60. Justin

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Le sourire d'Aaron était inimitable. L'adolescent le savait, c'était son principal atout charme et aussi sa meilleure arme pour briller en société. Avec son costard noir et son petit nœud papillon sur une chemise blanche, il en jetait. Son look et son style firent dire à tous ses interlocuteurs du soir qu'il faisait plus que son âge, preuve qu'il était aussi à l'aise qu'un poisson dans l'eau. Et pourtant, qu'est-ce qu'il se faisait chier. Bien sûr, la nourriture était délicieuse – ce qui était un moindre mal pour une soirée chez l'ambassadeur –, mais devoir supporter cette masse d'imbéciles heureux à la recherche d'un poste en vue dans la diplomatie française, c'était insupportable. Il leur aurait bien crié leurs quatre vérités à la figure, comme quoi s'empiffrer de foie gras et de caviar sur le dos du contribuable, dilapider l'argent public pour graisser la patte des banquiers locaux ou tout simplement le détourner à des fins diverses et variées mais surtout personnelles et malhonnêtes, ce n'était pas vraiment la manière la plus noble de « servir son pays ». Il préféra garder pour lui sa candeur toute naïve d'adolescent idéaliste. Après tout, il ne pouvait nier qu'il appréciait le logement dans lequel son géniteur avait investi grâce à ses lourdes indemnités, à savoir un magnifique chalet en pleine campagne savoyarde suffisamment vaste pour qu'il ait sa propre petite pièce à lui en plus de sa chambre. Et il fallait bien l'avouer, ces brochettes de langoustes truffées qu'il avalait les unes après les autres étaient quand même succulentes. Avec son tallent et sa verve, il en était sûr, il n'aurait aucun mal à lui aussi profiter un jour de ce système pourri, et sans doute bien mieux que son pauvre imbécile de père arrogant. Si seulement ces stupides soirées n'étaient pas aussi longues et ennuyantes...

Après une nuit plutôt courte, il se réveilla dans son lit dans un état second et constata qu'il n'avait même pas enlevé son pantalon avant de se coucher. Il était rentré tard et s'était endormi comme une masse, sans avoir envie de rien. Kilian n'avait pas répondu à son SMS de Joyeux Noël à minuit, pas plus que Justin ne l'avait fait aux nombreux messages qu'il lui avait envoyés depuis le début des vacances. Sans doute étaient-ils trop occupés pour lui accorder la moindre petite attention. La solitude et la colère d'être ainsi délaissé avaient poussé le brunet à plonger la tête la première dans son oreiller en espérant succomber lentement au manque d'oxygène. Peine perdue, la fatigue l'avait emporté avant que ses poumons ne flanchent et un réflexe l'avait fait se retourner sur son matelas. Il était bien vivant, l'horloge de son téléphone indiquait onze heures et il avait mal au crâne, ce qui était peu de chose à côté de ce qu'il ressentait au niveau du cœur. De tous ses Noël, celui qu'il venait de vivre était sans aucun doute le pire. Nonchalamment, il se traina jusqu'à son ordinateur. Il n'avait envie de rien. En ouvrant sa boite d'e-mails, il eut l'étrange surprise de voir que deux messages l'attendaient. Un de Kilian qui venait d'être envoyé et un de Justin, qui le précédait de peu. Son rythme cardiaque s'accéléra. Peut-être qu'au final, ses deux trésors ne l'avaient pas oublié et qu'il s'était tout simplement fait de fausses idées. Frénétiquement, il cliqua sur le plus récent courriel en se mordillant les lèvres. Il voulait y croire.

De l'autre côté des Alpes, après avoir raccompagné Alia en sa demeure, Kilian était rapidement rentré chez lui puis s'était installé à son bureau, son collier posé juste devant lui. L'objet, il l'avait fixé pendant de longues minutes en serrant la mâchoire et en se frottant les yeux. Il avait osé l'enlever, il avait eu ce courage inconscient. Il avait mal. C'était comme si on avait arraché une partie de son organisme. Pire, il s'était lui-même estropié. Comment pouvait-il seulement le supporter ? Il avait trahi son amour pour Aaron de la pire des manières. Ce n'était pas tant de s'être vautré dans le stupre et la volupté qui le faisait souffrir. Pour ce point-là, il n'avait fait qu'obéir au désir du petit brun. Non, ce qu'il n'arrivait pas à expliquer, c'était comment, l'espace de quelques misérables secondes, il avait pu aimer quelqu'un plus qu'Aaron. Même si cette émotion avait été fugace et instantanée, passagère et déjà oubliée, elle avait existé. Et son affection sincère pour Alia qui s'était dessinée jour après jour ne voulait même pas s'en aller. Pour la première fois depuis la rentrée, il ne savait plus ce qu'il voulait. Jeter ce collier et avancer ou le remettre autour de son cou pour ne plus jamais le quitter, quand bien même il avait un mal de chien à s'en trouver digne ? Alors, devant ce dilemme qui le déchirait en deux, il fit glisser l'objet dans un minuscule écrin de tissus qu'il glissa dans sa poche, pour l'avoir toujours auprès de lui. Avant de descendre ouvrir ses cadeaux aux pieds du sapin, il lui restait une chose à faire. Il devait parler à Aaron. Mais au moment de composer le numéro du brunet, ses glandes lacrymales se montrèrent plus vivaces que les muscles de son pouce. Avouer sa faute à l'oral était trop dur. Ce qu'il ne pouvait dire, il se devait au moins de l'écrire. Il envoya un e-mail.

Ce qu'il voulaitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant