63. « Si tu m'aimes... »

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Le week-end qui suivit, Justin n'eut pas une minute à lui pour songer à changer de nouveau la couleur de l'eau du bain. Même pour se laver, il n'obtint pas l'autorisation de se retrouver seul. Qu'importe, s'il devait être couvé comme un poussin, il exigea alors que sa poule soit Aaron. Du coup, pour mieux s'en occuper, le jeune brun l'invita chez lui. Bien que stressés à l'idée de laisser leur fils unique loin de leur regard protecteur, Philippe et Denise acceptèrent de faire confiance au lycéen aux yeux sombres. À vrai dire, ils n'avaient pas vraiment le choix. Seul Aaron arrivait à pousser Justin à s'alimenter convenablement et à avoir un comportement à peu près normal. Seul Aaron, en fait, arrivait à se faire obéir par son camarade pour qu'il arrête ses jérémiades sans que cela ne vire au drame, aux larmes ou aux menaces de siroter un cocktail à base d'eau de javel, de carbonate de sodium et d'autres produits ménagers hautement toxiques.

Chez la famille Arié, la présence de ce petit bonhomme passa presque inaperçue. Catherine trouva attendrissant de voir son garçon jouer à la peluche avec un chaton anthropomorphique. Pour le reste, faisant preuve intelligence, elle évita de se poser trop de questions sur les malheurs de ce dernier. Gérard, lui, considéra simplement que s'occuper d'un camarade de classe en détresse comme s'il en était la nounou n'était rien d'autre que la nouvelle lubie de son fils. Il ne la trouvait d'ailleurs pas pire que celle qui consistait à planifier la traversée des Alpes en Moon Boots à l'aide d'un sherpa local payé à coup de montres Rolex et de chocolats juste pour pouvoir se taper un petit blondinet. Aaron l'avait souvent repris, « Ce n'est pas pour me le taper, c'est pour l'aimer, bordel ! », sans le moindre succès. Stressé par son boulot et par les enjeux politiques qui y étaient rattachés, le chef de famille n'avait pas le temps de prêter trop d'attention à ces débilités. L'important était qu'Aaron ramène, comme à son habitude, des notes suffisamment bonnes pour lui assurer un dossier qui lui permettrait de réaliser ses rêves. Gérard ne pouvait pas culpabiliser de penser avant tout au bonheur futur de son fils. C'est le rôle d'un père de toujours veiller à ce que ses enfants aient leur plus grande chance dans la vie et de les aider à se concentrer sur l'essentiel. Et dans ce genre de calculs savants, les amours adolescentes paraissent souvent particulièrement accessoires.

Aaron passa ainsi le samedi et le dimanche focalisé sur Justin, le poussant à s'alimenter sans essayer de s'étouffer avec un haricot vert, à jouer sans tenter de s'électrocuter avec les piles de divers objets électroniques, et à se laver – sans souhaiter se noyer bien entendu –. Le jeune lycéen aux yeux multicolores trouva plutôt humiliant l'idée d'être surveillé même dans son plus simple appareil. Après une longue joute verbale, il accepta de se soumettre à ce contrôle à une seule condition : qu'Aaron se joigne à lui dans la baignoire. Donnant donnant, cul-nu cul-nu ! Le brunet commença par refuser avant de finalement céder, non sans palabres. Depuis toujours, l'idée même qu'on le regarde dévêtu lui était difficilement supportable. Il détestait ça. Les seuls qui avaient eu la chance de l'observer dans cette tenue des plus naturelles étaient les rares à avoir partagé avec lui quelque chose d'intime. Même Kilian avait dû attendre un certain moment avant que son amoureux ne se décide à baisser son slip devant son nez. Justin sourit. Il suffisait donc que ce bain soit considéré comme intime pour régler le problème, non ? Le brunet s'étrangla, le chaton le rassura : sa solution respectait certains impératifs de douceur, de chasteté et de bienséance. Il suffisait à Aaron de le laver ! De toute manière, c'était ça ou utiliser Mistral comme gant de toilette. Même si le canidé n'était pas forcément contre l'idée de jouer dans la mousse et le montra en remuant la queue, Aaron préféra abdiquer. Blême et armé d'une éponge, il s'assit dans la baignoire et écarta suffisamment les jambes pour laisser son camarade se glisser entre ses cuisses sans pour autant l'offenser d'un contact trop oppressant. Tout en serrant à l'aide de ses bras ses cuisses contre son torse et posant son menton sur ses genoux, le chaton frissonna, ferma les yeux et ronronna bruyamment au rythme des caresses humides d'Aaron sur son dos et sur son flanc. Très rapidement, les deux garçons oublièrent leur gêne et se consacrèrent pleinement à leurs tâches respectives, à savoir laver pour l'un et se faire laver pour l'autre. Le jouvenceau entre les bras, le brunet put réaliser une fois de plus l'innocence de ce corps frêle et fragile. De tout le bain, le plus délicat et douloureux pour Aaron fut de caresser du bout des phalanges les marques de coupure sur le poignet de Justin. Elles étaient si profondes, si réelles et si froides qu'elles semblaient crier la plus violente de toutes les mises en garde. Ce qui avait échoué une fois pouvait malheureusement réussir à n'importe quel moment.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now