30. La rentrée d'Aaron

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Son chat Blako dans les bras et son chien Mistral collé à ses pieds nus, Aaron regardait le paysage par la fenêtre. Le soleil se levait à peine, mais cela faisait plus d'une heure déjà qu'il n'arrivait plus à dormir. Habillé d'un pyjama bleu ciel qu'il ne mettait presque jamais – il préférait dormir dans son plus simple appareil à condition que personne ne puisse le voir –, l'adolescent soupirait en comptant les minutes. Des établissements français à l'étranger, il en avait déjà connu plusieurs. Mais la Suisse, c'était une découverte. Ses parents avaient tenu à faire les choses bien et l'avait inscrit à Danceny, un des lycées les plus cotés de la région de Genève, où se côtoyaient futurs grands de ce monde et fils de. Lui, il n'était que le rejeton d'un diplomate qui n'y connaissait rien à la diplomatie. Quand Gérard Arié avait dû trancher entre sa carrière et le bonheur de son fils, il n'avait pas hésité une seule seconde. Toute la famille profiterait de l'air pur du pays des lacs, de la montagne et de l'exil fiscal. Ce chalet dans lequel ils vivaient, d'ailleurs, n'était rien d'autre qu'un bon investissement. Heureusement, il était suffisamment vaste pour qu'Aaron puisse s'y aménager une pièce pour son piano, son ordinateur et des posters tirés de photographies de Kilian à l'escrime, de Kilian à la piscine, de Kilian dans son lit en train de dormir, de Kilian faisant le fou en souriant, de ses chats Blako, Roukou et Choupette en train de faire de l'escalade sur Kilian, de Mistral mordillant le pied de Kilian et, enfin, de Kilian faisant semblant de bouder, sans aucun doute son image préférée. Au milieu de tous ces portraits, le brunet se sentait un peu mal à l'aise. Tout portait à croire qu'il tenait du stalker complètement dérangé et particulièrement obsédé par les petits blondinets, alors qu'il n'en était absolument rien. Il n'avait pas placardé l'image de son petit trésor sur les murs parce qu'il était en manque, mais juste parce qu'il s'agissait là d'un moyen comme un autre de faire comprendre à ses vieux toute la rancœur qu'il avait à leur égard et que, s'il avait bien perdu cette bataille, il n'avait pas encore perdu la guerre. Pour rien au monde il n'abandonnerait son espoir de rentrer vivre au plus vite de l'autre côté des Alpes. Subir le regard triste de Kilian serait la punition de sa mère à chaque fois qu'elle oserait passer la tête dans sa pièce à lui.

Pourtant, Catherine comprenait son fils. Même si elle ne l'avait pas toujours montré, préférant vivre une vie mondaine que de s'occuper de sa progéniture, elle aimait Aaron. Si Gérard avait vu d'un très mauvais œil les frasques de l'adolescent l'année passée, s'il n'appréciait pas forcément cette romance de mauvais goût avec ce Kilian et s'il était tout à fait satisfait d'éloigner sa descendance de ses délires affectifs complètements puérils, Catherine, elle, avait défendu bec et ongle le droit de son fils d'aimer qui il voulait, fut-ce cet adorable blondinet si bien élevé qui avait si souvent squatté chez elle ces derniers mois et qui appréciait sincèrement sa nourriture. Mais c'était malheureusement Gérard qui décidait, et Aaron qui souffrait. Après deux mois de vacances, la rentrée était enfin là, et il était seul. Cet isolement savoyard était d'ailleurs particulièrement injuste : sa grande sœur Judith, étudiante en sociologie à la Catho de Lyon, avait obtenu le droit de rester en France et d'avoir son propre appartement en colocation. Trainé de force du mauvais côté de la frontière, Aaron ne pouvait même plus compter sur les prises de bec avec son ainée pour occuper ses journées. Tout juste avait-il à sa disposition pour combler le manque ses animaux qu'il embrassait et caressait sans cesse. Trois chats et un chien, c'était bien, mais cela ne valait tout de même pas un petit lionceau sauvage et crétin.

Après un bain bouillant dans lequel il fit plus de bulles avec sa bouche qu'il n'y avait de neurones dans la tête de son petit blondinet, il se brossa les dents, se sécha les cheveux avec force, se coiffa pour se donner du style et sortit une chemise grise, un gilet cintré, un pantalon noir et un chapeau de la même couleur. Maintenant qu'il était au lycée, il ne voyait pas ce qui pouvait l'empêcher d'utiliser quelques accessoires pour avoir la classe. Après avoir attrapé au vol une tartine qui lui tendait sa mère, il se jeta dans le bus qui devait le conduire jusqu'à sa nouvelle prison dorée.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now