33. Amours croisés

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Aaron aimait bien les vendredis. Depuis sa prime enfance, il considérait cette journée comme sa préférée, sans doute parce que les profs étaient plus sympas que le mardi et parce qu'il avait remarqué que, statistiquement, ce jour était bien plus proche du week-end que le jeudi. Même son emploi du temps suisse semblait plaider dans ce sens. Il commençait par une heure d'anglais suivie d'une de français, d'une de permanence et deux d'EPS. L'après-midi, il sortait à quinze heures trente après la physique, ce qui lui laissait un peu de temps pour flâner dans le parc du lycée en attendant le bus. Cela tombait bien, Justin, qui rêvait de devenir gardien de but au foot malgré son petit gabarit, avait besoin d'un partenaire pour lui envoyer le ballon. Et après plusieurs tirs parfois doux, parfois puissants et toujours vicieux, Aaron n'eut d'autre choix que d'admettre que son petit chaton était plutôt agile. Le voir sauter sur la balle et s'écraser le nez par terre en souriant était attendrissant. Profiter des derniers beaux jours avant la triste arrivée de l'automne dans un cadre aussi agréable en respirant un air pur, c'était presque la définition de l'insouciance, celle que le brunet avait perdue en chemin mais qu'il retrouvait peu à peu. La vie avait beau être cruelle, Justin et ses longs cheveux noirs masquant yeux et oreilles lui montraient comment faire pour la croquer à pleines dents. Aaron s'en était rendu compte, son chaton toussait souvent et était d'une constitution fragile. Pourtant, porté par l'amour des siens, il faisait comme si de rien n'était et prenait même la pose, ballon sous le bras, dès qu'il arrivait à l'attraper au vol.

Mais voir son camarade sauter dans tous les sens n'était pas la seule source de satisfaction pour le fier lycéen. Cette après-midi-là, il en avait trouvé au moins deux autres. La première, c'était Jonathan. Le garçon qui avait volé la couleur de cheveux de Kilian et qui avait donc été affublé du surnom d'usurpateur sans même comprendre pourquoi avait fait l'erreur de passer trois fois à côté des cages. Ce furent les trois seules fois où Aaron rata le cadre. Voir Jona lui hurler dessus en se tenant une fois les côtes, la suivante la tête et la dernière le bide, cela valait tous les buts marqués et à venir. Et ce fut au bord des larmes et se protégeant le visage que l'adolescent passa, effrayé, une quatrième et dernière fois près du terrain de jeu du brunet. Heureusement, Aaron le laissa tranquille. Devant l'air effrayé de sa victime, il préféra rigoler en refaisant son lacet plutôt que de risquer de se faire copieusement engueuler par Tess, sa camarade et deuxième des raisons qui lui avaient rendu le sourire. Toujours collée à Laura, ce qui leur avait valu le surnom affectueux des deux goudoues, la métisse reprochait beaucoup au jeune brun sa fourberie envers ce pauvre Jonathan qui ne méritait quand même pas tant de haine, ainsi que sa dureté dans l'entrainement qu'il imposait à Justin en le faisant sauter et courir à un rythme infernal. Elle ne pouvait s'empêcher d'avoir un réflexe quasi-maternel envers le plus jeune élève de sa classe. Avec son air de peluche fragile, ce dernier était comme une mascotte que toutes les filles aimaient câliner entre deux cours. Quand Aaron et Tess se prenaient le bec à propos de Justin, ils se comportaient en fait comme un vieux couple qui n'était pas d'accord sur la manière de s'occuper du gosse. Le brunet et la métisse semblaient faits l'un pour l'autre, ce que tout le monde avait remarqué, à commencer par le principal concerné.

Alors, quand le bus déposa tout ce petit monde à leur arrêt, Aaron se servit de la profondeur de ses yeux noirs pour jeter un puissant maléfice à la demoiselle et l'invita à boire un verre chez lui, avant de rentrer. Plus prosaïquement, il lui fit les yeux doux et la dragua comme il savait si bien le faire. Son sourire et la vivacité de son esprit étaient autant d'armes pour arriver à ses fins. Il lui parla des livres qu'il était en train de lire et de celui qu'un jour, il écrirait peut-être s'il en avait le courage. Il lui servit un verre de lait et lui fit remarquer qu'elle avait gardé une trace au-dessus de la bouche après avoir bu. Et quand elle lui demanda naïvement s'il n'avait pas à disposition un mouchoir pour qu'elle s'essuie, il lui répondit que non, mais qu'il avait encore mieux. Ses propres lèvres. En moins de temps qu'il n'en fallut à Tess pour le réaliser, Aaron lui vola un baiser. Et de manière encore plus rapide, le brunet reçut une gifle monumentale en pleine figure. Ce fut à ce moment-là, alors qu'ils se regardaient l'un l'autre en entrouvrant la bouche que les secondes se déréglèrent et se mirent à durer plus longtemps. L'adolescente, qui n'était plus une gamine, détestait ces représentants du genre masculin qui pensaient que le machin qui pendouillait dans leur slip leur donnait tous les droits. Mais ce garçon-là, elle ne savait pas pourquoi, il la faisait craquer. Pour le punir de son geste déplacé, elle le lui rendit et jeta sa langue au fond de son gosier, jusqu'à manquer de l'étouffer. L'étreinte dura suffisamment longtemps pour qu'Aaron en ressorte en n'ayant qu'un seul mot en tête. « Putain ! ». Ce n'était pas la première fille qu'il embrassait, loin de là, mais celle-là, elle avait quand même un certain style assez appréciable. Une fois sa nouvelle conquête rentrée chez elle, le brunet ne put s'empêcher de textoter son chaton, Justin, pour le prévenir et lui demander naïvement ce qu'il en pensait. Ce dernier répondit presque immédiatement par SMS.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now