Partie 3 - Un nouveau choix - 61. La lettre

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Pardon Aaron.

Je ne savais pas comment commencer cette lettre, alors j'ai décidé d'écrire le premier mot qui me venait à l'esprit. Et ce mot, c'est pardon. Pardon pour ce que j'ai fait, pardon pour ce que je vais faire, aussi. Tu trouves cela triste comme entame ? Et pourtant, j'aimerais tant te faire plaisir et te faire rire, comme avant. Cette lettre, prends-la pour un cadeau né de toute la tendresse que j'ai pour toi. Je pourrais te dire qu'elle est infinie, ce que les gens de lettres font souvent quand ils veulent exagérer leurs sentiments. Nous n'en sommes pas si loin, la vérité est que je n'en ai tout simplement pas encore aperçu les limites.

Bien sûr, j'aurai pu commencer par te souhaiter un Joyeux Noël. Mais je ne suis pas stupide. Je sais qu'il ne l'est pas. Ce n'est pas parce que mes yeux sont emplis de candeur que le scintillement des étoiles m'aveugle. Je sais que tu ne ressens aucune joie en ce jour de fête. J'ai appris à lire sur ton visage. Ce sourire triste, ce regard lumineux plein de désespoir, ce rire torturé, cette douceur névrosée... Il te manque, n'est-ce pas ? Le garçon dont tu m'as montré tant de photos et que tu aimes ? Tu as raison de l'aimer. Il est beau. Il est beau et surtout, il rayonne. Si moi aussi j'aimais les garçons, je suis sûr que j'aurais pu tomber sous son charme. Non, en fait, je serais sans doute tombé sous le tien avant. Tes cheveux sable, ta peau d'argent et tes joues gueules, dès tu parles de lui ou que tu me prends dans tes bras, je me retrouve inexorablement devant le plus beau des blasons.

Les premiers mots que tu as eus pour moi furent adorables. Peut-être parce que j'étais le plus petit de la classe, peut-être parce que j'avais au bout du nez cet air espiègle que tu aimes tant, peut-être pour autre chose que je n'étais pas en mesure de comprendre. Toujours est-il que tu as volé à mon secours alors qu'on moquait ma candeur, et cela m'a intrigué suffisamment au point que je veuille te connaitre. Oh, à mes yeux, les quolibets dont j'étais la victime n'étaient que de simples puérilités stupides dont, d'ordinaire, je me moque. Ce que je jugeai important à ce moment-là, ce fut bien plus ta réaction. La méchanceté, j'ai appris à vivre avec et à passer outre. J'ai toujours méprisé ceux qui voulaient grandir trop vite et qui, en plus d'oublier leur âge et leur immaturité, refusaient aux autres le droit de vivre leur enfance. Étaient-ils happés par la jalousie ? Par l'aveuglement à propos de leur propre condition ? Par la prétention de se croire ce qu'ils n'étaient pas ? Oh, ils pouvaient me traiter de gosse stupide autant qu'ils le voulaient. Je ne m'en foutais pas. J'en étais fier. La tendre jeunesse est merveilleuse. Pas de soucis, pas de responsabilité, juste de petites peines qui deviennent de gros chagrins, entremêlés de rires, de jeux et de joie. J'étais un enfant heureux grâce à des parents aimants qui ont toujours veillé sur moi. Malgré une santé fragile, je vivais et il n'y avait rien de plus beau. Mes rêves étaient irréalistes, mais je m'en moquais. J'ai toujours su que je ne serai jamais un grand gardien au foot ni professeur de physique. Et alors ? L'enfance permet de se construire un monde fait d'espoir et d'imaginaire. Dans mes rêves, je parcourais la terre entière, aidant la veuve et l'orphelin et découvrant les richesses du monde que j'avais au préalable regardées dans mes bouquins.

Et puis, lorsque vint le temps du collège puis du lycée, je continuai à faire le gamin, sans doute pour masquer le fait que je l'étais de moins en moins. La magie de l'enfance est qu'on peut s'émerveiller pour un rien et s'intéresser à tout. Il n'y a aucune limite à la découverte et à l'imagination, et aucune obligation harassante pour nous ramener à la réalité.

C'est ainsi que je suis devenu ton chaton. Ce surnom, je l'ai adoré. Non pas parce qu'il me caractérisait bien (à part ma manie de miauler partout et ma petite truffe ronde, tu trouves vraiment que je ressemble à un chat ? Sérieusement ?), mais parce qu'il venait de toi et surtout parce qu'il indiquait que tu m'avais compris. Malgré mes treize ans et demi, tu ne m'as jamais considéré comme quelqu'un d'inférieur. Malgré mes lacunes, tu ne m'as jamais trouvé stupide. Au contraire, tu t'amusais de mes bêtises tout en notant mes quelques rares qualités. Tu m'as accepté comme l'adolescent que je voulais être (à savoir un éternel enfant avançant à son propre rythme, s'émerveillant pour un rien et riant à tout) et qui, pourtant, n'en était déjà plus un.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now