77. Volonté contre justice

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« Écoute Kilian, soit tu vas à l'infirmerie demander un calmant, soit tu suis la fin de mon cours dans le couloir. Mais je t'en supplie, arrête de gesticuler sur ta chaise ou je te la fais bouffer ! »

Le second trimestre était déjà terminé. Il restait moins de trois mois de cours avant les vacances d'été. Pour Renée, la fatigue commençait à s'accumuler. Et même si elle appréciait beaucoup le petit blondinet qui servait de modèle à son fils, elle le trouvait parfois un peu épuisant, surtout quand il se mettait en mode pile électrique dès huit heures du matin. Sans un mot, Kilian se leva, ouvrit la porte et s'assit au milieu du passage en baissant la tête, comme un enfant pas sage ayant mérité son humiliante punition. Et quand Martin lui demanda quelques minutes plus tard pourquoi il s'était exécuté aussi vite au lieu de tout simplement se calmer, chose qui aurait été plus logique, le blondin répondit en haussant les épaules.

« Si la mère de Gaby est aussi bornée que son fils qui me fait la gueule parce que je sèche un jeudi sur deux, elle aurait bien été capable de me la faire avaler, ma chaise. Et moi, je digère vraiment mal le métal. J'le sais hein, j'ai déjà essayé, une fois, au primaire. Une pièce de un centime roulée dans une boule de mie de pain. Après avoir entendu à la télé que l'argent, c'était du blé, j'voulais prouver à Cédric que ça pouvait se manger. C'était c'que j'croyais moi ! Résultat ? J'ai failli m'étrangler, j'suis passé pour un con et on a dû emmener Ced aux urgences parce que cet imbécile, il s'est cogné la tête contre la table en rigolant. Et en plus, j'ai perdu un centime... Ça m'a fait chier à l'époque, j'étais en CE1, j'réalisais pas qu'ça représenterait que dalle ! Et puis là, si la prof, elle avait mis sa menace à exécution, j'me serais assis où, moi, après ? Sur tes genoux ? »

Devant cette réponse stupide, le rouquin sourit, serra son camarade dans ses bras et, chose rare, il lui déposa même un léger bisou sur la joue avant de lui glisser un tout petit mot au creux de l'oreille.

« Prends la bonne décision. »

Comme l'avait bien compris Martin, le fond du problème était ailleurs et ne concernait ni les idées loufoques d'un enfant à l'esprit logique contrarié, ni sa radinerie. Économe, le blondinet ne l'était plus depuis qu'il avait droit à de l'argent de poche et qu'il avait compris que tout pécule – surtout celui de son frère – était fait pour être dépensé. Et si possible en fringues très chères et très colorées. Non, ce qui lui causait cette horrible agitation et qui le poussait à se mordiller le bout des doigts était bien plus pragmatique. Il avait rendez-vous le soir même dans le bureau d'un juge qu'il ne voulait surtout pas voir et, comme à chaque fois qu'il était troublé, cela se voyait de manière limpide sur son visage. Si son corps avait été une éponge et le stress un liquide, alors son métabolisme se serait immédiatement gorgé jusqu'à l'explosion. Personne dans la classe ne pouvait ignorer que quelque chose clochait. Et si beaucoup se succédèrent pour essayer de lui tirer les vers du nez, l'adolescent réussit à garder pour lui ce qui le mettait dans cet état, jurant qu'il n'y avait aucune raison de s'inquiéter pour son matricule, ce qui eut naturellement l'effet inverse et ce qui lui valut d'être harcelé de questions par Alia, loin d'être dupe. Poussé à bout pendant la pause du midi, alors que ses lèvres se couvraient de plus en plus de gerçures et qu'il tremblait de manière encore plus soutenue qu'un vieillard souffrant de parkinson, il finit par tout lui avouer.

« J'ai peur de finir avec ma mère, mais c'est presque inéluctable. Mon père n'est même pas mon vrai père. Il n'a aucun argument à part qu'il m'aime et j'ai découvert il y a deux semaines des trucs ignobles sur lui. Et en plus, la juge est une femme, donc forcément, elle a des idées toutes faites... Là, j'vais sans doute demander à rester avec ma tante l'année prochaine, du coup, mais il y a peu de chance que ça passe... Mais ça va hein, c'est pas grave non plus, j'avais pas envie de faire chier ma copine avec ça, t'as déjà fort à faire avec tes vieux, j'allais pas t'emmerder avec les miens. »

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now