69. La preuve par deux

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« Pour ta proposition d'aller faire du shopping, c'est toujours d'actualité ? Après tout, j'suis sorti de ma chambre, non ? »

Après un week-end particulièrement intense, Kilian avait finalement accepté de reprendre le chemin du lycée. En route le lundi matin pour accompagner son frère qui avait cours à huit heures alors qu'il ne commençait, lui, qu'un peu plus tard, il semblait d'humeur plutôt guillerette. Les baisers d'Aaron l'avaient rassuré ; le contact de sa peau, apaisé. Suffisamment pour qu'il sautille sur le trottoir à quelque mètres de son aîné. Cédric, lui, grinça des dents. Son petit frère était quand même sacrément vénal quand il s'y mettait ! Mais en même temps, il fallait bien l'habiller, ce petit. Qui était de plus en plus grand, d'ailleurs. Au fur et à mesure qu'il devenait un homme, ses fringues semblaient rétrécir, quand elles ne partaient pas en lambeaux. Même son sac à dos vert fluo qui datait du collège et dont la couleur était complètement passée commençait à accumuler les trous et les déchirures. L'élève de terminale ne pouvait pas faire grand-chose d'autre que de céder. C'était promis, dès qu'il aurait passé son permis à la fin des vacances de février, ils iraient fêter ça tous les deux au centre commercial. À condition, bien sûr, que François accepte de mettre la main à la poche. Les goûts parfois douteux de Kilian en matière de vêtements étaient aussi étrangement particulièrement luxueux. C'était comme si, plus un t-shirt avait une couleur inhabituelle et une coupe de minet, plus il était cher et plus l'adolescent tombait facilement en admiration devant. Alors que les deux frères arrivaient ensemble devant les portes de l'établissement Voltaire, Cédric s'autorisa un petit geste de douceur et laissa passer ses doigts dans la brillante chevelure dorée de son cadet.

« Faudra quand même qu'Aaron m'explique comment il fait ! Il y a trois jours, t'étais un vrai mollusque dépressif en train de dépérir au fond de son océan, et là, on dirait une anguille pleine d'électricité ! »

Kilian ne pouvait pas nier cet étrange fait. C'était le contre coup de l'émotion causée par ce week-end en forme de parenthèses qui lui avait fait du bien. Il savait pourtant qu'en pénétrant à nouveau l'enceinte de son cher lycée, son état de grâce risquait de s'arrêter aussi sec. Si son brunet s'était de nouveau échappé, ce n'était certainement pas le cas de son quotidien désolant et de certains camarades qu'il n'avait pas forcément envie de voir. Après avoir respiré un grand coup comme un plongeur se lançant en apnée, il se jeta dans les couloirs, en direction de sa classe, et répondit de loin sur le ton de la rigolade.

« Oh, c'est super simple, l'anguille, elle s'est prise un coup de jus ! Mon Aachou, il a du deux cent vingt volts dans le slip ! Quand il me branche sa prise, bah ça picote un peu, mais ça recharge super bien ! »

Fier de sa blague, Kilian replongea dans ses pensées. Il était décidé à parler avec Alia. Il le devait. Il l'avait promis à Aaron. Tout ne pouvait pas se terminer sur une simple lettre. Cette fille, il l'avait sincèrement aimée, et il ressentait toujours quelque chose pour elle. Si Aaron était son passé et son seul futur crédible, elle était son présent. Quand bien même cette histoire n'était qu'un instantané dans une vie bien longue, ce n'était pas aux autres d'en décider de la fin. Et certainement pas à ce connard d'Adan. Malheureusement, le blondinet ne se sentait pas le courage d'affronter son délégué, pas tout seul en tout cas. Si seulement son petit brun avait été là, l'enfoiré qui l'avait dénoncé à la famille de sa promise aurait vu ce qu'il aurait vu ! Mais là, Kilian ne savait pas quoi faire d'autre que de serrer les dents et d'éviter de répondre aux provocations en attendant qu'une âme charitable accepte de le venger.

Au bout de plusieurs minutes de recherche, il tomba enfin nez à nez sur la belle. L'adolescente était revenue au lycée dès le mercredi, jour où le blondin avait décidé de s'enfermer dans sa piaule. Ils se recroisaient enfin. Le garçon aux yeux verts essaya de lui parler, la fille à la peau crème lui tourna le dos. Il la poursuivit en la suppliant de l'écouter, elle lui répondit juste de la laisser tranquille en cachant sa tristesse derrière une colère feinte. Il lui attrapa le bras en criant qu'il l'aimait, elle le repoussa violement et se réfugia dans les toilettes où quelques copines couvrirent sa peine en laissant s'écouler l'eau des robinets. Abattu, Kilian se laissa glisser le long du mur. La douche était froide, la claque violente. Sans même se rendre compte que certaines personnes pouvaient l'écouter, il bougonna son désespoir à voix haute. La situation était encore pire que ce qu'il imaginait, le combat trop déséquilibré pour qu'il le gagne. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait, c'était la force. Les choses étaient trop injustes, et lui, il se sentait trop faible pour y changer quoi que ce soit. Aaron avait beau lui avoir demandé de se battre, il n'en avait pas le courage. À quoi bon se lever, si c'est pour toujours finir par terre ?

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now