64. Les excuses d'un adolescent loin d'être désolé

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« C'est chiant la mort, c'est définitif. »

Assi sur un banc dans le parc du lycée, Aaron s'était lancé dans un vaste débat philosophique en compagnie de son chaton, blotti contre lui. Le rapprochement était facilement excusable. Il faisait froid, très froid, comme souvent quand arrive la fin du mois de janvier. Cet hiver Suisse avait même quelque chose de particulièrement glacial. En fait, les deux adolescents auraient pu rester ici pendant des heures à simplement contempler l'herbe rendue blanche par le gel et à discuter, même si le sujet du jour embêtait quelque peu Justin. Aaron était vraiment chiant à toujours vouloir argumenter contre son choix de vie, ou plutôt de mort ! Pour une fois qu'il avait eu le courage de prendre une décision, difficile en plus, il fallait qu'on la critique ! Ce n'était plus une vie de chat, c'était une vie de chien. Plutôt que de répondre, il grogna et se frotta la tête encore plus fortement contre la poitrine de son camarade. Il avait encore du mal à réaliser que le brunet avait réussi à le trainer jusqu'au lycée alors que son Némésis faisait cours à quelques dizaines de mètres à peine. Une voix colérique appartenant à un petit monsieur fit sortir les deux garçons de leur petit monde.

« À peine de retour, et tu recommences ta grève stupide ? Tu n'as donc rien compris ? Et en plus, tu entraines Justin avec toi ? Dans mon bureau, tout de suite. »

« Non », répondit simplement l'adolescent aux cheveux charbon à son proviseur, sans détourner la tête.

Le pauvre homme moustachu manqua de s'étranger. En plus de trente ans de carrière, c'était la première fois qu'il tombait sur une telle tête brulée ! C'était le comble. Alors que sa face de vieillard bientôt sénile semblait prendre une vilaine couleur ocre, Aaron soupira et tenta de chasser le malentendu en se reprenant.

« Non, je ne fais pas grève, c'est juste que là, c'était l'heure du cours de math, et j'ai promis à Justin que je ne le forcerais pas à y assister s'il acceptait de revenir au lycée. Du coup, je fais du teen-sitting dans le froid. Votre bureau est chauffé ? »

Devant cette nouvelle provocation, Monsieur Bourgneux ne put que rechausser ses lunettes sur son nez épais en expirant tout l'air de ses poumons. Ce qui l'empêcha d'élever la voix, c'était le visage craintif de son élève aux cheveux orangés. Quand Justin s'était teint la tête, l'adulte avait préféré ne rien dire, histoire de montrer à quel point il était progressiste dans sa manière de gérer les troubles de l'adolescence. C'était surtout Botteron qui l'avait convaincu de ne pas mettre au pilori le jeune garçon et d'accepter cette drôle d'excentricité. Botteron... de toute sa carrière de proviseur, cet homme était sans doute le meilleur enseignant qu'il n'avait jamais eu sous ses ordres. Il était apprécié de tous ses élèves, doué dans sa matière et surtout généreux, profondément généreux. L'archétype même du bon gars capable de passer des heures et des heures en tête à tête avec un jeune pour l'aider à s'en sortir, sans rien demander en retour. Personne ne s'en était jamais plaint, bien au contraire. Même ce petit Justin avait toujours vanté les mérites de ses cours particuliers à chaque fois qu'il lui avait été demandé son avis. Laisser Aaron vilipender son professeur était une drôle de façon de le remercier pour tous ses efforts. Et pourtant, Bourgneux ne pouvait nier que le visage du plus jeune des secondes manquait de joie de vivre. Ce que les parents du bonhomme lui avaient expliqué au téléphone à propos de son absence lui avait glacé le sang. Jamais il n'aurait pu croire qu'un de ses élèves aurait le désir de mettre fin à ses jours. Pourtant, il ne voyait pas ce que son établissement avait à voir avec cette histoire. À part un petit brun arrogant, personne ne semblait incriminer ses méthodes d'éducation ni mettre en avant sa responsabilité. Il avait la conscience parfaitement tranquille. En accord avec le corps médical et les tuteurs légaux de l'adolescent, il avait promis de ne rien révéler de son geste à personne, pas même à ses subordonnés et encore moins aux élèves. Il s'était aussi engagé à toujours garder un œil sur lui et à ne jamais le laisser seul sans surveillance. D'où sa présence dans ce froid matinal. Sa seule certitude était que le jeune brun qui le défiait en jouant les grands frères protecteurs en savait plus que ce qu'il prétendait publiquement. Cela ne justifiait en rien son comportement inadmissible. Une fois séparé du fameux chaton, Aaron reçut ainsi un savon mémorable, auquel il se décida de répondre immédiatement. Toute la soirée, il la passa à écrire d'un jet une longue nouvelle se passant dans l'univers fictif qu'il était en train de construire depuis plusieurs mois. Si son objectif premier était de faire passer un message à Bottéron et à tous ceux qui oseraient le soutenir, son imagination lui était aussi l'occasion d'envoyer un ultime cri d'affection à son amoureux transalpin, présent dans l'histoire. Même si le contact entre eux semblait un peu brouillé depuis un certain e-mail, Aaron ressentait pleinement le manque de caresse et d'affection. Mais malgré la qualité de son récit, l'adolescent renonça à le diffuser et le cacha au fond de son ordinateur entre quelques photos du blondinet sauvage, puis écrivit à la place une longue lettre qu'il placarda dès le lendemain matin sur les murs du lycée.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now