79. Assumer

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Le chemin qui le menait à l'appartement d'Alia, Kilian pouvait le parcourir les yeux fermés. Ce fut en tremblotant et en tripatouillant son collier tout du long qu'il marcha jusqu'au fameux immeuble dont il connaissait personnellement les poubelles. Il ne voulait pas sonner. La peur de croiser le père de sa camarade le poussa plutôt à envoyer un SMS pour demander à sa copine de descendre. Quelques minutes plus tard, ils se retrouvèrent à la terrasse d'un café. Bien que l'air fût frais, le ciel était bleu et les quelques rayons du soleil n'avaient aucune peine à réchauffer la peau des jeunes adolescents. Après avoir commandé deux chocolats chauds, le blondinet lança le premier sujet de conversation qui lui vint à l'esprit, histoire de temporiser un tout petit peu avant la probable crise de larmes qui suivrait.

« Cette aprèm, papa invite du monde à la maison pour remercier tous ceux qui l'ont soutenu dans cette histoire de divorce. Avec le traiteur, ça va lui couter une blinde, mais au moins, il va me garder, et rien que pour ça il est content. C'est marrant. Des fois, j'ai l'impression d'être tout pour lui, alors que j'ai passé ma vie entière à le décevoir. J'me souviens encore de sa tronche le jour où il a découvert que j'étais gay, encore pire que la tienne ! Il a badé comme c'est pas permis. »

« Pire que la mienne ? »

« Ouais, pire. Mais comme toi, il a fini par s'y faire. Et maintenant, j'suis son p'tit pédé de fils à lui, il en a plus rien à foutre. Bref, ça serait cool que tu passes, ça m'ferait plaisir... »

Ce que remarqua immédiatement Alia fut le visage apaisé de son camarade. Kilian souriait en lâchant juste quelques soupirs. Peut-être parce que le passage chez le juge s'était bien passé, peut-être pour une autre raison, la lycéenne n'en savait rien et ne cherchait même pas à savoir. Une seule chose lui importait, mais il était encore trop tôt pour poser la question. Pendant plus d'une demi-heure, les deux adolescents parlèrent de François, de ses erreurs et de sa lente rédemption ainsi que de l'avenir familial du petit blond et de son ainé qui commençait ses révisions pour le bac entre deux préparatifs pour son voyage avec Sandra.

« Ça va le faire. J'vais p'têt passer un peu de temps avec ma mère et Bruno comme je l'ai dit au juge, pour leur laisser une chance à eux aussi, mais d'abord, il faut qu'ils me montrent qu'ils sont bien ensemble. Au final, c'est p'têt mieux comme ça. Mieux vaut avoir des parents séparés et heureux plutôt que ce que j'avais à la maison. Et puis, je sais que j'serai pas seul. J'vais rentrer en première, j'suis grand maintenant, j'ai mes potes, j't'ai toi... Et j'ai Aaron... »

Aaron. Dans un souffle lourd et perturbé, Kilian avait lâché son prénom. Sur son visage, l'apaisement avait laissé place à une étrange crispation. Le moment était venu de mettre les pieds dans le plat. Étrangement, l'adolescent trouva cela beaucoup plus dur que la veille. Sans doute parce que la nouvelle était moins agréable à partager. Alia, elle, resta calée au fond de sa chaise. Avec une voix douce et remplie d'émotion, elle posa la fameuse question qui lui brulait la gorge.

« Tu as pris ta décision ? »

Au bord des larmes, le blondinet se passa mécaniquement la langue sur les lèvres en clignant frénétiquement des yeux, puis s'affaissa sur lui-même. S'il avait prévu que ce moment serait désagréable, jamais il n'aurait pu croire qu'il lui déchirerait à ce point la poitrine. Comme désolé et compatissant pour un animal mené à l'abattoir, il tira lentement son col-roulé vers le bas pour dévoiler son cou en lâchant un simple « pardon ». Immédiatement, Alia fondit, ce à quoi son camarade répondit par une étreinte, des caresses sur la joue, des bisous dans les cheveux, une voix tremblotante, un sourire torturé, des yeux humides et un souffle saccadé. Tout ce qu'il avait gardé pour lui au fond de ses entrailles, il décida de lui dire, sans provoquer d'autre réaction qu'un regard éteint et des crispations sur un visage empli de tristesse.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now