41. Être deux à souffrir

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Assis sur l'herbe du parc du lycée, et sans esquisser le moindre sourire, Aaron observait Jonathan courir. Ses pupilles étaient dilatées et sa vue troublée. Dans sa paume, il écrasait son téléphone, comme s'il avait l'envie de le réduire en morceau. La force lui manquait malheureusement pour arriver à ses fins. La colère et la fatigue l'avaient vidé de toute son énergie. Pour ainsi dire, il n'avait pas dormi de la nuit. Le message que Kilian lui avait envoyé au moment du coucher lui brulait la gorge et le ventre. Il n'y avait pas répondu, il ne le pouvait pas, c'était au-dessus de ses forces. Il n'arrivait même plus à courir et c'est presque en rampant qu'il s'était trainé jusqu'à l'ensemble scolaire Danceny. Ce fut au moment où il avait franchi la grande grille que l'usurpateur avait eu la mauvaise idée de lui dire poliment bonjour en baissant la tête. Et maintenant, habillé d'un t-shirt à manches longues et d'un pantalon de tous les jours, faisant le tour du lycée au pas de course, il en payait le prix. Avec aigreur, Aaron lui avait ordonné de le remplacer dans ses exercices quotidiens pendant qu'il se lamentait sur son sort, le cul sur la pelouse. Résigné par son sort, et sans même comprendre ce qui lui valait cette punition, Jonathan n'avait même pas pensé à broncher. Même sur le point de s'effondrer par terre dans ses vêtements trempés de sueur, le pauvre adolescent continuait à trotter. Du moins, tant qu'il sentait le regard gorgé de sang de son camarade fixé sur lui, il ne voyait aucune bonne raison de couper son effort.

« Ce mec, il m'impressionne vraiment... Je sais pas s'il est con ou juste masochiste, mais à le voir courir comme ça, j'ai presque envie de le respecter. Personne n'a pensé à lui dire qu'il n'était pas obligé de t'obéir comme un petit toutou ? Ça fait trois fois qu'il passe en nage, au bord du malaise, mais dès qu'il t'aperçoit, il accélère ! Limite, ça mérite une médaille. Une médaille de la connerie, mais une médaille quand même. C'est tellement hallucinant que même les pions le regardent sans oser lui dire d'arrêter... »

En entendant la voix de son chaton dans son dos, Aaron pouffa. Le pauvre Jona méritait bien un peu de compassion au nom de toutes les tortures qu'il subissait, même si pour la majorité d'entre elles, il aurait pu mettre sa main à couper que son camarade les acceptait de son plein gré et qu'elles lui faisaient même plaisir. Mais conscient qu'il risquait des ennuis avec l'administration locale si jamais sa victime venait à avoir la mauvaise idée de se plaindre, le brunet finit par lui intimer de la main l'ordre de filer aux douches, avant de pivoter largement la tête vers le frêle adolescent qui se tenait juste derrière lui, les mains dans les poches. Justin était vêtu d'une chemise blanche dont les premiers boutons dégrafés laissaient apparaitre une partie de son torse juvénile, d'un jean gris noir légèrement usé et de grosses chaussures de skateur aux lacets volontairement défaits. Une légère brise ramenait ses longs cheveux noirs sur le haut de son crâne, ce qui avait pour effet de dégager ses yeux, braqués sur l'horizon. Au poignet, il avait toujours ce drôle de bracelet éponge qu'il affectionnait tant et qui lui donnait son propre style. En l'observant, Aaron se fit la réflexion que cet adorable petit félin était à croquer, à commencer par ses douces lèvres souriantes. Mais malheureusement, il n'avait pas faim. Juste un peu soif, mais s'il avait dû boire quelque chose, il se serait sans doute mis à avaler ses propres larmes qu'il retenait tant bien que mal au fond de ses glandes. Apercevoir le regard perdu et plaintif d'Aaron suffit à Justin pour comprendre à la fois ce qui avait dû se passer, mais aussi quel rôle il pouvait bien jouer. Deux secondes plus tard, il se retrouvait allongé sur l'herbe, la tête sur les genoux du brunet, mimant de ses petits doigts d'enfant les coussinets d'un chat jouant avec une pelote de laine invisible placée juste sous le nez de son camarade. Mais alors que ce geste avait pour seul but de l'amuser, il emplit le cœur de l'adolescent aux cheveux couleur corbeau d'une triste mélancolie. Il ressemblait trop à ceux que Kilian avait si souvent.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now