5. Les Campanules

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Le Jura. Des montagnes, des lacs, des forêts, ses colonies de vacances sportives et aussi, ses maisons de repos pour alcooliques et autres addicts aux substances illicites qui ramollissent le cerveau. Voilà ce qu'était ce massif pour Kilian, depuis qu'il avait appris qu'il passerait ses vacances à moins de cinquante kilomètres de sa mère. Le jeune garçon ne voulait pas la voir, il n'en avait aucune envie. Il la détestait, il l'avait toujours détestée depuis sa naissance, et cette haine n'avait fait que grandir jusqu'à atteindre son point culminant le jour de son dixième anniversaire, où, bien malgré lui, il n'avait eu d'autre choix que d'assister, planqué dans la salle de bain, au chevauchage de sa génitrice par l'homme qu'il était habitué à appeler « Parrain ».

Il lui avait fallu attendre quelques années de plus pour comprendre que ce salaud était en fait son père biologique. Il avait fallu une dispute de plus, une dispute de trop, pour que la vieille sorcière balance l'amère vérité à la gueule de toute la famille. Kilian était un bâtard. Enfin, même si le mot était sévère, c'était comme ça qu'il se voyait. C'était la vérité, sa nature profonde. C'était pourquoi il ne pouvait faire autrement que de la détester, juste pour ne pas avoir à se haïr lui-même.

Malgré tout, rejeter sur elle tous ses malheurs n'aidait pas l'adolescent à maîtriser sa colère ni à calmer ses larmes. Il le savait, c'était bien trop facile, la solution était ailleurs. Elle restait sa mère. Sans doute aurait-il préféré ne pas en avoir. Après tout, on n'a pas besoin de deux parents ! Déjà qu'un, c'est compliqué à gérer, alors deux, cela relève souvent du masochisme. Son pote Gabriel qui avait déménagé à la fin de la cinquième n'en était-il d'ailleurs pas la meilleure preuve ? Ce jeune garçon aux cheveux châtains et aux yeux bleus, orphelin de père, arrivait bien à sourire et à être heureux malgré ce manque insupportable. Parfois, quand ses parents se disputaient, Kilian l'enviait. Lui au moins, c'étaient les souvenirs des moments agréables qui le faisaient pleurer, pas la peur des beignes et des humiliations qui ne pouvaient que s'accumuler. Mensonge. Le blondinet savait que si Gabriel était si joyeux, c'était avant tout parce qu'il enfouissait au fond de son cœur ses propres souffrances. Les apparences peuvent facilement tromper la terre entière, mais Kilian n'était pas une planète habitable. Ses yeux n'étaient pas de la couleur de l'océan. Ils ressemblaient bien plus à une nébuleuse d'un vert étincelant.

Dans la voiture qui l'amenait jusqu'au centre dans lequel était internée Marie, le futur lycéen cogita. Même s'il voulait se persuader qu'il avait raison, il était bien obligé de reconnaître qu'il avait tort. Tout cela à cause d'Aaron, cette foutue panthère au pelage si doux qui lui avait simplement répondu « C'est ta mère quoi. Même si tu l'aimes pas, c'est ta mère... », lorsqu'il lui avait demandé ce qu'il devait faire. Cette simple phrase avait achevé de convaincre le Candide aux boucles dorées qu'il était plus sage de sacrifier quelques heures pour suivre son père – et donc repousser d'autant de temps les retrouvailles avec son amoureux – que d'attendre devant le bus dans lequel ils devaient faire le chemin ensemble. En regardant l'horloge de son téléphone qui semblait presque bloquée, il n'avait plus qu'une seule hâte : que le temps passe plus vite et que ce soit déjà le lendemain, quatorze heures, moment précis où son père devait le lâcher à Sport & Fun pour deux semaines de vacances sportives et amoureuses. Kilian trouvait plus intéressant de penser à Aaron qu'à sa mère. Malheureusement, cela n'avait pas l'effet positif escompté, bien au contraire. Plus il songeait au garçon qui, le premier, l'avait réellement aimé, plus ce dernier lui manquait. Et même l'éventualité presque certaine de le serrer contre lui dès le lendemain n'y changeait rien. Ces retrouvailles n'étaient que temporaires. Après la joie de pouvoir le voir, le toucher, le humer et l'embrasser, reviendrait comme un boomerang en pleine poire la peine causée par une séparation inéluctable. Alors, il regarda la route, les arbres, les virages et les panneaux comme si plus rien n'avait d'importance.

Ce qu'il voulaitWhere stories live. Discover now