j'en ai ramassé un paquet. Des conneries, j'en ai faites par centaines. Des beignes, j'en ai pris par milliers. C'est peut-être le malheur de ma vie, je ne dis pas que je suis parfait, ni même que je suis un type bien, mais j'ai quand même dégusté plus que je ne le méritais. Dans ma classe de CE1, ma maitresse me détestait et me punissait toujours, même pour les bêtises des autres. En CE2, je me suis vengé sur son successeur, un vieux monsieur, en étant le plus insupportable possible alors qu'il ne voulait que mon bien. Résultat, tout le monde me faisait la gueule. En CM1 et en CM2, j'étais un petit loup solitaire, avec très peu de copains, toujours fourrés dans les mauvais coups. Et ça ne me rendait pas heureux. Alors, quand je suis passé au collège, j'ai décidé de changer, de grandir, de me faire des amis, ce qui n'était pas si compliqué que ça, et d'arrêter de donner des raisons à mon père de m'humilier à chaque repas dominical. J'étais résolu. Certains n'étaient pas forcément d'accord. En sixième, un gros balaise décida que je serai son souffre-douleur pour toute la durée du collège, et le calvaire a duré jusqu'en quatrième. Mes potes regardèrent et laissèrent faire. Mais je lui dois quand même certaines choses à ce salaud : il m'a appris à taper là où ça fait mal. On appelle ça l'apprentissage par l'exemple, et c'était un excellent professeur. Après m'être fait traiter de tous les noms, m'être fait cogner et racketter dans les chiottes et avoir failli être viré à cause de lui, j'ai compris que le monde était injuste, sans pour autant l'accepter. J'ai même fini par me faire ma propre idée de la justice. On te frappe la joue droite ? Cogne la gauche de ton agresseur. On te lance un sourire hypocrite ? Débrouille-toi pour le faire disparaitre au plus vite. Les autres sont heureux ? Rends les tristes. Après tout, si je ne mérite pas le bonheur, pourquoi les autres le mériteraient ?

Enfin... mon père me tape et m'humilie en famille, ma sœur me déteste, ma mère s'en fout, j'ai passé plus de la moitié du collège à faire chier mon monde en multipliant conneries, insultes et autres petites méchancetés et en m'en prenant plein la gueule en retour, et après ? Je n'ai pas que des défauts. J'ai de l'humour, j'ai une belle gueule, je suis suffisamment manipulateur pour me faire facilement des amis – même si ce sont rarement les plus intelligents – et j'adore m'amuser et faire des conneries. On peut donc dire que j'aime cette putain de vie et, surtout, je sais reconnaitre une bonne d'une mauvaise personne.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now