26. Le bal de l'été de ses quinze ans

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Une fois les olympiades passées, tous les jeunes adolescents se jetèrent dans le bus, direction le camp, pour profiter de la dernière soirée avant le grand départ. Pour Kilian et Aaron, c'était presque une séparation. Le brunet passerait une nuit dans la région lyonnaise, plus précisément dans le lit de son blondinet, avant que son père le ramène le lendemain en Suisse et lui offre quelques jours de vacances en Asie. Il fallait donc en profiter un maximum. Comme il était de coutume, un grand bal fut organisé. Ou plutôt, une petite boom sans alcool et avec les plus grands titres des années quatre-vingt, quatre-vingt-dix et deux milles en fond sonore. Ceux qui vous font danser la lambada en tombant la chemise à la queue leu-leu comme des canards. Ce genre d'activité en colo sont de celles qui marquent une vie à jamais quand vient le moment tant attendu des slows. Le premier diffusé, tôt dans la soirée, fut un vieux tube de Mort Schuman. Personne ne se leva pour danser, il n'était pas encore l'heure, mais tous l'écoutèrent en s'appropriant les paroles de cette chanson d'amour.

Pour Kilian, lors de son été de porcelaine, c'était bien son cœur fragile qui avait failli être brisé. Mais au final, il n'avait pas chaviré. Il n'oublierait jamais ces vacances où Aaron était sien. Sur la page blanche qu'était sa vie, il avait écrit le brouillon de ses quinze ans. Il ne désirait plus qu'une seule chose, rédiger la suite.

Alors que le réfectoire sentait encore le gras des frites et des chipolatas grillées qui avaient composé le dernier repas, le jouvenceau avait fait le choix d'une chemise blanche en soie dont plusieurs boutons du col étaient ouverts et dont le bout des manches était machinalement relevé, ainsi que d'un pantalon ivoirin en lin. Dans ses chaussures neuves, des baskets opalines, il avait pu glisser ses pieds recouverts de petites socquettes afin que les mollets soient visibles par tous. Cette tenue sans chichi et légère, il l'avait préparée pour ce jour avec grand soin avant même le début des vacances. Il voulait être beau et montrer à Aaron qu'au-delà de ses goûts douteux pour les couleurs flashy, il pouvait aussi avoir la classe s'il s'en donnait la peine. Seule note excentrique, son petit collier tressé et serré autour du cou qui ne l'avait pas quitté du séjour et qu'il arborait fièrement. Les grosses perles rouges et noires qui y étaient accrochées mettaient juste en valeur la douceur de sa discrète pomme d'Adam qui se dessinait timidement au fil de l'adolescence.

Son amoureux n'était pas en reste. Chez Aaron, avoir du style était une des choses les plus naturelles qui soient. Équipé d'un chapeau en feutre noir surmonté d'une plume blanche et entouré d'un ruban pale, il en imposait sans même chercher à le vouloir. Sa chemise cintrée gris foncé agrémentée d'une très fine cravate sombre desserrée au niveau du cou, son jean bleu-noir parfaitement coupé et ses chaussures en cuir à l'italienne ne faisaient que mettre en lumière la beauté naturelle de son visage blanc et de ses fins doigts de pianiste.

« Putain, il est beau ton mec ! », lâcha Arthur, sincèrement impressionné et un verre de jus d'orange premier prix à la main. À côté, le jeune rouquin avait beau s'être mis sur son trente-et-un avec une chemise orange assortie à sa couleur de cheveux, il devait bien se rendre à l'évidence : il restait le gros bébé à sa maman incapable de se fringuer convenablement par lui-même. Il aurait pu être jaloux de la classe d'Aaron et du regard attendri et amoureux, voire niais, de Kilian, mais il n'était pas assez attiré par les mecs pour cela. À son cou, c'était Béa qui s'accrochait tendrement en remuant sa longue chevelure bouclée.

De son côté, Alia, passa la soirée à titiller Basile. Il n'était plus question pour la jeune fille de laisser le moindre mâle en rut l'approcher. Elle se refusait de tomber dans les vils pièges tendus par ces êtres imparfaits qui semblaient n'exister que pour faire souffrir les femmes. Alors, elle fit mine de draguer le moniteur le plus costaud du camp. Enfin, c'est ce que crurent maladroitement la majorité de ses camarades. Seuls les plus fins d'entre eux purent sentir, à l'air gêné voire paniqué du Canadien, quel était le contenu de ses questions. Son regard ferme et triste fixé sur Kilian donnait aussi certaines indications non négligeables. La larme qui perla sur sa joue finit d'achever les observateurs. Les vacances avaient beau se finir sur une note positive pour tout le monde, il n'en était pas forcément de même pour la jeune Tunisienne, condamnée à laisser, au moment d'entrer au lycée, ses rêves d'enfant derrière elle.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now