70. Une page se tourne

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« Prenons le problème à l'envers. Il te faudrait quoi pour te convaincre de me renvoyer en France ? »

À peine François avait-il déposé Aaron chez lui que l'adolescent s'en était allé retrouver son père à la table des négociations. Auréolé de son écrasante victoire dans l'affaire Botteron, il se sentait en position de force. Le lycée l'avait blanchi de toutes les charges retenues contre lui. Ou plutôt, après une peine prononcée de manière symbolique, il avait été immédiatement gracié par le directeur en personne, ce qui lui permit de se pavaner à la maison devant son paternel. Ce dernier refusa, pourtant, de reconnaitre que sa progéniture avait eu raison de se comporter comme le plus grand de tous les fouteurs de merde, catégorie « petit branleur », que la Suisse n'eût jamais compté dans son contingent d'étrangers ayant fui leur pays en temps de guerre fiscale, même si pour les Arié, il était vrai que l'objectif n'était pas d'échapper au fisc mais tout simplement de profiter d'un statut de diplomate des plus avantageux. Tout juste Gérard avait-il cédé quand le père de Kilian était venu le chercher le vendredi pour un petit week-end improvisé, ne trouvant aucun bon argument pour contrer cette requête. Là, les enjeux étaient bien différents

« Pour l'instant, ce n'est pas d'actualité. Tu es trop jeune pour vivre seul, et je ne veux pas embêter la famille avec tes caprices. On paye déjà un studio à ta sœur et, avec ses études, cela fait déjà beaucoup de frais. Ce n'est pas contre toi, Aaron, c'est pour toi. Et ton comportement ces dernières semaines n'a fait que me conforter dans ma décision de ne pas céder. Tu as toute la liberté que tu veux ici, tu ferais mieux de t'en contenter. »

Un mur. Ou plutôt, un miroir. Gérard ne pouvait nier que l'adolescent était bien de son sang, et inversement, Aaron devait bien reconnaitre que, son entêtement, il le tenait de son père. Malheureusement sa volonté ne déboucha pas sur un grand succès, comme d'habitude. Vivre avec sa sœur ? C'était impossible, elle avait besoin de calme dans ses études et elle ne supportait pas le regard vaniteux de son cadet qui lui tapait sur le système. Faire venir Kilian en Suisse ? L'adulte hésita avant de repousser cette hypothèse. Si on apprenait que son logement devenait le baisodrome de son fils, cela risquait de légèrement ternir son image du côté de Paris, un très mauvais point pour la réalisation de son objectif suprême, devenir ambassadeur à la place de l'ambassadeur. Et puis, aussi, il avait eu vent par François de la lutte entre lui et Marie pour la garde du petit blondinet. Gérard n'avait pas la moindre envie de se jeter dans cette bataille.

Frustré par cette conversation une fois de plus stérile, Aaron alla se coucher sans même toucher à son dessert. Ne trouvant pas le sommeil à cause de la rage qui lui prenait la gorge, il se releva au milieu de la nuit pour réfléchir à l'univers du roman qu'il projetait d'écrire et pour retravailler la nouvelle qu'il avait conçue à la va-vite quelques semaines plus tôt, se concentrant sur les scènes faisant apparaitre un certain blondinet. La seule chose qui limitait sa colère était l'assurance d'avoir son Kilian à lui pendant toute une semaine lors des vacances de février. Il avait prévu de l'emmener au ski, comme l'année précédente, avec sa mère, bien décidée, elle, à soutenir son fils et ses rêves d'adolescent.

Le lendemain matin, la journée commençait par un cours de math, le premier sans Botteron. Sa remplaçante était une femme entre deux âges maniaco-dépressive, Madame Badinsky. Son style était à l'extrême opposé de celui de son prédécesseur. Ni sourire, ni blague, ni chemise ouverte. La professeure ne quittait jamais son tailleur ni son chignon et n'exprimait sur son visage que sa haine du genre humain. Elle détestait tellement ses élèves qu'il ne lui serait jamais venu à l'esprit de faire des heures supplémentaires gratuites pour des cours de soutien personnalisés. Pour Aaron, l'arrivée d'un tel spécimen dans sa classe était un ravissement. Avec elle, son chaton ne risquait strictement rien, à part peut-être voir ses notes progresser s'il travaillait sérieusement. Les objectifs du brunet pour cette fin d'année étaient plutôt simples : le premier était d'assurer son passage en S pour pouvoir soutenir Kilian l'année prochaine et pourquoi pas se retrouver dans la même classe que lui, ce qui était d'ailleurs son deuxième objectif. Le troisième, enfin, était de s'occuper de Justin et de lui permettre ce passage en L qu'il réclamait. Certes, il y avait aussi une sombre histoire de promesse à tenir à cause d'un deal débile, mais à ses yeux, cela restait secondaire.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now