78. La décision

168 20 32
                                    

Pendant qu'Aaron cherchait à calmer à distance la colère de son père, rendu furieux par la fugue de son rejeton, Kilian passa son vendredi à éviter de croiser le regard d'Alia, avant de se jeter sur ses jeux vidéo en rentrant, pour se vider la tête. Avec la musique qui sortait de la télé à fond dans les oreilles, il se sentait comme un renard de l'espace venant à bout d'un gigantesque singe très méchant grâce au soutien inflexible de ses amis grenouille, lapin et faucon. Et qu'est-ce qu'il trouvait cela bien. La manette entre les mains, il ne pensait à rien, et il en avait bien besoin.

La nuit précédente, l'adolescent s'était endormi sans un mot, nu, dans les bras de son petit brun. Une décision à la fois. Là, il venait de laisser une dernière chance à François de montrer qu'il n'était plus le monstre dont il avait parfois montré le visage. Au fond de lui, Kilian y croyait. Avec les lourds fardeaux qu'il se trimbalait depuis des années, l'adulte était lui aussi une victime. Sauf qu'à la différence du reste de la famille, il n'avait personne d'autre à blâmer que sa propre personne. Rien ne pourrait jamais effacer ce qu'il avait fait, mais rien ne justifiait qu'on refuse de reconnaitre ses efforts sincères dans sa quête de rédemption. Notamment le dernier en date, lorsque lors du diner, il avait proposé à Aaron de l'accueillir sous son toit à condition bien sûr que son père soit d'accord et que Kilian le demande. Ce geste laissa le blondinet sans voix. Persuadé que François refuserait, il n'avait même pas osé le lui demander. Aaron, lui, le remercia simplement pour l'invitation. Cela lui donnait un nouvel argument qui venait s'ajouter à sa détermination. Tout se retrouvait donc entre les mains de deux personnes. Pour son père, il continuerait le combat jusqu'à ce qu'il cède. Pour le blondinet... il respecterait son choix quoi qu'il advienne.

« Je ne te forcerai pas. Si c'est avec elle que tu veux être, dans ce cas, je... je rentrerai samedi soir ou dimanche matin et je ne t'embêterai plus. C'que j'veux, c'est qu'tu décides par toi-même ce qui a le plus de chances de te rendre heureux. Si je me bats, c'est parce que je suis dingue de toi, mais j'irais jamais contre ta volonté. Juste... répond quoi, veux-tu de moi pour ces vacances ? Pour la vie ? Si tu dis oui, je fuguerai autant de fois qu'il le faudra jusqu'à ce que mon vieux comprenne et lâche l'affaire. Si tu dis non, je... j'accepterai, même si tu pourras pas m'interdire de t'aimer. Ça c'est impossible, j'ai déjà essayé de faire semblant, j'y arrive pas. »

Par fierté, Aaron n'avait pas pleuré au moment d'évoquer l'éventualité de sa défaite. Il avait retenu ses larmes au fond de sa gorge pour les déverser, seul devant le miroir de la salle de bain en plein milieu de la nuit. Kilian ne lui avait répondu qu'une seule chose avant de se jeter sur son lit :

« Samedi soir, tu sauras, en attendant, ta gueule et fais-moi un câlin. »

Puis le vendredi s'était passé, et après une deuxième nuit silencieuse dans les bras de son petit brun, l'adolescent aux cheveux dorés s'enfuit aux aurores pour profiter du premier soleil du week-end. Avril était encore frisquet, mais la faible température ne le dérangeait pas. Armé de ses baskets et d'une doudoune, il décida de se perdre en ville toute la journée, et même au-delà. Il avait besoin d'être seul pour réfléchir. Dans ses oreilles, le lecteur MP3 de son téléphone diffusait quelques musiques douces et agréables. Le ciel était à peine voilé et le soleil se devinait facilement derrière quelques nuages. Une brise fraiche le décoiffait et remplissait ses poumons d'oxygène. Que voulait-il ? Qui était-il ? Où son esprit se trouvait-il ? Au sommet d'une montagne ? Qu'il choisisse de chuter en avant ou en arrière, il devait faire un choix. Dans tous les cas, c'était dans l'inconnu qu'il tomberait, et la chute serait irréversible. Il devait l'accepter.

La première destination de sa longue promenade fut les grilles de son ancien collège, l'endroit où il avait connu ses premiers réels émois. Il se souvint de cette salle dont il pouvait voir les fenêtres de la rue, dans laquelle il s'était souvent réfugié et où, inconsciemment, il avait fini par tomber amoureux. Sa tête posée sur les genoux d'Aaron, il avait pleuré son innocence qui s'en allait ainsi que les changements de son corps et de son âme, sans que personne à part le brunet ne s'en rende compte. Sa troisième avait été sans doute la plus douloureuse et belle à la fois de toutes les années de sa courte existence. Il avait grandi. D'animal asexué, il était devenu un fier lionceau rugissant et heureux, ayant juste comme simple particularité une petite préférence pour les crinières et autres attributs plutôt masculins du règne animal.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now