80. Bonheur

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Tout est relatif. Bien que son cerveau fût celui d'un adolescent de presque seize ans et que ses magnifiques cheveux blonds semblassent parfois pousser à l'intérieur de son crâne jusqu'à s'emmêler à ses neurones, Kilian ne pouvait s'empêcher d'adorer les mathématiques et les sciences, matières dans lesquelles il avait plutôt de réelles facilités à la différence de tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à la sphère littéraire. Et entre deux animés et autres tests de jeux vidéo en ligne, il adorait regarder en cachette quelques vidéos plus « intellectuelles ». Parmi d'autres, un certain Bruce le passionnait. Kilian était fan des explications du youtubeur, surtout lorsque ce dernier se mettait à vulgariser la flèche du temps, à expliquer pourquoi le ciel était bleu, à parler des nombreux sens qu'Aristote avait oublié lorsqu'il détermina que l'homme n'en avait que cinq – Kilian, lui, connaissait bien les autres pour les avoir tous mis à rude épreuve dans les bras de son petit brun –, et à raconter l'étrange histoire de ce Grec nommé Eratosthène qui, plus de deux cents ans avant la naissance d'un certain bébé en Judée, avait réussi à calculer en Égypte la circonférence de la terre avec un bâton et un chameau en supposant qu'elle était ronde, chose dont il n'était même pas sûr.

Pourtant, même en s'accrochant et en regardant la vidéo qui traitait de la théorie de la relativité générale d'Einstein plusieurs fois, le blondinet eut bien du mal à comprendre qu'Aaron puisse ne pas être le centre absolu de l'univers selon le référentiel que les observateurs choisissaient. La seule chose qu'il réussit à retenir fut que le temps pouvait se contracter et se dilater, tout comme l'espace. Réalité qu'il essaya de démontrer à son tour de manière scientifique pendant ses vacances d'avril à l'aide de la plus ancienne méthode d'expérimentation au monde – à défaut d'être la meilleure – : la logique blondinienne.

Les résultats furent probants. Grace à son ordinateur, le Japon – pays où il n'avait jamais mis les pieds – était à portée de clic, alors que la Suisse – située pourtant à une poignée de kilomètres seulement de son lieu d'habitation – lui paraissait être à l'autre bout de l'univers. En tout cas, dès qu'il pensait qu'Aaron y retournerait bientôt. Plus intéressant encore, une minute loin de son amoureux lui semblait une éternité alors que leurs câlins, même quand ils s'éternisaient, se révélaient toujours trop courts. La démonstration était facile : tout le monde pouvait s'accorder à dire qu'une heure de cours passait bien plus lentement qu'une heure de vacances. Cela faisait partie des choses communément admises pour l'ensemble de l'humanité. Ce qui devenait intéressant, c'était de rajouter l'élément « Aaron » dans l'équation, qui à lui seul arrivait à produire une déformation de l'espace-temps à la manière des plus massifs de tous les trous noirs de la galaxie. La seule explication logique que Kilian trouva pour expliquer ce phénomène fut la couleur de cheveux de son camarade qui, avec la nuit, était ce qui se rapprochait le plus de la couleur de ces monstres célestes.

Cependant, quand son brunet le regarda avec un air désespéré en se tenant le front et lui expliqua qu'il n'avait strictement rien pigé à ce que voulait dire le vieil Albert, l'adolescent entreprit une nouvelle expérience : démontrer qu'un corps boudeur jeté d'une fenêtre tombait aussi vite qu'un cœur brisé, en faisant abstraction bien sûr de la résistance de l'air. La tentative fut immédiatement avortée par son amoureux, qui trouva bien plus intéressant et scientifique d'étudier à la place l'effet des réactions chimiques causées par un orgasme sur le corps tendre et douillet d'un petit blondinet. Et les résultats, exceptionnels, de ses expérimentations auraient mérité de faire la une du magazine « Sciences », si seulement les vieux chercheurs aigris et barbus qui composaient le comité de lecture de la revue avaient été un tout petit peu plus ouverts d'esprit quant à l'apport possible d'une sexualité à peine déviante aux connaissances globales de l'humanité. Dans tous les cas, le plaisir ressenti par Kilian, assis à califourchon sur l'intimité d'Aaron, n'avait rien à envier au big bang, que cet évènement soit considéré comme une explosion ou une dilatation de l'univers. Et les caresses que son brunet lui prodiguait du bout des doigts sur le bassin, les hanches et les flancs ne faisaient qu'ajouter du plaisir à son bonheur. C'était peut-être la première fois qu'il testait la position de l'Andromaque avec son amoureux, mais d'ores et déjà, elle faisait son entrée dans le top dix de ce qu'il préférait dans la vie, juste entre les bisous dans le cou et les kinder bueno.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now